Soudan du Sud : la pollution de l’eau par les firmes pétrolières empoisonne 600 000 personnes et les autorités se taisent

(Ecofin Hebdo) - Au Soudan du Sud, la White Nile Petroleum Operating Company, un consortium pétrolier dirigé par la société malaisienne Petronas, pollue depuis plus de 10 ans la nappe phréatique de l’Etat d’Unity dans le cadre de ses activités de production. La société publique malaisienne du pétrole est présente dans tous les blocs pétroliers du Soudan du Sud, notamment dans les principaux consortiums de production. Elle contrôle 30% dans le consortium Greater Nile Petroleum Operating Company (GNPOC), 40% dans le Petrodar Operating Company et 67,87% dans le White Nile Petroleum Operating Company (WNPOC). Les rejets de déchets pétroliers de cet acteur dominant de la production pétrolière du Soudan du Sud dans la nature justifient la présence de substances chimiques dangereuses dans l’eau consommée dans la région, ce qui met en danger la vie de près de 600 000 personnes. Mais malgré les interpellations des ONG et de la communauté internationale pour trouver une solution à ce problème, le consortium et le gouvernement restent de marbre. Les intérêts économiques liés à l’exploitation de l’or noir semblent plus importants que les enjeux sanitaires et environnementaux.

 

Une vaste contamination des ressources en eau

Tout est parti d’un constat anodin. En 2007, pendant la guerre civile qui sévit au Soudan du Sud, l’ONG allemande Sign of Hope qui fournit de l'aide médicale et d'autres formes d'aide humanitaire, indique que les villageois de l’Etat d’Unity se plaignent de difficultés liées à l’accès à l’eau potable.

 rivière polluée3

L’eau des puits est devenue salée et sent mauvais.

 

D’après eux, l’eau des puits est devenue salée et sent mauvais. Le bétail en est affecté. Certaines bêtes mourraient après la consommation de l’eau et la production agricole commençait à en pâtir. Par ailleurs, le nombre de malades dans les villages concernés a augmenté de façon inexplicable. On note précisément des problèmes de peau, des maladies diarrhéiques et des dysfonctionnements sexuels.

Certaines bêtes mourraient après la consommation de l’eau et la production agricole commençait à en pâtir. Par ailleurs, le nombre de malades dans les villages concernés a augmenté de façon inexplicable.

L’ONG basée à Constance, en Allemagne, craint une contamination des eaux par l’activité pétrolière de la région et initie des tests, ainsi que des études toxicologiques sur des échantillons de cheveux prélevés sur 96 volontaires vivant autour de l'usine de traitement de Thar Jath, exploitée par la White Nile Petroleum Operating Company.

 rivière polluée

L’eau, sur place, est contaminée par des polluants tels que le plomb et le baryum.

 

Le rapport explique que les échantillons d’eau ont été testés dans des laboratoires de renommé en Allemagne et le résultat a montré une concentration élevée de nitrate, de strontium, de cadmium, de plomb, de chlorures de sodium, de potassium, etc. « Les tests toxicologiques effectués sur des échantillons de cheveux prélevés chez des personnes vivant autour des champs de Mala et Thar Jath ainsi que du centre de traitement de l'huile de Thar Jath, ont révélé que l’eau, sur place, est assez contaminée par des polluants tels que le plomb et le baryum », a affirmé le vice-président de Sign of Hope Klaus Stieglitz, dans le document publié en 2008.

Ces études ont été transmises aux autorités soudanaises et à Petronas et montrent également que de nombreux enfants, nés quelques mois après le premier constat, souffrent de différents types de malformations. La communauté des médecins engagés dans la région est unanime sur le fait que si les rejets se poursuivent, les effets néfastes sur la santé des personnes et des animaux pourraient être dévastateurs.

Le Sudd est l’une des plus importantes zones humides du monde et la plus grande zone humide d'eau douce dans le bassin du Nil.

En outre, Sign of Hope pense que la contamination de la nappe phréatique pourrait atteindre le Sudd, l’un des plus grands marais du monde. L’espace abrite une faune diversifiée et subvient aux besoins de centaines de familles de pêcheurs.

sudd sudan

Le Sudd, l’une des plus importantes zones humides du monde.

 

Le Sudd qui est protégé par la déclaration de Ramsar depuis 2006 est l’une des plus importantes zones humides du monde et la plus grande zone humide d'eau douce dans le bassin du Nil. Cette situation s’apparente à la pollution du Delta du Niger au Nigéria par les compagnies pétrolières dont Shell.

 

L’indignation de la communauté internationale

La publication du rapport a suscité des préoccupations à l'échelle internationale. En 2009, des médias comme BBC et CNN ont tous deux accusé le gouvernement du Soudan du Sud de ne pas protéger les droits des populations et l'environnement. La Direction norvégienne pour la gestion de la nature, le Programme des Nations Unies pour l'environnement, la Coalition européenne pour le pétrole au Soudan du Sud (ECOS), basée aux Pays-Bas, ont soumis des rapports distincts au gouvernement sud-soudanais dans lesquels elles ont exprimé leur préoccupation face au phénomène et la nécessité de réagir rapidement.

Georges Clooney

Georges Clooney accuse Juba de dépenser tout l’argent du pétrole dans l’armement.

 

Les autorités sud-soudanaises refusent d’aborder la question, et moins encore avec la presse. Face à ce mutisme, les organisations accusent le gouvernement de violer les pratiques internationales de conformité avec les normes de sécurité environnementale, de protection des civils, de respect des droits humains et d'accès à l'eau potable. Après ces accusations, seul Petronas est sorti de son silence pour dénoncer des accusations « sans fondement ».

Cinq ans plus tard, malgré les appels de la communauté internationale, le statu quo a été maintenu. Les enjeux liés à l’autodétermination du Soudan du Sud ont notamment fait écran au problème. La production de la White Nile Petroleum Operating Company s’est poursuivie de même que les rejets de déchets pétroliers.

 Formule 1 Petronas 01

Daimler, l’écurie de Formule 1 dont Petronas est le sponsor, a tenté d’intercéder, sans succès.

 

Sign of Hope a même rencontré les responsables Daimler, l’écurie de Formule 1 dont Petronas est le sponsor pour attirer l’attention de l’écurie sur les activités de Petronas et proposer une médiation. Mais la réponse de Daimler est stricte. « Daimler n'est pas la source des incidents au Sud-Soudan, nous ne sommes pas impliqués sur le terrain, ni directement ni indirectement. Néanmoins, depuis que nous avons appris les accusations, nous avons usé de notre influence et nous avons cherché une solution. Dans ce processus, nous avons joué le rôle de modérateur entre Petronas et Sign of Hope », a affirmé le département de presse du constructeur automobile allemand.

 

L’indifférence coupable de Juba

Au second semestre de 2014, la situation a évolué. Comme Hope of Sign, d’autres ONG locales et internationales ont établi un état des lieux catastrophique, surtout du point de vue sanitaire. En juillet 2014, un responsable de la région du Haut-Nil a rapporté que de nombreuses femmes ont donné naissance à des enfants mort-nés, signalé d'innombrables avortements d’urgence et des enfants nés avec différentes difformités. Plus tard, le gouverneur de l’Etat de Ruweng a relevé « une grave pollution environnementale causée par les marées noires et les produits chimiques éliminés par les compagnies pétrolières ».

Un responsable de la région du Haut-Nil a rapporté que de nombreuses femmes ont donné naissance à des enfants mort-nés, signalé d'innombrables avortements d’urgence et des enfants nés avec différentes difformités.

Comme le rapporte le site d'informations en ligne Nyamilepedia, le responsable a ajouté qu’il est « nécessaire que le gouvernement fédéral de Juba intervienne immédiatement pour régler la question dans un délai aussi court que possible afin de sauver la population, les animaux et l'environnement ».

Salva Kiir 550x300

Salva Kiir, président du Soudan du Sud, reste sourd aux appels.

 

Ce n’est qu’en décembre 2017 que, harcelé de toutes parts, le gouvernement sud-soudanais a admis que la production pétrolière dans le nord, notamment dans cette région, est une menace pour près de 600 000 habitants dans la région concernée. C’est plus de 5% de la population du pays. Ainsi, le ministère de l’environnement a officiellement exhorté l'Assemblée des Nations Unies pour l'environnement à contribuer à mettre fin à la pollution par les hydrocarbures de ses ressources en eau. Une déclaration décriée par de nombreux observateurs dans le pays qui pensent que l’Etat a largement les moyens de purifier l’eau et de mettre fin aux rejets.

En effet, un autre rapport de Sign of Hope montre clairement que « dans l’état actuel des choses, il coûterait environ 250 € pour fournir de l’eau potable à une personne dans la région, pendant les 10 prochaines années. Cela revient à un investissement total de 150 millions € pour sauver cette frange de la population. »

« Dans l’état actuel des choses, il coûterait environ 250 € pour fournir de l’eau potable à une personne dans la région, pendant les 10 prochaines années. Cela revient à un investissement total de 150 millions € pour sauver cette frange de la population. »

Il faut dire qu’un rapport de l’ONG Global Witness et de Sentry, un groupe d’enquêteurs piloté par l’acteur américain Georges Clooney, a montré, en mars dernier, que chaque année, le Soudan du Sud investit des millions de dollars pour l’achat d’armement afin de nourrir le conflit qui l’oppose à l’armée de l’ex-vice président Riek Machar. Entre mars et octobre 2016, les recettes pétrolières qui se sont élevées à environ 250 millions de dollars ont presque totalement été investies dans la sécurité et l’achat d’armements.

Entre mars et octobre 2016, les recettes pétrolières qui se sont élevées à environ 250 millions de dollars ont presque totalement été investies dans la sécurité et l’achat d’armements. D’ailleurs en 2017, le Soudan du Sud qui est l’un des pays les plus pauvres du monde, avait la 18e armée la plus puissante d’Afrique 

D’ailleurs en 2017, le Soudan du Sud qui est l’un des pays les plus pauvres du monde, avait la 18e armée la plus puissante d’Afrique et la 99e la plus puissante du monde, selon le Global Power Index 2017. Ceci, dans un contexte où près de 5 millions de sud-soudanais sont confrontés à la famine.

 

Le calvaire est loin d’être terminé

Pour les populations du bassin pétrolier du Soudan du Sud, le chemin de croix risque de durer longtemps encore. En effet, le ministre du pétrole, Ezekiel Lol Gatkuoth, a annoncé en septembre qu’il envisage de faire passer la production pétrolière de 130 000 barils par jour actuellement à 350 000 barils par jour d’ici à la mi-2019.

Le ministre du pétrole, Ezekiel Lol Gatkuoth, a annoncé en septembre qu’il envisage de faire passer la production pétrolière de 130 000 barils par jour actuellement à 350 000 barils par jour d’ici à la mi-2019.

Cela implique que les travaux d’exploration dans cette zone vont se multiplier et en cas de découvertes commerciales, on devrait envisager davantage de déversements, donc plus de pollution de l’eau, plus de problèmes santé et bien évidemment la destruction du Sudd.

Si de nombreux analystes estiment qu’il est peu probable que ce niveau de production soit atteint à cette échéance, ils estiment qu’il sera néanmoins facilité par la décision des deux Soudan de relancer leur coopération pétrolière en commençant par réparer les terminaux de stockage et de transport détruits pendant la guerre.

Le Soudan du Sud qui est un pays enclavé, exporte son brut via des oléoducs contrôlés par son voisin du nord. En contrepartie, il lui reverse d’importants frais de transit. Chacun prend ainsi sa part du gâteau.

Olivier de Souza

 olivierdesouza

 

Les secteurs de l'Agence

● GESTION PUBLIQUE

● Finance

● Agro

● ELECTRICITE

● FORMATION

● TRANSPORT

● ENTREPRENDRE

● Mines

● Hydrocarbures

● TIC & Télécom

● Multimedia

● Comm