Uramin ou comment le géant français Areva a perdu des milliards et sa réputation en Afrique

(Ecofin Hebdo) - Un rachat de 2,5 milliards $ qui tourne au désastre, des soupçons de corruption impliquant dirigeants africains, hommes d’affaires, espions et conseillers. L’affaire «Uramin» au centre de laquelle se trouve Areva, le géant français du nucléaire, défraie la chronique depuis plusieurs années. Début juin, plusieurs médias internationaux rapportent la mise en examen du financier belge Daniel Wouters pour «complicité des délits de corruption d'agent public étranger, d'abus de confiance et de corruption privée», l’occasion pour Ecofin de revenir sur ce dossier aux multiples rebondissements dont les origines remontent à 2007.

 

De l’acquisition d’Uramin au fiasco…

2007, le prix de la livre d’uranium atteint un record historique de 135 $ alors que l’industrie craint une éventuelle «pénurie qui pourrait frapper les centrales nucléaires». C’est dans ce contexte que la compagnie française Areva (devenue cette année Orano) annonce l’acquisition d’Uramin, une junior minière canadienne cotée à la bourse de Toronto et dont le cours des actions monte en flèche, pour un montant de 2,5 milliards $ (1,8 milliard d’euros). La société possède en Afrique plusieurs actifs parmi lesquels, trois mines «prospectives» situées en Afrique du Sud (Ryst Kuil), Centrafrique (Bakouma), Namibie (Trekkopje). À ce moment-là, l’heure est aux félicités du côté d’Areva, détenue à 86,5% par l’État français, elle ne sait encore rien de la tournure «dramatique» que prendra ce rachat.

Au moment de son acquisition, Uramin n’était qu’une junior minière qui n’avait encore produit aucune tonne d’uranium. Alors, comment expliquer le montant «exorbitant» de la transaction de près de 2 milliards d’euros ?

D’abord, les prix d'uranium dégringolent progressivement passant très vite en dessous de la barre des 100 $/Ib puis à moins de 50$/Ib après la catastrophe de Fukushima en 2011. Parallèlement, l’exploitation des gisements se révèle rapidement trop coûteuse pour être rentable, poussant Areva à annoncer le 11 décembre 2011 la «suspension de ses opérations dans les projets en Afrique du Sud et en Namibie». Le groupe français qui a investi en Namibie pas moins de 1 milliard d’euros dans des infrastructures (dont une usine de dessalement de mer) perd gros. Elle est contrainte de passer dans ses comptes 1,5 milliard d’euros de dépréciations sur Uramin, alors qu’on apprend une surestimation des ressources du gisement de Trekkopje. Les polémiques naissent, l’argent du contribuable français est en jeu (l’État étant l’actionnaire majoritaire de la compagnie), et Luc Oursel, tout nouveau patron du directoire d’Areva commande un rapport sur le fiasco d’Uramin.

 

Les débuts de la traque judiciaire

Au moment son acquisition, Uramin n’était qu’une junior minière qui n’avait encore produit aucune tonne d’uranium. Alors, comment expliquer le montant «exorbitant» de la transaction de près de 2 milliards d’euros ? Mieux, comment expliquer qu’une entreprise de l’envergure d’Areva ait pu se retrouver dans un tel bourbier ? S’est-elle fait «escroquer» ? Les polémiques croissent et les soupçons de corruption se multiplient, l’affaire se retrouve devant la justice, notamment au cœur de deux informations judiciaires depuis mai 2015. La traque commence, la justice s’interroge sur les rôles des uns et des autres dans l’échec.

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Anne Lauvergeon, ex-dirigeante d’Areva, mise en examen.

 

Le premier volet implique l’ex-dirigeante de la compagnie, Anne Lauvergeon (2001-2011), mise en examen ainsi que deux anciens responsables, suspectés d’avoir présenté des comptes inexacts aux actionnaires pour masquer l’effondrement de la valeur d’Uramin. Le second volet porte sur des soupçons de corruption pesant sur les intermédiaires d’Areva lors de l’acquisition de la société minière.

 

Le cas namibien

Le 3 mai dernier, la police namibienne a ouvert une enquête officielle pour «corruption présumée» sur le projet Trekkopje. Est notamment impliqué le président Hage Geingob, qui a reçu des sommes mensuelles de 8550 euros entre 2008 et 2009, alors qu’il était ministre du Commerce et de l’Industrie. En outre, les juges veulent comprendre deux autres virements en 2009 et 2010 d’une valeur cumulée de 6,9 millions $ à United Africa Group un groupe namibien dirigé par Haddis Tilahun, dont l’épouse est proche du pouvoir en place.

Est notamment impliqué le président Hage Geingob, qui a reçu des sommes mensuelles de 8550 euros entre 2008 et 2009, alors qu’il était ministre du Commerce et de l’Industrie.

Si Areva déclare que les versements entraient dans le cadre d’un partenariat pour construire une usine de dessalement, censée approvisionner en eau la mine Trekkopje, le problème est que le projet n’a pas abouti. «Les juges d'instruction suspectent la mise en place d'un schéma corruptif: Areva aurait versé des commissions en échange de l'obtention des licences minières d'exploitation et d'un statut fiscal avantageux pour Trekkopje, licences et statut octroyés par les autorités namibiennes en 2009», nous apprend l’AFP, la semaine passée.

Par ailleurs, les enquêtes suspectent certains cadres d’Areva d’avoir bénéficié de rétrocommissions. Au cœur des investigations se trouve le Belge Daniel Wouters (évoqué plus haut), ex-banquier qui a joué les premiers rôles dans les négociations sur le rachat d’Uramin, embauché en 2006 chez Areva. Est également suspecté Sébastien de Montessus, ancien patron du pôle Mines d’Areva, mis en examen le 29 mars pour «corruption», comme le rapporte Le Parisien.

 

Le cas centrafricain

Lorsqu’Areva acquiert Uramin en 2007, les premières difficultés opérationnelles qu’elle rencontre sont en Centrafrique. Le pays conteste l’acquisition de la filiale locale d’Uramin et bloque l’accès au site des travailleurs d’Areva jusqu’en mars 2008, réclamant 250 millions d’euros pour permettre au groupe français d’exploiter la mine. Areva s’appuiera sur un intermédiaire, George Forrest, présenté par Patrick Balkany, le sulfureux maire de Levallois-Perret, pour régler son différend avec le président d’alors, François Bozizé.

En novembre 2014, l’État centrafricain porte plainte contre Patrick Balkany au parquet financier de Paris, le soupçonnant d’avoir bénéficié de commissions «occultes» dans l’affaire Uramin.

Un avenant au contrat de concession minière est signé en août 2008 par Anne Lauvergeon pour 40 millions $.

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Patrick Balkany a, depuis, été mis en examen pour fraude fiscale aggravée.

En novembre 2014, l’État centrafricain porte plainte contre Patrick Balkany au parquet financier de Paris, le soupçonnant d’avoir bénéficié de commissions «occultes» dans l’affaire Uramin. Une enquête est ouverte en 2015 pour corruption d’agent public étranger.

 

Le cas sud-africain

Dans un article très documenté paru en 2012, le quotidien sud-africain Mail & Guardian croit savoir les raisons qui, selon ses enquêtes, avaient amené Areva à surpayer Uramin en 2007.

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Nicolas Sarkozy, Thabo Mbeki et Anne Lauvergeon : le deal.

Selon l’agence, la «contrepartie de ce surpaiement aurait été la garantie, de la part de l’administration Mbeki, de gagner un gigantesque appel d'offres nucléaire de 2 EPR et de plusieurs réacteurs». L’intermédiaire cette fois serait le Ghanéen Sam Jonah, cofondateur d’Uramin et proche de l’ex-président sud-africain.

Selon l’agence, la «contrepartie de ce surpaiement aurait été la garantie, de la part de l’administration Mbeki, de gagner un gigantesque appel d'offres nucléaire de 2 EPR et de plusieurs réacteurs».

Interrogée en mars 2017, Anne Lauvergeon a reconnu qu'Areva «avait été sollicitée» pour verser des commissions dans le pays, mais n’aurait pas accepté. Toutefois, son mari, Olivier Fric est poursuivi pour «délit d’initiés», soupçonné d'avoir profité d'informations privilégiées pour spéculer sur la valeur d'Uramin.

 

Pour aller plus loin : que sont devenus les trois projets «prometteurs» d’Uramin ?

Le rachat d’Uramin par Areva a été un fiasco, et l’affaire animera probablement encore les débats pendant un long moment. Aujourd’hui, aucun des projets «prometteurs» acquis en 2007 pour un montant «faramineux», n’est développé. Si la compagnie a revendu en décembre 2013 sa mine sud-africaine de Ryst Kuil à la junior australienne Peninsula Energy pour à peine 5 millions d’euros, en Centrafrique, elle a dû évacuer le site de Bakouma en 2012 et licencier 150 travailleurs.

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L’usine de dessalement d’eau d’Erongo.

En Namibie, les opérations à Trekkopje ont été suspendues « jusqu’à ce que les cours de l’uranium remontent». La dernière nouvelle de ce projet porte sur l’annonce par Areva en juin 2016 de sa volonté de vendre au gouvernement l’usine de dessalement d’eau d’Erongo pour résoudre la crise nationale de l’eau. Le montant proposé est de 200 millions $, une somme dont elle se contenterait bien en attendant de relancer un jour, peut-être, les opérations.

Louis-Nino Kansoun

Louis Nino Kansoun

 

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