Les Kenyans dans la spirale du crédit sur mobile

(Ecofin Hebdo) - Au Kenya, la croissance continue de l’industrie de la fintech (technologie financière) a largement favorisé les prêts sur téléphone mobile. FSD Kenya – un programme local indépendant de renforcement de l’inclusion financière – a compté 49 plateformes mobiles de prêt, dans ce secteur très peu réglementé, qui compte pourtant des acteurs financiers majeurs : Kenya Commercial Bank, Commercial Bank of Africa, Equity Bank et Coop Bank.

FSD Kenya a compté 49 plateformes mobiles de prêt, dans ce secteur très peu réglementé.

Cette décennie 2010, le Kenya s’est affirmé comme un centre technologique fertile à l’expression des innovations financières. Le paiement par mobile s’est alors massivement répandu, avec plus de 86 % des Kenyans possédant un téléphone portable en 2019. L’explosion de M-Pesa, le service de l’opérateur télécoms Safaricom, en est la réussite la plus flagrante. Il n’est donc pas surprenant que les prêts non réglementés se soient développés si fortement dans le sillage de l’évolution technologique, dans ce pays est-africain.

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M-Pesa, pionner et leader de la finance sur mobile.

 

En plus de 10 ans d’existence, M-Pesa, leader national de la finance sur mobile, a servi de socle à toute la fintech locale, dont les services de prêt instantané qui ont remporté un franc succès dans le pays. Ils viennent soulager les Kenyans non bancarisés, ou dont les revenus ne sont pas assez réguliers pour emprunter auprès des banques traditionnelles. 

Dans le crédit de pair-à-pair, tout le monde est susceptible d'être un jour débiteur ou créancier. Par contre, la fintech voit le gros des Kenyans principalement comme des emprunteurs.

Les relations de prêts ont toujours existé au Kenya. Historiquement, amis, famille, etc. se sont prêtés et empruntés en échange interpersonnel, dans une interdépendance sociale normale. Ce qui change aujourd'hui, c'est l’absence de réciprocité. Dans le crédit de pair-à-pair, tout le monde est susceptible d'être un jour débiteur ou créancier ; les conditions peuvent être revues en fonction des difficultés, et les délais et marges restent objet de négociations. Par contre, la fintech voit le gros des Kenyans principalement comme des emprunteurs. Des travailleurs précaires aux classes moyennes les plus favorisées, ils sont matraqués de sollicitations publicitaires incitant à prendre toujours plus de crédit.

 

Utilité des prêts sur mobile

Une enquête conjointe de FSD Kenya et de la Banque centrale, publiée en avril 2019, a montré que l'inclusion financière (l'accès aux produits et services financiers) est passée de 27 % de Kenyans en 2006 à 83 % en 2019, sachant que M-Pesa a été lancé en 2007, et a émis ces premiers prêts courant 2012.

La finance sur téléphone portable a aidé de nombreuses personnes – dont les pauvres, surtout des jeunes et des femmes – qui autrement seraient restées sans banque. L’accès au crédit a été démocratisé par ces services numériques, mais des questions se posent quant à la protection des pauvres dans leur fonctionnement.

En 2017, FSD Kenya a indiqué que la plupart des Kenyans utilisent le crédit par mobile pour les affaires (l’investissement et le paiement de salaires) et pour répondre aux besoins quotidiens du ménage.

Le crédit sur mobile aide les petites entreprises à se développer et à maitriser les flux de trésorerie quotidiens. Il aide également les ménages à faire face aux imprévus tels que les urgences médicales. Toutefois, 35 % des emprunts sont destinés à la consommation, y compris les besoins ménagers ordinaires, les forfaits de communication et les articles à usage personnel ou domestique.

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35 % des emprunts sont destinés à la consommation.

 

37 % des emprunteurs ont déclaré utiliser le crédit par mobile dans les affaires, et seulement 7 % l’ont utilisé pour des urgences, à rebours des experts du développement et des professionnels de l’investissement qui anticipaient un taux beaucoup plus élevé.

 

Etat et fonctionnement du crédit mobile

Par ailleurs au Kenya, la rapidité et la facilité d'accès au crédit sur mobile ont entraîné un endettement lourd de nombreux emprunteurs. Au moins un client sur cinq a du mal à rembourser ses créances. C'est deux fois le taux des prêts commerciaux non productifs des banques classiques.

Malgré de petits montants, les prêts par mobile sont souvent très onéreux. Des taux d’intérêt élevés atteignant parfois 43 %, voire bien des fois un coût annualisé de 100 %, sans oublier les pénalités de retard.

Malgré de petits montants, les prêts par mobile sont souvent très onéreux. Des taux d’intérêt élevés atteignant parfois 43 %, voire bien des fois un coût annualisé de 100 %, sans oublier les pénalités de retard.

Le modèle commercial du prêt sur mobile repose sur l'incitation constante des gens à prendre un crédit. Les emprunteurs potentiels reçoivent des SMS et des appels téléphoniques intrusifs leur faisant miroiter des taux extraordinaires. 

Les clients ne savent pas toujours exactement ce qu'ils devront payer en frais et taux d'intérêt, ni à quelles autres conditions ils sont soumis. De plus, le modèle a été accusé de faire en sorte que les emprunteurs cèdent, sans s’en rendre compte, une partie importante de leurs données personnelles à des tiers renonçant à leurs droits à la dignité. Certaines plateformes contactent même la famille et les amis des emprunteurs pour se faire rembourser.

De plus, le modèle a été accusé de faire en sorte que les emprunteurs cèdent, sans s’en rendre compte, une partie importante de leurs données personnelles à des tiers renonçant à leurs droits à la dignité.

En effet, l’expérience digitale du crédit au Kenya devient – sans jouer les Cassandre – tout de même préoccupante. Il en ressort une forme nouvelle de violence, progressive et insidieuse, virtuelle – mais nettement palpable pour les concernés –, qui ne s’exerce pas à travers les relations sociales négociables ou la menace juridique, mais plutôt avec l'accumulation furtive de données personnelles, la marchandisation de la réputation et l'instrumentalisation de la socialité. 

Il en ressort une forme nouvelle de violence, progressive et insidieuse, virtuelle qui s’exerce à travers l'accumulation furtive de données personnelles, la marchandisation de la réputation et l'instrumentalisation de la socialité. 

Les clients se retrouvent dans des circuits financiers qui ne poussent aucunement vers l’autonomisation de l’individu, mais à la rentabilité continue de la dette numérique.

 

Inquiétudes liées au prêt sur mobile

Le grand danger de ce modèle commercial est la culture de la dette, qui s’est propagée comme un sous-produit des prêts sur mobile. Les emprunteurs tombent dans l’engrenage et vivent de prêts en accumulant des créances douteuses, qui nourrissent leur vulnérabilité. Il faudra pourtant bien un jour assainir le système dans l’intérêt de tous.

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Le grand danger de ce modèle commercial est la culture de la dette.

 

Déjà, bien que les prêts sur téléphone mobile concernent de faibles montants, ils finissent par représenter une grosse part du revenu des emprunteurs, qui ont alors du mal à les rembourser.

En général, le recours à court terme à des crédits à coût élevé (surtout pour la consommation) – associé à des pénalités en cas de retard ou de défaut de paiement – exige des prêteurs numériques d'adopter une approche plus prudente sur le marché du prêt mobile.

Ensuite, nombre de créanciers numériques ne sont pas réglementés par la Banque centrale du Kenya (CBK). Ils ne sont donc pas des institutions financières au sens de la loi sur les banques, de la loi sur la microfinance ou de la loi portant création de la CBK.

Or, avec 49 services de prêt sur mobile, il devient primordial que ces prêteurs soient surveillés et contrôlés en matière de viabilité et de conformité. Rappelons que nombre d’entre eux sont des sociétés privées, certaines à capitaux étrangers, et ne sont pas soumis aux lois sur la divulgation publique.

Safaricom, pour ne citer que lui, n'a reçu qu'une lettre de non-objection de la CBK autorisant – sans plus réglementer – son entrée dans le secteur financier avec M-Pesa.

« Bien que la CBK ait fourni un cadre de surveillance pour M-PESA dans sa lettre de non-objection, le ministère des Finances a affirmé que l'absence de cadre juridique pour réglementer et surveiller l'argent mobile était un pari qui pourrait ne pas être rentable », indiquait déjà, en janvier 2015, Brian Muthiora, directeur Afrique pour la régulation à la GSMA – une association mondiale de près de 800 opérateurs et constructeurs de téléphonie mobile–, dans son rapport sur le paiement par mobile au Kenya. 

Il est devenu pressant de revoir le système global des crédits sur mobile, dont une faiblesse probante permet aux clients de contracter des emprunts en même temps sur plusieurs plateformes.

De plus, les clients prennent souvent des crédits sans toujours bien discerner toutes les clauses des conditions générales, qui doivent contenir toutes les dispositions contractuelles du prêt, les services offerts et facturés en même temps et toute autre responsabilité du futur débiteur.

Enfin, il est devenu pressant de revoir, dans son fonctionnement actuel, le système global des crédits sur mobile, dont une faiblesse probante permet aux clients de contracter des emprunts en même temps sur plusieurs plateformes. Ils s’enfoncent alors sans fin dans la routine du débiteur insolvable : déshabiller Pierre pour habiller Paul.

 

Sèna de Sodji

 

Ndeye Khady Gueye

 

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