Atténuer les risques dans la crise actuelle : quelques conseils pour les entreprises pétrolières (Centurion)

(Ecofin Hebdo) - Dans une contribution publiée la semaine passée, Onyeka Ojogbo, avocate nigériane, responsable de la représentation en Allemagne du cabinet juridique Centurion (spécialisé dans les questions énergétiques), a proposé aux entreprises du secteur quelques mesures à prendre pour mieux résister à la crise actuelle. En Allemagne, elle gère l’un des portefeuilles les plus importants du groupe en Europe ; ce qui fait d’elle l’une des pièces capitales des plans de développement de Centurion, dans l’accompagnement de nombreux gouvernements et entreprises pétrolières en Afrique.

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Me Onyeka Ojogbo : « prendre les mesures nécessaires pour réduire tous les risques associés ».

 

Si la chute des prix du pétrole, qui dure depuis le début de l’année, annonce une hécatombe sur l’économie mondiale, les dégâts sont déjà au rendez-vous pour les entreprises du secteur. Partout dans le monde, les entités de la chaine de valeur pétrolière, quelle que soit leur taille, subissent de plein fouet la situation. Réduction des budgets de dépenses, suspension ou réduction des programmes de travail, licenciements ou dépôts de bilan sont les grandes lignes de l’actualité des entreprises du secteur depuis plusieurs semaines. Etant donné que les possibilités de reprise du marché, à très court terme, sont de jour en jour plus minces, Me Onyeka Ojogbo indique qu’elles « doivent envisager et prendre toutes les mesures nécessaires pour réduire tous les risques associés ». Sa contribution publiée vise à les y aider.

 

Renégocier les contrats

Que ce soient les contrats de partage de production, de coentreprise, de services et autres accords de financements, l’avocate conseille aux entreprises d’adapter leurs différents contrats à la situation. En effet, outre les difficultés existantes, l’effet combiné de la pandémie et de l’effondrement des prix est susceptible d’entraîner plus de contraintes, notamment sur le plan financier.

En Afrique, les compagnies pétrolières internationales et les sociétés de services étrangères pourraient ne pas être en mesure de respecter, ne serait-ce qu’une infirme partie de leurs engagements en matière de dépenses d'investissement ou de règlement de dettes. Les éventuelles réductions de production et la baisse de la demande pourraient davantage affecter leurs capacités à faire face aux obligations de remboursement, dans le cadre des instruments de financement. Par conséquent, il est crucial que les parties cherchent à résilier ou à renégocier les contrats existants. « Les entreprises devraient examiner leur position et commencer à se préparer à cette éventualité », insiste-elle.

Il est crucial que les parties cherchent à résilier ou à renégocier les contrats existants. « Les entreprises devraient examiner leur position et commencer à se préparer à cette éventualité », insiste-elle.

Selon Me Ojogbo, les principaux éléments à prendre en compte lors de la renégociation des contrats pendant cette période sont : la capacité des parties (Etat/compagnie) à respecter leurs engagements d'investissement dans des coentreprises ou des contrats de partage de production, les prix du brut et la demande mondiale de brut qui affecteront les créances futures, la capacité à obtenir d'autres financements après le Covid-19, la stabilité politique et économique du pays hôte, toute modification du droit positif qui affecte la stabilité du contrat actuel et les obligations liées au contenu local.

Les entrepreneurs et prestataires de services indépendants représentent un groupe de contractants qui peuvent être particulièrement frappés par la crise. Il leur est conseillé de revoir en profondeur et dans les moindres détails les termes de leurs accords, car les petites entreprises de services sont les plus vulnérables. « Cela préparera l'entreprise à mettre en œuvre les mesures nécessaires pour amortir tout manquement jusqu'à ce que des solutions contractuelles spécifiques puissent être trouvées », affirme l’experte.

En Amérique du Nord, plusieurs entreprises ont très vite compris les enjeux et se sont lancées dans des projets de renégociation de leurs accords. On estime que 30% des entreprises de l’amont à l’aval devraient mettre la clé sous la porte si la crise persiste.

 

Rechercher des allègements fiscaux

La baisse des prix du pétrole n’arrange ni les compagnies ni leurs partenaires, les Etats. Aucun d’eux ne réussira à atteindre ses prévisions de recettes, cette année. Mais elles peuvent mieux résister en se serrant les coudes, préconise Me Ojogbo.

« Malgré l'impact négatif de la pandémie et de la chute des prix du brut sur les opérations et les finances des entreprises, ces dernières ont encore d'énormes obligations fiscales envers les gouvernements, qui doivent être remplies. Certains pays offrent actuellement des allégements fiscaux et des montages fiscaux aux entreprises pour atténuer les impacts économiques négatifs. Il est important que les entreprises déterminent leur admissibilité à ces allégements », a-t-elle conseillé.

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Gabriel Mbaga Obiang Lima : « Nous voulons donner à nos entreprises de services locales les moyens de résister à la tempête et d’éviter toute perte d’emploi »

 

Fin mars, le gouvernement équato-guinéen a décidé de renoncer aux redevances des compagnies de services pétroliers présentes sur le territoire, afin de les aider à traverser la crise. Ceci, pendant une période de trois mois. Gabriel Mbaga Obiang Lima, le ministre du Pétrole, a précisé qu’il s’agit de la première d’un lot de mesures qui seront prises au fur et à mesure de l’évolution de la situation. « Le ministère des Hydrocarbures a pris la décision unanime de renoncer à ses redevances pour les sociétés de services, pour une durée de trois mois. Nous reconnaissons que le secteur pétrolier reste le plus grand employeur du secteur privé dans le pays et nous voulons donner à nos entreprises de services locales les moyens de résister à la tempête et d’éviter toute perte d’emploi », avait souligné le dirigeant.

Malabo a, par ailleurs, accordé certains allégements fiscaux, notamment une réduction de l'impôt minimum sur le revenu de 3% à 1,5%. Cependant, cet allègement ne s'applique pas pour le moment aux entreprises du secteur pétrolier.

D'autres gouvernements ont accordé une certaine extension pour les paiements d'impôts. Il est probable qu’ils procèdent à des allégements et des exonérations fiscales spécifiques aux sociétés pétrolières et gazières si la crise persiste, pense la juriste. Mais il revient aux sociétés d’aller chercher ces allègements fiscaux en ouvrant des négociations avec les gouvernements. Autrement, elles pourraient très vite se retrouver asphyxiées.

 

Prendre en considération les dispositions liées à la force majeure

Généralement prévu dans la conclusion d’un contrat pétrolier, le cas de force majeure dégage une partie de la responsabilité de la société quand il s’agit d’inexécution d’un ou de certains termes de l’accord. La force majeure se réfère généralement à la survenance d'un événement qui échappe au contrôle de la partie touchée. Dans sa contribution, Onyeka Ojogbo indique que les effets de la force majeure sur le contrat (y compris la suspension de toute obligation ou le droit de résiliation éventuel) et la procédure pour signaler un événement de force majeure à l'autre partie, sont très importants à prendre en compte dans une situation comme celle-ci. Ceci, pour déterminer si une partie peut bénéficier de cette disposition et dans quelle mesure elle peut être utilisée. Il convient donc d’en faire bon usage.

Récemment, la société britannique Tower Resources qui opère le bloc offshore Thali au Cameroun a déclaré un cas de force majeure sur le périmètre, en raison des répercussions de la crise. La société prévoyait, jusque-là, de forer le puits Njom-3, crucial pour une monétisation optimale du périmètre situé dans le bassin du Rio del Rey.

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La force majeure se réfère généralement à la survenance d'un événement qui échappe au contrôle de la partie touchée.

 

Pour sa part, BP a envoyé un avis de force majeure à Golar LNG, dans le but de retarder la réception de son navire flottant de production Gimi FLNG sur son projet gazier Grand Tortue Ahmeyim. Initialement prévue pour être livrée en 2022, l’installation sera livrée en 2023. Très peu convaincu par la posture de BP, son contractant Gimi MS, filiale de l’armateur Golar, en charge du projet de conversion du méthanier, a demandé à BP de préciser comment un cas de force majeure qui n’est apparu qu’à la fin du mois de mars 2020, pourrait avoir un impact immédiat d’un an sur le calendrier. Les deux parties s’entretiennent actuellement sur la question. 

Au Nigéria, Shell qui opère le terminal d’exportation de Forcados a également déclaré un cas de force majeure après la fermeture de ses pipelines. Toutefois, la force majeure a été levée depuis et le réseau d'oléoducs de Forcados, le deuxième en importance dans le Delta du Niger, a été rouvert. Si la situation actuelle persiste, il est probable que davantage d'entreprises chercheront à suspendre leurs obligations en utilisant des clauses de force majeure.

« Il est important de noter que si certaines clauses de force majeure autorisent la suspension de toutes les obligations, d'autres ne couvrent que la suspension des obligations non monétaires », nuance la juriste.

 

Protéger l’emploi

En cette période, les entreprises peuvent être confrontées à des difficultés pour maintenir leur personnel sur le terrain et veiller à ce que des niveaux adéquats de mesures de santé et de sécurité soient toujours fournis. Il peut être illégal de résilier un contrat de travail à ce stade, comme c'est le cas sur plusieurs chantiers au Sénégal. L'entreprise pourrait envisager l'option du congé, mais dans des pays comme le Gabon, l'approbation de l'inspection des travaux sera nécessaire pour cela.

Il devient prudent de discuter avec les experts du travail dans le pays et de suivre de près les décisions gouvernementales pour tout changement des lois ou règlements affectant le travail, ajoute la représentante de Centurion.

Dans les pays où il n'y a pas de mesures de confinement et où les entreprises sont toujours en activité, l'entreprise doit s'assurer que des politiques anti-Covid-19 et des mesures de santé adéquates sont mises en place pour protéger les employés.

« On ne saurait trop insister sur la protection des travailleurs sur le lieu de travail pendant cette période. Certains pays ont rapidement adopté des lois et réglementations en matière de santé et de sécurité pour faire face à la propagation de la pandémie. Ces lois peuvent être applicables sur les lieux de travail. L'entreprise doit considérer ces dispositions et les mettre en œuvre efficacement », relève Me Ojogbo.

Olivier de Souza

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