Taxer les réseaux sociaux : après l’Ouganda, le Tchad, le Bénin… d’autres y pensent très fort

(Ecofin Hebdo) - Sous le prétexte de mettre fin au commérage qui nuit à l’image du pays, la taxe exigée par le président ougandais, Yoweri Museveni, pour accéder aux services tels que Facebook, WhatsApp, Skype, etc, est officiellement entrée en vigueur le 1er juillet 2018. Un précédent qui a incité d’autres pays à lui emboiter le pas. Va-t-on vers une généralisation des réseaux sociaux payants en Afrique ? Tour d’horizon des pays qui ont osé…

Dans la correspondance adressée en avril 2018 à l’Autorité fiscale d’Ouganda (URA) et au ministère des Finances, le président de la République d’Ouganda, Yoweri Museveni, avait demandé l’institution d’une taxe sur les applications Over-The-Top (OTT) comme Facebook, WhatsApp et autres. Celle-ci est officiellement entrée en vigueur le 1er juillet 2018 à minuit. Les tarifs pratiqués sont de 200 shillings ougandais (0,05 dollar US) par jour, 1400 shillings (0,36 dollar US) par semaine et 6000 shillings (1,56 $) par mois.

 OTT Tax

L’imposition entre peu à peu dans les habitudes

 

Malgré les mouvements de protestation organisés par les consommateurs dans les rues de Kampala, et même l’action judiciaire intentée par un collectif d’avocats devant la Cour constitutionnelle, l’imposition entre peu à peu dans les habitudes.

Les tarifs pratiqués sont de 200 shillings ougandais (0,05 dollar US) par jour, 1400 shillings (0,36 dollar US) par semaine et 6000 shillings (1,56 $) par mois.

Cette décision du chef de l’Etat ougandais de taxer l’accès aux OTT, il l’avait justifié comme un moyen de combattre le commérage qui nuit à l’image du pays. Il avait définit cette taxe comme la contribution des « mauvaises langues » sur Internet au développement de la nation. Mais dans son désir de préserver l’honneur de la nation, Yoweri Museveni a ressuscité un vieux démon : celui de la régulation des OTT en Afrique. Trois ans après l’assurance ferme des uns et des autres de garantir un accès libre à Facebook, WhatsApp, et autres, la voie tracée par l’Ouganda pourrait susciter aujourd’hui un changement radical à travers le continent, mais certainement pas pour les mêmes raisons.

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Comme l’Ouganda, de nombreux pays songent de plus en plus à réguler ouvertement les OTT pour mettre un terme à certains comportements qu’ils jugent abusifs et dangereux.

 

Cameroun : éviter le désordre

Au Cameroun, par exemple, lors de la conférence des services centraux et extérieurs de son ministère, tenue du19 au 20 janvier 2018 à Yaoundé, Minette Libom li Likeng, la ministre des Postes et Télécommunications, avait dénoncé « la multiplication d’actes de distorsion de la réalité » par des cybercriminels et des utilisateurs des réseaux sociaux. Dans ce contexte, la patronne du secteur télécoms local, avait souligné que « l’enjeu de la régulation pour les pouvoirs publics est d’éviter que les progrès technologiques et la libéralisation des télécommunications ne soient utilisées à des fins de désordre, à travers une veille sécuritaire et la surveillance des réseaux sociaux ».

 

Tchad : bloquer les OTT plutôt qu’Internet

Au Tchad, le blocage a finalement prévalu sur la sensibilisation et l’éducation des utilisateurs telles que décidées en mars 2018 en Conseil des ministres par le gouvernement du Togo. A N’Djaména, les réseaux sociaux sont inaccessibles depuis mars 2018. Pour l’opposition, il s’agit de tuer dans l’œuf tout appel à manifestation contre le régime. Le 25 janvier 2018, les autorités avaient bloqué l’accès aux réseaux sociaux après que plusieurs organisations de la société civile et syndicats se soient concertées sur Internet, la veille, pour une marche pacifique dans les rues de plusieurs grandes villes du pays. Les manifestants dénonçaient entre autres la mauvaise gouvernance, les injustices de toutes sortes et les mesures anti-sociales prises par le gouvernement, notamment la hausse du prix du carburant, la multiplication des taxes, l’arrêt du paiement des salaires des fonctionnaires et l’interdiction du bois de chauffe.

Le 25 janvier 2018, les autorités avaient bloqué l’accès aux réseaux sociaux après que plusieurs organisations de la société civile et syndicats se soient concertées sur Internet, la veille, pour une marche pacifique dans les rues de plusieurs grandes villes du pays.

Le gouvernement semble avoir compris que bloquer WhatsApp, Facebook et les autres applications s’avère plus judicieux que bloquer Internet comme par le passé. Avec la connexion data maintenue, les activités commerciales se poursuivent sans heurts et le pays évite d’enregistrer une perte financière du niveau des 13 milliards FCFA estimés par l’organisation Internet Sans Frontière (ISF) après le blocage d’Internet durant 235 jours suivant l’élection présidentielle d’avril 2016.

 

Zambie : sanctionner les abus et protéger les recettes des télécoms

La Zambie, comme l’Ouganda, a aussi décidé d’une régulation des OTT. Mais ici, la mesure est à deux niveaux. Le premier, Mofyta Chisala, le directeur général de l’Autorité zambienne des technologies de l’information et de la communication (ZICTA), avait expliqué en juin dernier qu’il permettra de lutter contre la prolifération de messages haineux et plusieurs autres interventions mettant en danger la sécurité des personnes et de la nation. Il a alors été décidé que les administrateurs de groupes WhatsApp devront désormais les enregistrer auprès de ses services et élaborer un code d’éthique ou de conduite que devront respecter les membres. En cas de dérives sur ces groupes, ce sont les administrateurs qui seront arrêtés et devront répondre des fautes de leur groupe face aux autorités. Le 05 juillet 2018, face aux députés, le ministre de la Communication, Brian Mushimba, expliquait que plusieurs lois dites de cybersécurité sont en cours d’élaboration et le gouvernement voudrait que ces lois entrent en vigueur en 2019.

 Brian Mushimba

Brian Mushimba veut stopper « les comportements abjects »

Le ministre soulignait qu’« il est évident que les réseaux sociaux en Zambie sont devenus le moteur du détachement des membres de notre société de nos normes culturelles (…) Les cas d'impostures, d'insultes, d'abus, de fausses accusations et d'escroquerie sur les réseaux sociaux ont atteint un niveau alarmant.». Sur un ton d’avertissement, il ajoutait « que tous ceux qui se livrent à ces comportements abjects tremblent, le gouvernement ne restera pas les bras croisés ».

« Les cas d'impostures, d'insultes, d'abus, de fausses accusations et d'escroquerie sur les réseaux sociaux ont atteint un niveau alarmant.».

Au second niveau de sa régulation des OTT, le gouvernement zambien a dévoilé des raisons financières. Dans un communiqué, Dora Siliya, la ministre de l'Information et des Services de radiodiffusion a annoncé qu’un tarif journalier de 0,30 dollar US sera bientôt imposé sur les appels émis via WhatsApp, Viber, Skype au regard l’augmentation du nombre d'appels via Internet- qui permet de gagner en temps de communication- au détriment des appels téléphoniques traditionnels. Une situation qui met en danger les activités des opérateurs de télécommunications. La taxe proposée sera collecté par les opérateurs télécoms et les fournisseurs d’accès à Internet.

 

Bénin : un soutien fiscal au Trésor public

Au Bénin, c’est pareil. Même si l’Etat ne précise pas les raisons derrière l’imposition d’une taxe sur les Mégaoctet destinés aux voix de contournement, il n’en demeure pas moins que la mesure fait rentrer de l’argent dans les caisses de l’Etat. La mesure est donc un soutien fiscal au Trésor Public. Le décret N° 2018-341 du 25 juillet 2018 portant introduction d’une contribution sur la consommation des services de communications électroniques fournis par les réseaux ouverts au public, signé par le président de la République, Patrice Talon, sur proposition du ministre de l’Economie et des Finances, arrête qu’il est fixé une imposition de « 5 FCFA hors taxe par mégaoctet pour l’accès à Internet utilisé pour fournir un service par contournement [plateforme OTT] ou une plateforme de réseau social ». La taxe qui est prélevée mensuellement par l’opérateur ou le fournisseur ayant délivré le service, est versée dans les caisses du Trésor public. Elle est en vigueur depuis le 03 août 2018 et suscite une vive polémique.

 

Sénégal : une mesure de prudence

Au Sénégal qui envisage également une régulation des OTT, l’Etat voudrait s’aménager une solution de repli en cas de menace des OTT sur le volume des revenus perçus auprès des sociétés télécoms. C’est la raison du projet de loi portant Code des communications électroniques adopté en juin 2018.

La raison financière d’une régulation des OTT découle du fait que les Etats ne gagnent de l’argent que si les opérateurs télécoms en gagnent aussi.

Dans son article 27, il stipule que « l’Autorité de régulation peut autoriser ou imposer toute mesure de gestion du trafic qu’elle juge utile pour, notamment, préserver la concurrence dans le secteur des communications électroniques et veiller au traitement équitable de services similaires ». La raison financière d’une régulation des OTT découle du fait que les Etats ne gagnent de l’argent que si les opérateurs télécoms en gagnent aussi. Dans chaque marché, il existe une taxe sur le chiffre d’affaires des sociétés télécoms. Son pourcentage varie selon le pays. Plus le revenu des opérateurs télécoms baisse, du fait d’une fragilisation de segments d’activités comme la voix et le SMS; avec impact sur le chiffre d’affaires global ; plus le pourcentage reversé au Trésor public est faible. Le trafic Data, même s’il augmente avec les OTT, ne pourra pas compenser sur le long terme les pertes combinées des deux segments d’activités. Les gouvernements estiment donc, sous la justification de garantir une saine concurrence et de protéger les investissements des sociétés télécoms classiques qui déboursent de l’argent pour une licence télécoms, des charges opérationnels, des investissements et des charges fiscales, qu’il est opportun de réguler les OTT-qui ne leur rapporte rien- soit par un blocage soit par une taxe.

Au premier trimestre 2018, les appels par OTT représentaient déjà 17% des appels émis dans le monde alors qu’ils ne représentaient que 7% en 2014.

Selon un rapport de la société de données et d’analyse, Global Data, le trafic voix traditionnelle dans le monde continue de croître, mais lentement tandis que l’utilisation des OTT pour le service voix avance rapidement. Au premier trimestre 2018, les appels par OTT représentaient déjà 17% des appels émis dans le monde alors qu’ils ne représentaient que 7% en 2014. Dans son Global Digital Report 2018, We Are Social indique que l’Afrique enregistrait 191 millions d’utilisateurs actifs de réseaux sociaux et OTT pour 1,040 milliard de connexions mobiles en juin 2018.

Quid du consommateur ?

Pour les consommateurs, réguler les OTT soit à travers la surveillance des plateformes soit par l’imposition d’une taxe pose le même problème: l’atteinte à la liberté d’expression. Pour Internet sans Frontières, contrôler les conversations, le contenu des communications va à l’encontre de la constitution et des nombreuses conventions internationales relatives à la liberté d’expression ratifiées par les Etats.

En 2016, le cabinet américain Xalam Analytics mettait déjà les Etats en garde face au danger que représentent les OTT pour les opérateurs de téléphonie mobile.

Les manifestations organisées dans divers pays qui ont décidé de taxer démontrent aussi le mécontentement des consommateurs qui y voient un moyen d’entraver la forte capacité à communiquer que leur confère ces outils, par rapport aux opérateurs classiques.

smartphones

 

En 2016, dans son étude Future of African Mobile Profitability, le cabinet américain Xalam Analytics mettait déjà les Etats en garde face au danger que représentent les OTT pour les opérateurs de téléphonie mobile. Il proposait alors des solutions pour éviter le pire. D’après le directeur de cette structure, Guy Zibi, trois niveaux de solution étaient essentiels aux sociétés télécoms: « Sur le plan économique, en intégrant potentiellement les offres OTT dans leurs packages de services et en nouant des partenariats avec ces OTT. Ensuite sur le plan technologique, en intégrant potentiellement une approche flexible qui valorise le trafic payant de ces acteurs. Enfin, en se basant sur l’axe réglementaire, extrêmement important, qui consiste à travailler avec les autorités de régulation pour s’assurer que tous les fournisseurs de services sont soumis aux mêmes règles ».

Muriel EDJO

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