Idrissa Ouedraogo : film de la vie d’un étalon si cher au cinéma africain

(Ecofin Hebdo) - Quand on meurt, on ne disparaît jamais vraiment, surtout quand on a tant compté. La mort elle-même a-t-elle hésité à jouer un rôle dans la triste fin d’un homme si important ? Car il ne faut pas s’y tromper. Idrissa Ouédraogo parti, c’est une parenthèse enchantée, un véritable conte du cinéma africain qui se termine. Au final, il meurt après avoir joué, caméra au poing, un grand rôle dans l’histoire du cinéma africain.

 

Sa fin, racontée par son frère Tahirou Ouédraogo, rappelle les dialogues à la fois simples et poignants de ses films. « A 5 h du matin, j’étais à ses côtés, on était main dans la main. Il me disait : Tahirou, je m’en vais. Je lui ai répondu : je viens avec toi ».« Non, non », a-t-il alors repris. A ce moment, je voyais l’infirmière entrer avec mes deux cousins. Idrissa s’est alors redressé pour s’asseoir. Il a tendu sa main en riant. Puis après, il a fermé les yeux», pour ne plus les rouvrir. C’est dans un éclat de rire que le cinéma africain a perdu l’un de ses plus grands représentants, un cinéaste dont le travail abordait, avec un esthétisme bien à lui, les questions philosophiques et idéologiques du continent africain.

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C’est dans un éclat de rire que le cinéma africain a perdu l’un de ses plus grands
représentants. (Photo aOuaga.com)

L’étalon qui voulait devenir cinéaste

Contrairement à l’opinion de Christine Angot, pour qui être artiste est « un plan B, le résultat d’un échec », le 7e art était le premier choix d’Idrissa Ouédraogo. « Au lycée de Ouagadougou, je me suis inscrit dans le groupe des militants. C’étaient des élèves qui consacraient leurs vacances à apporter du soutien scolaire aux plus faibles, et aussi à organiser des manifestations culturelles », avait-il confié dans une interview accordée à Africultures. Cette période a d’ailleurs forgé sa conception du cinéma, art qu’Idrissa Ouedraogo aimait utile. Dès ses premiers montages, « le cinéma c’était faire des films à caractère socio-éducatif ». Pour lui c’était une évidence. « Quand on savait le nombre d’enfants qui mourraient du paludisme en Afrique, de la diarrhée et de toute autre maladie parce que on ne filtre pas assez l’eau, le cinéma c’était filmer comment boire de l’eau filtrée, faire connaitre les différentes techniques de filtrages, comment lutter contre les moustiques », expliquait-il.

« Quand on savait le nombre d’enfants qui mourraient de la diarrhée et de toute autre maladie parce que on ne filtre pas assez l’eau, le cinéma c’était filmer comment boire de l’eau filtrée »

Idrissa Ouédraogo appréciait beaucoup ce type de cinéma à caractère éducatif et a développé grâce à lui une véritable passion pour le 7e art. En 1976, une fois le baccalauréat obtenu, il en était sûr, il voulait vivre en réalisant des films. « Je voulais entrer à l’Institut des hautes études cinématographiques à Paris, l’IDHEC. Je ne savais pas ce que c’était, je connaissais juste le nom. Malheureusement, après le bac je n’ai pas pu y entrer, donc j’ai fait l’Institut africain d’études cinématographiques à l’université de Ouagadougou (INAFEC) », avait-il révélé en interview. Pour savoir qu’il entrerait finalement à l’IHDEC, il lui aurait fallu disposer du film complet de sa vie pour pouvoir faire un flashforward et avancer vers 1981.

En attendant, à l’INAFEC, Idrissa Ouédraogo entre dans le bureau exécutif de l’association des étudiants voltaïques (venant de Haute-Volta, ancien nom du Burkina Faso). Pendant sa 3e année, le mouvement déclenche une grève au terme de laquelle plus de 800 étudiants sont renvoyés, dont le natif de Banfora. Les études du cinéaste sont alors mises entre parenthèses pendant quelques mois, mais il finira par avoir son diplôme et sort même major de sa promotion. Il doit alors réaliser un film de fin de formation.

« J’ai eu de la chance parce que le film m’a ouvert les portes dans mes relations avec les Soviétiques qui m’ont donné une bourse »

A ce moment, deux acteurs viendront jouer un rôle qui se révèlera capital dans la vie d’Idrissa Ouédraogo. Il s’agit des célèbres réalisateurs africains Sembene Ousmane et Souleymane Cissé. « J’ai dû travailler pendant un an à la Direction de la production cinématographique du ministère, et pendant ce temps j’ai pu réaliser un court métrage en 1981, Poko, qui a obtenu le prix du meilleur court-métrage au FESPACO de la même année. Sembène Ousmane était le président du jury, il avait fait l’Institut du cinéma de Moscou, et il m’a fortement encouragé à aller y étudier. J’ai eu de la chance parce que le film m’a ouvert les portes dans mes relations avec les Soviétiques qui m’ont donné une bourse », expliquera des années plus tard le cinéaste Burkinabé. Il rencontre également le célèbre cinéaste Souleymane Cissé, formé à Moscou, qui achève de le convaincre de poursuivre ses études en Russie. Mais alors qu’il arrive en Russie, le cinéaste va faire face à un changement de scénario. « On m’a ramené à Kiev pour entrer à la faculté préparatoire de cinéma, or je faisais une fixette sur l’école VGIK (l'Institut national de la cinématographie S. A. Guerassimov) de Moscou. Comme je n’ai pas pu y avoir accès, je suis revenu sur Paris. J’avais parallèlement passé le concours d’entrée à l’IDHEC, mais je n’avais eu aucune réponse. Un jour, je m’y suis rendu avec un ami, et là, ils m’ont annoncé que j’avais été reçu au concours d’entrée et qu’ils m’attendaient depuis quatre mois. J’y suis resté, j’ai fait mes films d’école, des courts métrages un peu documentaires comme Les écuelles, ou Issa le tisserand (1984). Et juste quand je finissais l’IDHEC j’ai pu réaliser mon premier film Le choix (Yam Daabo, 1986) ». Après un diplôme d’études approfondies en cinéma, obtenu à la Sorbonne, il réalise Yaaba, en 1988.

 

Ce que le cinéma africain doit à Idrissa Ouedraogo

Il y a dans le cinéma d’Idrissa Ouedraogo, le rythme lent, contemplateur, propre à la culture de l’oralité, aux contes africains. Son sens du cadrage, aussi bien des visages que des paysages rehausse la qualité de son œuvre qui semble avoir été entièrement dédiée à traiter du conflit entre tradition et modernité dans les sociétés africaines. Déjà, avec « Yaaba », qui raconte l’amitié entre un garçon et une vieille femme considérée par les villageois comme une sorcière, le cinéaste s’attaque aux idées reçues africaines sur les personnes âgées. Dans les années 80, avec la modernisation du continent, les personnes du 3e âge, pourtant respectées dans la tradition, sont prises en grippe et accusées de sorcellerie. Le sujet est traité de manière saisissante et la camera habilement maniée par Idrissa Ouédraogo conduit le film au festival de Cannes 1989 où Yaaba reçoit le prix de la critique.

Le chef d’œuvre de sa carrière sortira l’année suivante. Il s’agit de « Tilaï ». Ce film, est distingué grand prix du Festival de Cannes en 1990 et étalon d’or de Yennenga 1991, récompense suprême de la compétition.

En Afrique, Yaaba reçoit, la même année, le prix du public au FESPACO (Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou). Le chef d’œuvre de sa carrière sortira l’année suivante. Il s’agit de « Tilaï ». Ce film, est distingué grand prix du Festival de Cannes en 1990 et étalon d’or de Yennenga 1991, récompense suprême de la compétition. Il raconte l’histoire de Saga, qui fait son retour dans son village après deux ans d’absence. Sa fiancee, Nogma, est devenue la deuxième femme de son père. Ils s'aiment toujours, se rencontrent et font l'amour. Pour le village, c'est un inceste et Saga doit mourir. Kougri, son frère, est désigné pour le tuer. Ce dernier refuse et laisse s'enfuir Saga. Seules sa mère et Nogma connaissent la vérité. Nogma le rejoint. Ils vivent heureux jusqu'au jour ou Saga apprend que sa mère est mourante. Il décide de revenir au village.

Tilai

Avec « Tilaï », Idrissa Ouédraogo gagne sa reconnaissance internationale.

Le succès du film est mondial et vaut à Idrissa Ouédraogo une reconnaissance internationale dans sa profession. Le burkinabé enchainera les succès aussi bien sur petit que grand écran, avec des séries comme Kadie Jolie ou des longs métrages comme la comédie dramatique « Samba Traoré » qui reçoit l’Ours d’argent à la Berlinale en 1993. En 2002, Idrissa Ouédraogo participe à 11'09"01, le long métrage collectif sur les attentats du World Trade Center. Son morceau de film, durant lequel des collégiens croient reconnaître Ben Laden dans les rues de Ouagadougou, brille par un humour qui a le mérite de mettre en apposition un drame occidental avec la tragédie quotidienne que constitue la pauvreté en Afrique. Après 2002, ses films sont beaucoup moins présents en salle, la faute au manque de financement. Déterminé à poursuivre son parcours, le cinéaste burkinabé continue tant bien que mal de réaliser ses films.

Idrissa Ouedraogo

« Je m’en vais… »

Malade, il murissait toujours la poursuite de ses projets « Boukari Koutou », « Le Manguier » et le « Rêve de Sita ». Si ces films, eux, ne seront pas achevés, par leur concepteur, cela n’enlève rien à l’œuvre très aboutie du cinéaste qui aura fait partie de ceux qui ont donné leurs lettres de noblesses au cinéma. Alors qu’Idrissa Ouédraogo a été mis en terre le 20 février, à Goughin, à 438 km de la ville de Banfora où il a vu le jour, le 21 janvier 1954, tous les amateurs de cinéma espèrent que sa passion, elle, germera pour donner de nombreux fruits.

 

Servan Ahougnon

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