Fake news : « Les fausses nouvelles sont plus originales, et les gens ont plus de chances de partager des informations originales »

(Ecofin Hebdo) - La lutte contre les fake news est-elle un combat perdu d’avance ? Des chercheurs du MIT on fait une grande étude sur le thème des fake news.

 

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Sur Twitter, les fake news se propagent beaucoup plus vite que la vérité

Elles se diffusent beaucoup plus rapidement et touchent davantage de gens : trois chercheurs du MIT décortiquent le mécanisme de propagation des fausses nouvelles.

L'ère Trump est celle des "fake news", mais peu d'éléments scientifiques étaient jusqu'à présent disponibles sur la manière dont elles se propagent. Aujourd'hui, trois chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT), Soroush Vosoughi, Deb Roy et Sinan Aral, réparent ce manque en publiant une étude à grande échelle sur la diffusion des fausses nouvelles, ce que l'on désigne souvent par l'anglicisme "fake news ".

Dans cette étude, parue jeudi soir dans le magazine "Science", ces spécialistes des interactions homme-machine et de l'analyse des mécanismes des réseaux sociaux ont décortiqué la transmission de l'information, révélant des éléments pour le moins surprenants.

 

Après l'attentat de Boston

A l'origine de cette étude, un constat effectué par Soroush Vosoughi lors de l'attentat du marathon de Boston en avril 2013. "Twitter est devenu notre source principale d'informations", explique le chercheur. "J'ai réalisé qu'une bonne partie de ce que je lisais sur les réseaux sociaux était des rumeurs, des fausses nouvelles." Avec son professeur de l'époque et d'autres collègues, il a commencé à étudier la propagation des nouvelles, vraies et fausses.

Dans l'étude publiée ce jeudi, plutôt que de se focaliser sur le chemin suivi par quelques événements significatifs, les chercheurs ont misé sur la quantité pour déterminer, indépendamment des thèmes véhiculés, ce qui pouvait différencier la propagation d'une fausse nouvelle par rapport à une vraie ou même une "mixte", une nouvelle comportant des éléments vrais et des éléments faux.

"Même si les expressions 'fake news' et 'désinformation' impliquent également une distorsion volontaire de la vérité, nous ne prétendons rien sur les intentions des pourvoyeurs des informations que nous avons analysées. Nous concentrons plutôt notre attention sur la véracité et sur les histoires qui ont été vérifiées comme vraies ou fausses," avertissent les auteurs de l’étude.

Des rumeurs en cascade

Le mécanisme de diffusion d'une nouvelle sur les réseaux sociaux est organisé en "cascades". Une cascade débute lorsqu'un utilisateur va diffuser une information, vraie ou fausse. Cette information sera ensuite reprise par d'autres utilisateurs dans une sorte d'effet boule de neige. Mais une même nouvelle peut faire l'objet de plusieurs cascades, lorsque des utilisateurs différents vont de manière indépendante commencer à diffuser la même information ou rumeur.

Par exemple, si je découvre une information intéressante sur un site et que j'en tweete le lien (ou que je le partage sur une autre plateforme), je démarre une cascade sur cette information qui va éventuellement provoquer des retweets qui eux-mêmes déclencheront d'autres retweets. Mais d'autres personnes peuvent avoir également tweeté le même lien de leur côté, déclenchant des cascades séparées.

Pour chaque cascade, les chercheurs ont notamment déterminé la profondeur (nombre de retweets par d'autres utilisateurs depuis l'origine), la taille (le nombre d'utilisateurs impliqués dans la cascade), la largeur (nombre maximum d'utilisateurs à un moment donné)…

"Plus loin, plus vite, plus largement"

Les auteurs de l'étude ont pu constater que les fausses nouvelles sont diffusées "significativement plus loin, plus vite, plus profondément et plus largement que la vérité dans toutes les catégories d’information".

Pour une même cascade, les fausses informations ont ainsi touché beaucoup plus de personnes que les vraies. "Alors que la vérité est rarement diffusée à plus de 1.000 personnes, le top 1% des cascades de fausses nouvelles touche généralement entre 1.000 et 100.000 personnes", précise l'étude. Le constat est que beaucoup plus de personnes retweetent des informations fausses que la vérité. C'est cette diffusion virale, qui ne passe pas par les canaux habituels de transmission verticale d'informations, qui va faire la différence.

Les fausses nouvelles auraient ainsi 70% de chances supplémentaires d'être retweetées que les véritables informations, et par un beaucoup plus grand nombre d'utilisateurs uniques.
La diffusion des fausses nouvelles est également rapide : "Il faut à la vérité à peu près six fois plus longtemps que la fausseté pour toucher 1.500 personnes", expliquent les scientifiques.

Les informations (vraies ou fausses) les plus diffusées appartiennent en premier à la catégorie politique. Viennent ensuite les légendes urbaines, les affaires, le terrorisme, la science, les loisirs et les catastrophes naturelles. Ce n'est pas vraiment une surprise, mais les fake news politiques sont celles qui touchent le plus de monde et sont les plus virales : "Elles touchent 20.000 personnes en trois fois moins de temps qu'il en faut à une vraie nouvelle pour en toucher 10.000"

Les influenceurs et les robots n'y sont pour rien

On pourrait croire que des influenceurs sont à l'origine de la propagation large et rapide des fausses nouvelles, mais il n'en est rien. Ce ne sont pas ceux qui ont le plus d'abonnés à leur fil Twitter, qui postent le plus souvent ou qui sont "vérifiés" qui expliquent ce mouvement, au contraire. Ceux qui diffusent les fausses nouvelles ont moins de "followers", suivent moins de personnes et sont moins actifs (et moins vérifiés).

Les robots, ces programmes automatisés qui font du retweet à la chaîne, sont aussi souvent suspectés. L'étude montre qu'ils n'y sont pas pour grand-chose. Les trois chercheurs ont identifié les "bots" et ont effectué des analyses avec et sans eux sans que cela ne change les résultats : "Les fausses nouvelles se diffusent plus loin, plus vite, plus profondément et plus largement que la vérité parce que les humains, et pas les robots, ont plus de chances de les répandre", affirme l'étude. Le terreau des fake news, ce serait donc monsieur et madame-tout-le-monde…

Les fausses nouvelles plus originales que les vraies ?

En modélisant les probabilités d'être retweeté, les auteurs ont donc découvert que les fausses informations avaient 70% de chances supplémentaires d'être retweetées que la vérité. Pourquoi un tel écart ? La réponse pourrait être "l'originalité". "La nouveauté attire l'attention, contribue à une prise de décision productive et encourage le partage de l'information parce que la nouveauté met à jour notre compréhension du monde," décryptent les auteurs.

Ils ont ainsi analysé les différences entre les tweets auxquels était exposé un échantillon d'utilisateurs avant qu'ils ne diffusent une information. En comparaison, "les fausses nouvelles étaient, de manière significative, plus originales que la vérité, en exhibant une unicité d'information nettement plus importante".

"Les fausses nouvelles sont plus originales, et les gens ont plus de chances de partager des informations originales", explique Sinan Aral. Sur les réseaux sociaux, les personnes qui sont les premières à diffuser une information jusque-là inconnue attirent l'attention. Ils "semblent être au courant". Même si l'information en question se révèle fausse.

“Pour les auteurs, "même si nous ne pouvons pas affirmer que l'originalité provoque les retweets ou que la nouveauté est la seule raison pour laquelle les fausses nouvelles sont retweetées plus souvent, nous avons découvert que les fausses nouvelles sont plus novatrices et que cette information originale a plus de chances d'être retweetée ».

Ils ont également étudié les émotions associées aux fausses nouvelles (déterminées par le vocabulaire des utilisateurs qui les rediffusaient). Surprise et dégoût étaient en tête chez les fake news, alors que les véritables informations inspiraient davantage de tristesse, d'anticipation, de joie et de confiance. Pour les trois chercheurs, "les émotions exprimées en réponse aux fausses informations pourraient éclairer des facteurs additionnels, en plus de la nouveauté, qui inspirent les gens à partager des fausses nouvelles ».

Que faire contre les fake news ?

Si elle a pour ambition de décortiquer certains mécanismes de la diffusion des fake news, l'étude du MIT n'offre pas de solutions miracle. "Il faut davantage de recherches sur les explications comportementales des différences de diffusion entre les vraies et fausses nouvelles", admettent les auteurs. "Comprendre comment les fausses nouvelles se diffusent est la première étape pour les contenir. »

Pour Vosoughi, Roy et Aral, les résultats de leur étude donnent cependant une piste importante : il faut s'occuper du comportement des utilisateurs, alors que "s'il s'agissait juste de robots, nous aurions eu besoin d'une solution technologique ».

"Si des personnes diffusent volontairement des fausses nouvelles alors que d'autres le font sans le savoir, le phénomène est double et nécessite de multiples tactiques pour y répondre", suggère Soroush Vosoughi.

En tant qu'utilisateur, on peut également appliquer une solution de bon sens suggérée par Deb Roy : "Réfléchir avant de retweeter. »

Une étude à grande échelle

Soroush Vosoughi, Deb Roy et Sinan Aral ont étudié la manière dont des nouvelles, fausses et vraies, ont été diffusées sur Twitter entre 2006 et 2017. Ils ont analysé le parcours de 126.000 d'entre elles, rediffusées plus de 4,5 millions de fois par 3 millions de personnes.

Pour déterminer si les nouvelles étaient vraies ou fausses, les trois chercheurs ont fait appel à six organisations indépendantes spécialisées dans le fact-checking. Le résultat est ce que certains qualifient déjà comme "la plus grande étude longitudinale [suivie dans le temps] jamais réalisée sur la diffusion des fausses nouvelles en ligne ».

Le but avoué des trois chercheurs est de répondre aux "deux des questions scientifiques les plus importantes : comment la vérité et la fausseté se diffusent de manière différente, et quels facteurs du jugement humain expliquent ces différences".

https://www.nouvelobs.com/sciences/20180308.OBS3317/sur-twitter-les-fake-news-se-propagent-beaucoup-plus-vite-que-la-verite.html

 

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