Agence Ecofin TikTok Agence Ecofin Youtube Agence WhatsApp
Agence Ecofin
Yaoundé - Cotonou - Lomé - Dakar - Abidjan - Libreville - Genève

Printemps arabe : les Soudanais attendent leur tour

  • Date de création: 21 janvier 2012 23:10

(Agence Ecofin) - Omar El-Béchir sera-t-il la prochaine victime du printemps arabe ? Les Soudanais sont de plus en plus nombreux à le souhaiter.

C’est une chanson que l’on se répète à l’envi entre Soudanais, notamment chez les jeunes : « Le grand jour est proche. Toutes les raisons sont rassemblées. » Après la Tunisie, l’Egypte et la Libye, beaucoup espèrent l’arrivée du printemps arabe à Khartoum et, à travers lui, le départ d’Omar El-Béchir après 22 ans de règne.

La situation actuelle du Soudan ne peut qu’encourager ces espoirs. Car la position du président sous le coup d’un mandat d’arrêt international se fragilise à tous les niveaux.  Au premier rang desquels, son propre territoire. Au sud du pays, les forces armées soudanaises affrontent les rebelles favorables au Soudan du Sud depuis plusieurs mois. Les combats ont commencé en mai dernier à Abyei, dont l’appartenance au Nord ou au Sud reste indéterminée. Les conflits se sont ensuite propagés à l’Etat du Sud-Kordofan, puis à celui du Nil Bleu en septembre. Dans ces régions frontalières avec le Soudan du Sud, indépendant depuis le  du 9 juillet dernier, Khartoum utilise la force pour seule réponse.

Réprimer plutôt que convaincre : cette méthode est aussi utilisée dans les rues de la capitale.

En janvier, les étudiants ont organisé quelques manifestations anti-gouvernementales, rapidement matées par la police. Plus récemment, en septembre et en octobre, des rassemblements spontanés pour protester contre l’inflation ont été dispersées à coup de gaz lacrymogènes et de matraque.

Inflation
L’augmentation des prix des denrées alimentaires est une grosse épine dans le pied d’Omar El-Béchir. Le gouvernement ne parvient pas à limiter la hausse des prix. L’inflation a ainsi atteint 21,1 % au mois d’août.  Une faille dans laquelle l’opposition espère bien s’engouffrer pour mobiliser la population. « La crise économique est la raison principale de la colère de la population. C’est à cause de l’augmentation des prix que les gens manifestent », déclare Youssef Hussein, le porte-parole du Parti communiste.

« Un kilo de viande coûte 30 (11,2 $, selon le taux officiel) et parfois même 36 livres soudanaises  (13,4 $). Il y a un an, c’était 20 livres (7,5 $) » confirme Yasser Mirgani Abdulrahmann, directeur de la Société soudanaise de protection des consommateurs à l’agence Reuters. En septembre, son organisation a appelé à  boycotter la viande en guise de protestation.

Dialogue de sourds
Des protestations, ou du moins des mésententes, apparaissent aussi au sein du parti du Congrès National (le NCP), la propre famille politique d’Omar El-Béchir. En juin, Nafie Ali Nafie, conseiller du président, a signé un texte reconnaissant la branche nord du Mouvement de libération du peuple soudanais (SPLM-N), proche du Soudan du Sud.  Le désaveu d’Omar El-Béchir a été sans appel : le parti a été interdit. Cet été, Ibrahim Ahmed Omar, ministre des Sciences et des Technologies et membre du bureau politique du NCP, a demandé ouvertement l’abandon du « dialogue de sourds » avec les partis d’opposition ».   Des opinions divergentes qui poussent Mohamed El-Mekki, professeur de sciences politiques à l’université de Khartoum, à faire ce constat : « Le NCP n’est clairement plus un parti structuré. Pour survivre, il doit évoluer, mais ça ne semble pas être le cas pour le moment. »

Rebellions, frontières, inflation : « Le Soudan doit affronter de nombreux problèmes en ce moment. Est-ce que le gouvernement pourra les résoudre ?  s’interroge Mohamed El-Mekki, sceptique. C’est très sérieux. Beaucoup de gens qui restent pour le moment assis pourraient se lever. »

Le peuple
De l’autre côté de l’échiquier politique, on tente de s’organiser. Les partis d’opposition se sont unis au sein d’une alliance nommée « Forces du consensus national ». L’objectif ne fait aucun doute : renverser Omar El-Béchir, mais tous disent attendre que « le peuple se soulève ». Pour le moment, le souffle du printemps arabe ne rafraîchit pas les rues de la Khartoum.

Rachid Onour l’explique par un problème d’organisation. Le jeune homme fait partie du groupe « Girifna » (« Assez » en arabe), qui est à l’origine des manifestations estudiantines du début d’année. Il raconte : « La police nous traque partout. Pas seulement dans la rue, mais aussi sur Internet. C’est très difficile de se réunir. »

Les partis politiques, eux, ont une structure qui pourrait faciliter la mobilisation. Mais leur manque la confiance de la population. « Elle est frustrée, déçue par ces formations politiques », explique la psychanalyste Mayada Abdalla Swar Eldahab.

« De toute façon, les mouvements en Egypte et en Tunisie ont débuté sans leader, sans organisation, remarque Mohamed El-Mekki. Les gens peuvent descendre dans la rue à n’importe quel moment. »

L’après-Béchir

046_bechir

Les « vieux partis » qui n’ont plus la confiance de la population, sont également très divisés. Les « Forces du consensus national »  deviennent alors assez cacophoniques. Le parti Oumma  souhaite une « démocratie compatible avec le Coran », selon les propres termes de son chef Saddiq el-Mahdi. Celui-ci appelle à un « Djihad civique » contre le gouvernement. « La Charia n’a jamais été véritablement appliquée », affirme son beau-frère, Hassan al-Turabi, responsable du Parti du Congrès national populaire. En revanche, Souad Ibrahim Ahmed, membre du comité central du Parti communiste, rejette en bloc la Charia : « plus jamais ça ». Cette féministe de 77 ans préfère parler « d’égalité, de paix et de démocratie ».

Malgré tout, les Soudanais, qui souhaitent la fin du régime, gardent espoir.  La chanson a un refrain. Implacable : « Nous avons déjà renversé deux gouvernements en place. Alors pourquoi pas une troisième fois ? » Le rêve de marquer 2011 d’une croix après 1964 et 1985 s’accompagne d’un autre désir exprimé par Souad Ibrahim Ahmed : « Lorsque Omar El-Béchir quittera le pouvoir, nous pourrons réunifier les deux Soudan ».

Article de Maryline Dumas paru dans Le Quorum No 1 – Décembre 2011.

www.lequorum.com

Enveloppe Recevez chaque semaine la lettre
Ecofin Droits