Julius Malema : la vie à contre-courant

(Ecofin Hebdo) - Exclu par l’ANC, il y a quelques années, Julius Malema, l’enfant terrible du parti, a réussi à créer la 3e formation politique du pays, en nombre de députés. Alors que les élections générales se profilent à l'horizon, Cyril Ramaphosa, président par intérim, ne peut plus se permettre de garder éloigné celui que les townships semblent désormais considérer comme leur billet pour sortir de la pauvreté.

Le 2 février dernier, à quelques mois des élections générales sud-africaines de mai prochain, le Parti des combattants pour la liberté économique (EFF) a présenté son programme devant plus de 20 000 militants, au stade de Soshanguve, à Pretoria. Dans ce programme de société, le parti de gauche radicale, troisième formation politique du pays, met en avant des thématiques chères à son leader Julius Malema, comme le chômage, la réappropriation des terres par les populations noires et la lutte contre la corruption.

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Julius Malema a imposé son parti de gauche radicale.

 

Le natif du township de Seshedo, le sait : ces thématiques sont les plus susceptibles de provoquer le ralliement des laissés pour compte de la nation arc-en-ciel, le cœur de cible de sa formation politique, mais également des déçus de l’ANC, son ancien parti. Ce dernier n’a pas oublié comment le parti qui a bercé ses plus jeunes années l’a exclu comme un paria.

 

La pierre qu’a rejetée l’ANC…

En Afrique du Sud, la plupart des campus universitaires sont désormais parés de rouge, la couleur du parti de Julius Malema. La section jeunesse de la formation politique a pris le contrôle des conseils représentatifs des étudiants des universités du Witwatersrand, à Johannesburg, du Cap, mais également à l’université de l’Etat-Libre, à Bloemfontein, et dans celle de technologie de Vaal. Dans les ghettos, le parti et son leader sont également considérés par de nombreuses personnes comme une solution aux maux du pays. L’EFF, très dynamique sur les réseaux sociaux, a réussi sa campagne de communication.

Pourtant, en 2012, après l’exclusion de Julius Malema du Congrès national africain (ANC), de nombreux observateurs prédisaient la fin de sa carrière politique. Contre toute attente, en 2014, un an seulement après sa création, l’EFF est devenue la 3e formation politique en obtenant 6,35% des suffrages aux élections générales.

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« Ma grand-mère a 87 ans. Elle m’a demandé de ne rejoindre l’ANC sous aucun prétexte, même après sa mort.»

 

En 2016, après avoir obtenu 8,19% des voix aux élections municipales, le parti se permet même de jouer les arbitres entre l’ANC et l’Alliance Démocratique (DA), le principal parti d’opposition. Ce dernier bénéficiera du soutien de l’EFF pour prendre la mairie de Nelson Mandela Bay, avant que le parti de Julius Malema ne s’associe à l’ANC pour faire tomber Athol Trollip, le maire dont « les rouges » avaient favorisé l’élection. La puissance de Julius Malema et de l’EFF est telle que Cyril Ramaphosa, président par intérim, propose au leader et à sa formation de rallier l’ANC. L’offre sera déclinée. « Ma grand-mère a 87 ans. Elle m’a demandé de ne rejoindre l’ANC sous aucun prétexte, même après sa mort. Je préfèrerais encore quitter la politique pour devenir analyste sur la radio locale Power FM », avait alors déclaré Julius Malema.

Entre lui et l’ANC qui l’a exclu en 2012, entre autres, pour avoir ouvertement critiqué le président de l’époque Jacob Zuma, l’inimitié est trop forte.

Entre lui et l’ANC qui l’a exclu en 2012, entre autres, pour avoir ouvertement critiqué le président de l’époque Jacob Zuma, l’inimitié est trop forte. A tel point que le chef de l’EFF n’envisage plus jamais rallier cette formation pour laquelle il se disait prêt à mourir. De l’amour à la guerre, il n’y a qu’un pas. Désormais, Julius Malema s’emploie à détruire ce qu’il a aimé.

 

Tuer le père

Tuer le père, pour Julius Malema, a d’abord consisté à détruire Jacob Zuma. Pourtant, en 2008, alors que le président était accusé de fraudes et de corruption, l’actuel leader de l’EFF a déclaré devant un auditoire qu'il serait prêt « à prendre les armes et tuer pour Zuma ». Cette déclaration sera vivement condamnée. Que du bruit pour Julius Malema.

Alors que le président était accusé de fraudes et de corruption, l’actuel leader de l’EFF a déclaré devant un auditoire qu'il serait prêt « à prendre les armes et tuer pour Zuma ».

A cette époque, l’idylle avec Jacob Zuma et l’ANC est passionnée. C’est la seule formation politique qu’a connu celui qui est né le 3 mars 1981 dans le Township de Seshego, dans la province du Limpopo. Il rejoint, à seulement 9 ans, le mouvement Masupatsela, pionnier de l’ANC. On est alors en 1990, dans une période cruciale pour l’Afrique du Sud. Né dans une famille victime de l’apartheid, Julius Malema épouse totalement les idées révolutionnaires du mouvement. Sa première tâche au sein de Masupatsela consiste à déchirer les affiches du parti au pouvoir de l’époque, collées à l’extérieur des commissariats.

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2008 : prêt « à prendre les armes et tuer pour Zuma »

 

Quelques années plus tard, alors qu’il a 14 ans et est au lycée, le fougueux militant intègre la ligue des jeunes du congrès national africain (ANCYL) et reçoit une formation militaire. La belle affaire ; ses résultats scolaires ne sont pas franchement excellents.

Quelques années plus tard, alors qu’il a 14 ans et est au lycée, le fougueux militant intègre la ligue des jeunes du congrès national africain (ANCYL) et reçoit une formation militaire.

En 1995, il est élu chef de la branche régionale de l’ANCYL à Seshego. Deux ans plus tard, il devient président du Congrès des étudiants sud-africains (COSAS) pour la province du Limpopo. En 2001, il est élu à la tête de l’organisation. Entre 2005 et 2007, il est un des plus fervents partisans de Jacob Zuma dans la guerre intestine de l’ANC, qui l’oppose à Thabo Mbeki, alors président de l’ANC et de la République.

En 2007, Jacob Zuma devient président de l’ANC. Un an après, Julius Malema devient président de l’ANCYL, au terme d’un scrutin si critiqué qu’il ne prend fonction qu’en juin 2009. Le poste de président de l’ANCYL, occupé dans le passé par Nelson Mandela, est l’un des tremplins les plus sûrs pour la fonction de président de l’ANC et Julius Malema aurait pu suivre ce chemin sans ses prises de positions extrêmes et ses déclarations empreintes de haine.

Le poste de président de l’ANCYL, occupé dans le passé par Nelson Mandela, est l’un des tremplins les plus sûrs pour la fonction de président de l’ANC

Il déclarera, à propos d'une fille prétendument violée par Jacob Zuma : « elle ne peut pas avoir été violée. Elle a plutôt passé du bon temps puisqu'elle est restée jusqu'au petit matin et a réclamé un petit déjeuner, ainsi que l'argent du taxi ». Il chante également à plusieurs reprises, en public, une chanson de l’époque de la lutte antiapartheid, incitant à « tuer le Boer ».

Il chante également à plusieurs reprises, en public, une chanson de l’époque de la lutte antiapartheid, incitant à « tuer le Boer ».

Devenu gênant, il sera réprimandé publiquement par l’ANC et son président Jacob Zuma. Vexé, Julius Malema n’hésite pas à critiquer publiquement ce dernier. Cela conduira à son exclusion du parti en mars 2012. Mais cette décision, prise pour le freiner, ne fera que le propulser encore plus sur le devant de la scène. Il continuera de critiquer Jacob Zuma et de demander sa démission. Cette victoire sur « le père » de l’ANC, il l’obtiendra en début d’année 2018, lorsque le président sera contraint de démissionner.

 

Vox Populi

Exclu de l’ANC, Julius Malema va cultiver la fibre populiste qu’on lui connaît depuis plusieurs années. En août 2012, après la tragédie de la mine de Marikana où la police a tiré sur des grévistes, Julius Malema traite Cyril Ramaphosa de meurtrier.

En août 2012, après la tragédie de la mine de Marikana où la police a tiré sur des grévistes, Julius Malema traite Cyril Ramaphosa de meurtrier.

L’actuel président est alors l’un des actionnaires et administrateurs de la mine. Dans la foulée de cet évènement, Julius Malema se rend auprès des familles des mineurs et les assiste. Il en profite pour leur présenter une de ses idées : la nationalisation des mines, qui devient une des revendications de l’EFF, le parti qu’il créera en juillet 2013. Il se rend dans les ghettos, où la population des townships, essentiellement noire, végète dans la pauvreté, malgré la fin de l’apartheid. Il leur parle de l'expropriation sans compensation des fermiers blancs qui possèdent la grande majorité des terres cultivables du pays.

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2012 : il traite Cyril Ramaphosa de « meurtrier.»

 

Jouant de la frustration des populations noires démunies, Julius Malema et son parti gagnent en puissance. Le ton de l’ancien de l’ANC se fait moins acerbe, sans perdre de son tranchant. Il lisse sa communication et cible les jeunes. Son parti et lui se font plus présents sur les réseaux sociaux. Il est désormais la voix du peuple, des plus démunis et autres oubliés de la société dont la situation est, selon lui, une conséquence du capitalisme des blancs. Même les déçus de l’ANC commencent à se tourner vers son parti.

Il est désormais la voix du peuple, des plus démunis et autres oubliés de la société dont la situation est, selon lui, une conséquence du capitalisme des blancs.

Pourtant, Julius Malema n’est pas une oie blanche. Contrairement aux personnes habitant dans les ghettos, il est riche. Lorsqu’il est questionné sur son train de vie, il se défend en disant que la question ne se pose pas pour un Blanc. Pourtant, entre 2013 et 2015, il a été accusé de fraude et de détournement, avant que les charges ne soient abandonnées après un grand nombre de reports du procès.

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Lui-même, un riche fermier.

 

Malgré tout, espoir des ghettos, Julius Malema est en campagne pour les élections de mai prochain. Pour lui, « Cyril Ramaphosa, c’est du vieux vin dans une bouteille neuve. Rien n’a rien changé. Ce sont toujours les mêmes ministres, impliqués dans les mêmes affaires de corruption, qui sont en poste ».

Pour lui, « Cyril Ramaphosa, c’est du vieux vin dans une bouteille neuve. Rien n’a rien changé. Ce sont toujours les mêmes ministres, impliqués dans les mêmes affaires de corruption, qui sont en poste ».

Mais réaliste, l’homme sait qu’il ne battra pas l’ANC durant ces élections, pas encore. « Personne ne remportera la majorité absolue lors de cette élection. Nous allons être un facteur décisif en Afrique du Sud après ces élections. L'ANC, l'Alliance démocratique et tous les autres partis devront faire appel à l'EFF, s'ils veulent former un gouvernement de coalition », a déclaré Hlengiwe Hlophe-Maxon, secrétaire général adjoint de l'EFF. Ce rôle d’arbitre n’empêche certainement pas Julius Malema d’attendre patiemment son heure. Il faut dire qu’il a le temps, il n’a que 37 ans. 

Servan Ahougnon

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