Le spectre des «révoltes de la soif» plane sur le Maghreb

(Ecofin Hebdo) - Coupures d'eau récurrentes, barrages à sec, régression de la superficie des terres agricoles irriguées… A l’exception de la Mauritanie, les pays du Maghreb vivent déjà sous le seuil de la pauvreté hydrique, en raison d’un déficit pluviométrique combiné à une surexploitation des nappes phréatiques. La raréfaction continue de la ressource vitale, qui a jusqu’ici provoqué des tensions sociales sporadiques, risque de déboucher sur une plus grande instabilité dans une région considérée comme un hot-spot du changement climatique.

Le 21è siècle sera-t-il celui des guerres de l’eau, qui se matérialiseront par des affrontements entre des Etats riverains pour le contrôle d’une ressource érigée au rang d’attribut de souveraineté, ou encore par des insurrections populaires inextinguibles ? Au Maghreb, la prophétie faite par les géopoliticiens de l’or bleu depuis les années 90 du siècle dernier, risque fort de se réaliser durant les prochaines décennies.

En Algérie, l’Institut national de recherche agronomique (INRA), a déjà accusé en 2016 les autorités libyennes de provoquer une détérioration de la nappe albienne, une importante réserve aquifère non renouvelable située dans le Sahara à cheval sur trois pays (l'Algérie, la Libye et la Tunisie), en procédant à un pompage massif qui ne respecte pas les règles fixées conjointement par les pays riverains.

nappe albienne

Cette nappe, dont les réserves dépassent 40 000 milliards de mètre cube, est exploitée conformément à un accord tripartite conclu en 2008, qui fixe les quotas de chaque pays. Des experts algériens se sont aussi émus ces dernières années du contrôle total qu’exerce Tunis sur le fleuve Medjerda, qui prend sa source en Algérie mais s'écoule sur plus de 460 kilomètres, dont 350 en Tunisie. Bien qu’il coule plus de source dans la partie septentrionale du continent, l’eau ne constitue pas pour le moment un catalyseur de conflits diplomatiques et, encore moins, un casus belli dans la région. Les coupures d’eau récurrentes ont cependant déjà été un motif de protestations sociales dans plusieurs pays de la région. Les dernières manifestations en date contre le manque d’eau potable ont été enregistrées le 5 et 6 juillet dans les villes algériennes de Béchar (Sud-ouest) et de Mahelma (30 km au Sud-ouest d'Alger). A la fin de l’été 2017, des protestations similaires avaient éclaté dans les régions de Annaba, Sétif, Mila, Tizi Ouzou, ou encore Tiaret. Des habitants assoiffés avaient alors investis les locaux de l’Algérienne des eaux et des conseils municipaux.

Les dernières manifestations en date contre le manque d’eau potable ont été enregistrées le 5 et 6 juillet dans les villes algériennes de Béchar (Sud-ouest) et de Mahelma (30 km au Sud-ouest d'Alger). A la fin de l’été 2017, des protestations similaires avaient éclaté dans les régions de Annaba, Sétif, Mila, Tizi Ouzou, ou encore Tiaret.

En Tunisie, le point d’ébullition a été atteint en mai dernier, quand une cinquantaine manifestations ont été enregistrées dans les diverses régions du pays. A Sidi Bouzid, une ville du centre-ouest déshérité et frondeur du pays, où le vendeur ambulant Mohamed Bouazizi s'était immolé par le feu il y a plus de sept ans, des manifestations violentes survenues le 15 mai ont fait sept blessés, dont un dans un état grave. L’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT), la puissante centrale syndicale tunisienne qui encadrait les protestations, est allée jusqu’à décréter une grève générale dans la région en signe de protestation contres les brutalités policières.

Au Maroc aussi, le problème de l’accès à l’eau potable a suscité, tout au long du deuxième semestre 2017, des mouvements de protestation dans le sud du pays, notamment à Zagora, aux portes du désert.

A Gabes (Sud-est), des agriculteurs en colère contre le manque d’eau d’irrigation ont vandalisé, début juillet, une conduite d’eau destinée à alimenter la zone industrielle de la ville.

 manifestations de la soif

Octobre 2017 : manifestations de la soif à Zagora, au Maroc.

Au Maroc aussi, le problème de l’accès à l’eau potable a suscité, tout au long du deuxième semestre 2017, des mouvements de protestation dans le sud du pays, notamment à Zagora, aux portes du désert. Les médias marocains ont appelé ces protestations, qui ont parfois dégénéré en heurts, les «manifestations de la soif».

 

Une région aride et particulièrement vulnérable

Terre de transition entre les climats méditerranéen et désertique, les pays du Maghreb ne bénéficient du climat subhumide que sur une étroite bande littorale, alors que plus de 80% de leurs territoires sont exposés aux climats semi-aride et aride. Les ressources en eau de la région sont, de ce fait, limitées, irrégulières et fragiles.

«Le Maghreb, contrairement au Machrek, ne possède pas de bassins fluviaux qui permettraient de mobiliser des ressources hydrauliques importantes, à l’exception des oueds Oum-er-Rabî au Maroc et Medjerda, qui traverse la Tunisie et l’Algérie. Il existe donc deux catégories principales de réserves disponibles : les grandes réserves d'eau de montagne, qui servent de bassins de stockage, localisées dans le haut et moyen Atlas marocains et dans la Kabylie algérienne ; et les nappes souterraines, à différentes profondeurs, constituées de réserves renouvelables dans les régions du Nord et fossiles dans la région saharienne», souligne l’Institut français des relations internationales (IFRI) dans une étude intitulée «L’eau au Maghreb : contraintes, défis et perspectives».

Hormis la Mauritanie, tous les pays de la région vivent sous le seuil de la pauvreté hydrique, qui a été fixé par la Banque mondiale à 1000 m3 de ressources renouvelables par habitant et par an. Au Maroc, la disponibilité en eau est de 600 m3 de ressources renouvelables par habitant et par an. Les autres pays du Maghreb sont au dessous du seuil de pénurie fixé à 500 m3 par habitant et par an: l’Algérie (480 m3 / habitant/ an), la Tunisie (467 m3/ habitant/ an) et la Libye (106 m3 / habitant/ an).

En Libye et en Algérie, l’eau utilisée provient à hauteur 95 % et 60 % respectivement, de ressources fossiles souterraines non renouvelables, qui devraient s’épuiser en quelques décennies !

En Libye et en Algérie, l’eau utilisée provient à hauteur 95 % et 60 % respectivement, de ressources fossiles souterraines non renouvelables, qui devraient s’épuiser en quelques décennies !

Le World Resources Institute (WRI, Institut des ressources mondiales) a d’autre part révélé, dans une étude publiée en 2015, que l’Algérie, le Maroc, la Libye et la Tunisie figurent parmi les 33 pays du monde qui connaîtront un stress hydrique très intense à l’horizon 2040. Ce think tank américain spécialisé dans les questions environnementales a identifié les pays qui seront soumis à un stress hydrique très intense, en s’appuyant sur les données du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) relatives à la disponibilité de réserves en eau, aux variations saisonnières et inter-annuelles de la pluviométrie, à la fréquence des inondations et à la sévérité des épisodes de sécheresse.

Au Maghreb, la crise de l’eau devrait en effet s’accentuer dans les années à venir. D’autant plus que la région est considérée comme un hot-spot du changement climatique. Selon les projections des experts, la rive sud de la Méditerranée sera exposée à un déplacement des étages bioclimatiques vers le nord, ce qui se traduira par une montée des températures et une diminution des précipitations. D’après les modèles climatiques prévisionnels relatifs à cette région, il y aura une augmentation des températures de 3° et de 5° en 2050 et 2100 respectivement, avec une baisse des pluies de 20% à 50% pour ces mêmes échéances.

 

Améliorer la gouvernance de l’eau

La pénurie d’eau au Maghreb prend racine, non seulement dans l'aridité de la région, mais aussi dans la dynamique d'une demande en explosion face à une ressource limitée.

Les campagnes et les villes se livrent en effet une compétition acharnée autour de cette ressource dans un contexte d’urbanisation galopante et d’essor de l’industrie touristique. La Tunisie et le Maroc sacrifient, par exemple, d’importantes quantités d’eau pour arroser les terrains de golfes et les piscines mis chaque année à la disposition de plus de 15 millions de touristes étrangers, qui consomment chacun 500 litres en moyenne par séjour.

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Arrosage de golf à Marrakech.

L’irrigation superficielle, qui provoque d’énormes pertes d’eau à cause de l’évapo-transpiration, reste d’autre part prédominante face aux techniques d’irrigation de précision comme les systèmes goutte-à-goutte ou les diffuseurs enterrés.

La Tunisie et le Maroc sacrifient, par exemple, d’importantes quantités d’eau pour arroser les terrains de golfes et les piscines mis chaque année à la disposition de plus de 15 millions de touristes étrangers, qui consomment chacun 500 litres en moyenne par séjour.

La mauvaise gouvernance des ressources hydriques disponibles se manifeste par ailleurs à travers le manque d’entretien de réseaux de distribution et des barrages, qui font face à un problème d’évaporation de l’eau et d’envasement (accumulation de sédiments), entraînant des pertes allant de 10% à 40% des ressources mobilisées.

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15 millions de touristes étrangers, qui consomment chacun 500 litres en moyenne par séjour.

Une autre partie de la réponse au stress hydrique se trouve dans les investissements dans le dessalement de l’eau de mer, dont le coût est orienté à la baisse depuis vingt ans, ainsi que dans l’épuration des eaux usées pour alimenter l’agriculture et l’industrie.

Excepté la Libye qui semble ignorer la valeur de l’eau tant que le puits n’est pas sec, les autres pays du Maghreb ont déjà élaboré des stratégies d’adaptation au stress hydrique comme le plan national de l’eau à l’horizon 2030 au Maroc, ou encore la stratégie nationale de l’eau à l’horizon 2050 en Tunisie. Ces stratégies prévoient notamment la construction de nouveaux barrages, de stations d’épuration des eaux usées et de stations de dessalement de l’eau de mer ainsi que la réalisation de forages pour l’exploitation des eaux profondes situées dans le Sahara septentrional.

Excepté la Libye qui semble ignorer la valeur de l’eau tant que le puits n’est pas sec, les autres pays du Maghreb ont déjà élaboré des stratégies d’adaptation au stress hydrique.

Avec onze stations opérationnelles, l’Algérie est déjà très en avance dans le domaine du dessalement de l’eau de mer, qui fournit déjà 17% de l’eau potable à l’échelle nationale. Alger a programmé une cinquantaine d’autres usines de dessalement bien que l’eau ainsi produite coûte deux fois plus cher que si elle était puisée dans une nappe souterraine.

Pour Mohamed Larbi Bouguerra, ancien directeur général l’Institut National de la recherche scientifique et technique de Tunisie (INRST), expert en politiques agricoles auprès de l’Unesco et auteur de cinq ouvrages sur l’eau, dont «Les Batailles de l’eau - Pour un bien commun de l’Humanité», les pays de la région ne se sont pas cependant encore attaqués à la plus importante cause de la raréfaction de l’or bleu, en l’occurrence le délaissement des cultures séculaires peu «hydrovores» comme celles des oliviers, des grenadiers et des palmiers dattiers au profit de cultures gourmandes en eau comme celles des plantes maraîchères ou des pastèques .

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Le délaissement des cultures séculaires peu «hydrovores» comme celles des oliviers, des grenadiers et des palmiers dattiers.

«Il faut sérieusement évaluer l’empreinte-eau et les volumes d’eau nécessaires à la culture des tomates, des pastèques et des melons face à celle des olives, des dattes ou de l’arboriculture en général pour utiliser à bon escient les ressources en eau de la région», suggère-t-il, recommandant aux Etats longtemps obsédés par l’or noir, de se préoccuper davantage de l’or bleu, qui devient un enjeu planétaire majeur au moment où les changements climatiques se conjuguent avec un boom démographique et une urbanisation sans précédent.

Walid Kéfi

 

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