Soudan - Soudan du Sud : dans les méandres d’une rixe fratricide

(Ecofin Hebdo) - Depuis plus d’un demi-siècle le Soudan a toujours été perçu comme un pays de conflits permanents, de famines et de crises humanitaires. Le conflit entre le nord industrialisé et le sud riche en pétrole étant souvent au centre de ces tensions, la solution à deux Etats était perçue comme le remède ultime pour mettre fin à la saignée : c’est ainsi que naquit la République du Soudan du Sud. Pourtant, au vu des récents événements, ce remède semble avoir apporté plus de complications que de solutions aux problèmes que rencontre cette partie de l’Afrique. Ainsi, malgré la sécession, les républiques du Soudan et du Soudan du Sud restent deux des pays les plus pauvres et les plus tourmentés de la planète.

 

Soudan : les raisons d’une guerre intestine

Pour connaître les causes profondes du conflit entre le nord et le sud du Soudan, il faut remonter à la période des indépendances. La marginalisation de la région sud soudanaise, au début des années 50, lors de la mise en place d’un gouvernement devant conduire le pays à l’indépendance, créera un contexte favorable à un affrontement civil entre le nord et le sud. Celui-ci éclatera d’ailleurs dès 1955 soit quelques mois avant la proclamation officielle de la république « unitaire » du Soudan, en 1956.

En effet, après l’accession du Soudan à la souveraineté internationale, le gouvernement central de Khartoum revient sur sa promesse de créer un Etat fédéral dans lequel la région du sud-soudan obtiendrait une certaine autonomie. Cet événement déclenchera la toute première guerre civile soudanaise qui durera jusqu’en 1972. Durant toute cette période, les gouvernements qui se succèderont à la tête du pouvoir central échoueront à résoudre le conflit, qui prendra, au fil des ans, une dimension de plus en plus ethnique, voire religieuse (le nord étant majoritairement musulman, et le sud chrétien et animiste).

Après l’accession du Soudan à la souveraineté internationale, le gouvernement central de Khartoum revient sur sa promesse de créer un Etat fédéral dans lequel la région du sud-soudan obtiendrait une certaine autonomie.

Ainsi, malgré la signature d’un accord de paix en 1972 accordant un certain degré d’autonomie au sud du Soudan, les tensions resteront vives entre les deux régions jusqu’en 1983 où elles aboutiront à une nouvelle guerre civile. En effet, cette année-là, le président Gafaar Muhammad Nimeiri décidera d’appliquer la charia (loi musulmane) dans l’ensemble du pays, en l’étendant au droit pénal en vigueur. Cette décision engendrera une nouvelle guerre entre le nord et le sud, qui fera plus de 2 millions de morts et 4 millions de déplacés dans le pays pendant les 22 années qu’elle durera. L’année 2005 verra la signature d’un accord qui mettra définitivement un terme à la guerre nord-sud et jettera les bases de la création d’un nouvel Etat.

 

2011 : la naissance d’une nation

En vertu de l’accord de paix de Naivasha signé en 2005 au Kenya, la région du sud du Soudan bénéficiera d’une large autonomie jusqu’en 2011, période au terme de laquelle elle pourra organiser un référendum d’auto-détermination pour ou contre le maintien de l’union avec le nord. A cette époque, c’est John Garang, leader de la rébellion sudiste pendant la guerre, qui représentera le sud du Soudan, dans le gouvernement d’union nationale mis en place par Omar El-Béchir, pour assurer la transition jusqu’au référendum d’auto-détermination. Nommé vice-président de la République du Soudan, il décèdera six mois plus dans un accident d’hélicoptère avant d’être remplacé par un certain Salva Kiir.

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John Garang, leader de la rébellion sudiste pendant la guerre.

 

Si le président Omar El-Béchir craint que son pays ne subisse les conséquences directes d’une séparation avec le sud (celui-ci assurant la majeure partie de la production en pétrole), il décidera quand même de se plier aux résultats du référendum quels qu’ils soient.

Ainsi, le 9 janvier 2011, le référendum d’auto-détermination aura lieu. Il aboutira à une victoire écrasante du « oui » pour l’indépendance, qui sera proclamée le 9 juillet de la même année. Avec cette sécession, le Soudan perdra 25% de son territoire et la majeure partie de ses ressources pétrolières.

Le 9 janvier 2011, le référendum d’auto-détermination aura lieu. Il aboutira à une victoire écrasante du « oui » pour l’indépendance, qui sera proclamée le 9 juillet de la même année.

Si la séparation entre les deux Etats était censée garantir la paix et la prospérité entre les deux pays, force est de constater que cela a eu plus d’impact négatif que positif pour les deux populations.

 

Des conflits persistants malgré la séparation

Malgré la séparation entre les deux états, les conflits, entre et au sein, des deux Soudan ne s’en sont pas pour autant arrêtés.

Ainsi, à ce jour, les deux pays continuent de se disputer plusieurs territoires en raison d’une délimitation encore floue des frontières qui les séparent. A cet effet, un conflit ayant déjà fait plus de 100 000 déplacés, a éclaté en 2011 dans le Sud-Kordofan, où les deux pays réclament la possession de la région riche en pétrole de l’Abiyé.

De plus, chacun des deux pays fait face des conflits internes qui menacent leur stabilité. Ainsi, si le Soudan faisait déjà face depuis 2003 à la crise au Darfour qui a fait plusieurs centaines de milliers de victimes dans l’ouest du pays, le conflit interne sud-soudanais a, quant à lui, éclaté juste après l’indépendance de 2011. En effet, en 2013, après le limogeage par le président Salva Kiir de son vice-président Riek Machar, suite à l’annonce de son intention d’être candidat aux prochaines élections présidentielles, un conflit opposant les deux leaders éclatera dans le jeune état.

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Le vice-président Riek Machar devenu le rival du président Salva Kiir.

 

Si les dissensions entre les populations du Sud datent de bien longtemps, avant même la naissance de l’Etat sud-soudanais, elles prendront une nouvelle tournure à partir de là.

Cette guerre qui a déjà fait plus de 2 millions de réfugiés et des centaines de milliers de morts, pour des luttes de pouvoir que cache mal la bipolarité ethnique du conflit (les dinkas de Salva Kiir contre les Nuers de Riek Machar), témoigne d’une certaine immaturité du jeune Etat à garantir la paix et la stabilité.

Si la résurgence des conflits est l’aspect le plus visible des événements ayant suivi la séparation entre les deux pays, il n’en est pas moins vrai que les secteurs socio-économiques des deux nations en ont également gravement pâtis.

 

Des économies en berne malgré les ressources

Avant la séparation, la République unitaire du Soudan était déjà l’un des pays les plus pauvres au monde et, malheureusement, la création du nouvel Etat sud-soudanais n’a pas amélioré les statistiques des deux pays.

Ainsi, privée de sa principale manne financière (le pétrole sud-soudanais), la croissance soudanaise s’est inscrite sur une courbe descendante depuis quelques années (4,9% en 2015, 4,7% en 2016 et 4,1% en 2017 selon la Banque mondiale) alors que l’inflation se situe à un niveau élevé et que la dette extérieure du pays ne cesse de croître. Selon les données du FMI, cette dernière se situait à 81,3% du PIB en 2015 et devrait avoisiner les 98% en 2018.

De l’autre côté de la frontière la situation est encore plus critique. En effet, selon le FMI, la croissance du PIB du pays a diminué de près de 20% entre 2015 et 2016 et « l'inflation annuelle a atteint environ 550 % en septembre 2016 avant de redescendre à 370 % en janvier 2017 ». Au plan social près de la moitié de la population serait dans une situation d’insécurité alimentaire, qu’aggrave la situation de famine déclarée dans plusieurs régions du pays. De plus, les nombreuses crises qu’a traversé le jeune Etat même avant sa naissance, ont contribué à l’effondrement du système éducatif dans la région et à la naissance d’une « génération perdue » dont plusieurs membres alimentent désormais le flux de réfugiés traversant la Méditerranée.

Les nombreuses crises qu’a traversé le jeune Etat même avant sa naissance, ont contribué à l’effondrement du système éducatif dans la région et à la naissance d’une « génération perdue » dont plusieurs membres alimentent désormais le flux de réfugiés traversant la Méditerranée.

Pourtant la résolution de ces crises économiques, au-delà du simple rétablissement de la paix, semble passer par une mise en commun des efforts des deux pays afin d’exploiter au mieux les richesses dont elles disposent.

 

Le pétrole : le motif inévitable de la cohabitation pacifique ?

Avec la sécession, Djouba, la capitale sud-soudanaise, est parti avec 80% des réserves pétrolières du Soudan d’avant scission, et plus de la moitié de sa capacité de production journalière. Or, entre la découverte de pétrole au Soudan en 1999 et aujourd’hui, la ressource est devenue le moteur de l’économie en représentant environ 80% de ses exportations, donc la principale source de financement de l’économie. « Le Soudan est devenu plus vulnérable dans la mesure où il a besoin de cette ressource à laquelle il s’est habitué depuis 12 ans, qui lui a permis de mener la guerre du Darfour », commentait alors au micro de TV5 Monde, Marc Lavergne, directeur de recherche au Groupe de recherche et d’enseignement sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (GREMMO).

Début 2012, des affrontements ont éclaté entre les deux pays pour le contrôle de la région pétrolière de Heglig. Les deux parties n’avaient toujours pas réussi à délimiter le territoire dans cette zone à cause des intérêts en jeu. Les désaccords se poursuivent jusqu’à ce jour et constituent le principal point d’achoppement dans la relation entre les deux pays.

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Salva Kiir et Omar El-Béchir : les désaccords se poursuivent jusqu’à ce jour.

 

Comme toutes les autres économies africaines atteintes de la maladie hollandaise, le Soudan ne connait que le pétrole. La question était alors : comment relancer l’économie sans le pétrole ? La réponse sera très vite trouvée. En effet, Khartoum, qui a gardé les unités de traitement du pétrole et les pipelines, essentiels pour monétiser les ressources pétrolières, va demander à son voisin des frais de transit prohibitifs. Jusqu’à 34 dollars par baril transporté. Ceci alors que le prix du pétrole était en moyenne de 80 dollars. A cette époque, Djouba n’était prêt à verser que 4 à 5 dollars pour les frais de transport.

Khartoum, qui a gardé les unités de traitement du pétrole et les pipelines, essentiels pour monétiser les ressources pétrolières, va demander à son voisin des frais de transit prohibitifs. Jusqu’à 34 dollars par baril transporté.

Face à la position clairement affichée du Soudan pour ainsi essayer d’équilibrer ses recettes publiques, Djouba cède, après plusieurs mois de négociations, à un prix de transit de 24 dollars le baril.

Mais le statu quo établi sera très vite bouleversé par la chute des prix du pétrole dès mi-2014. Comme tous les pays producteurs de pétrole, les économies des deux pays sont affectées.

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Le conflit a déjà fait plus de 100 000 déplacés.

 

Le déclic est venu du parlement sud soudanais, qui en novembre 2016, a suggéré, à l’unanimité l’arrêt de la production pétrolière car elle constituait « une aide financière inappropriée au Soudan ». Selon GocMakuac Mayol, le président de la commission des finances, outre les différentes charges, le Soudan du Sud ne percevait que 19,67% des recettes pétrolières contre 80,33% pour le Soudan. Il a donc été proposé un réexamen de l’accord de 2012 car la situation entraînait un déficit de l’ordre de 47% chaque année.

Selon GocMakuac Mayol, le président de la commission des finances, outre les différentes charges, le Soudan du Sud ne percevait que 19,67% des recettes pétrolières contre 80,33% pour le Soudan.

L’objectif de la pause était de créer un rapport qui placerait le Soudan du Sud en position de force et de contraindre Khartoum à négocier. Techniquement, les experts estimaient que Djouba était parti pour remporter le bras de fer tant le Soudan etait dévasté. Plus de 75% de la population vit dans les villages et les hameaux sans aucune ressource. Les richesses étant concentrées aux mains de l’élite administrative, politique et financière. En effet, très vite, un accord est (re)trouvé et stipule que les frais de transit seront désormais négociés en fonction des cours.

Ce qui n’enlève rien à la volonté affichée des deux parties de se battre pour le contrôle des régions non encore délimitées et riches en pétrole, à leurs frontières respectives...

Moutiou Adjibi et Olivier de Souza

 

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