William Elong : « Entre octobre et décembre 2018, nous avons enregistré plus de commandes de drones qu’en 2 ans »

(Ecofin Hebdo) - Promoteur de la start-up Will & Brothers, puis d’Algo Drone, une holding basée en Allemagne, le fabricant des premiers drones Made in Africa vient de recevoir du gouvernement camerounais le prix d’excellence de la meilleure jeune start-up 2018.

 

Agence Ecofin : La start-up Will & Brothers que vous avez fondée, s’est révélée au grand public grâce à la conception de l’application DroneAfrica, qui a permis de lancer le tout premier service de drone civil au Cameroun. Comment est né ce projet et que devient-il ?
William Elong : La startup est devenue une PME présente dans plusieurs pays (USA, France, Allemagne, Côte d'Ivoire, et bientôt au Sénégal, etc). Ma famille, mes parents surtout, m'ont motivé à toujours aller de l'avant. Sans leurs conseils, je ne serais pas là. En 3 ans, nous avons beaucoup appris. Le projet est né de l'envie de placer mon pays au cœur des enjeux technologiques du futur, et du besoin de répondre à des enjeux concrets de développement : cartographie, sécurité, agriculture…

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AE : Après DroneAfrica, vous êtes passé à la construction des drones. Qu’est-ce qui a déclenché cette montée en puissance ?
WE : Ma véritable motivation a toujours été l'envie d'inspirer les autres. La construction de drones était une étape pour se positionner sur un segment de drones professionnels à voilure fixe, qui est peu exploré en Afrique, à quelques exceptions près comme l'Ethiopie et le Rwanda. Aujourd'hui, nous avons fait un revirement stratégique total. Désormais, nous mettons 80% de nos ressources sur l'intelligence artificielle et le service. 20% resteront dédiés à la partie hardware/matériel.

 

AE : Où et comment votre équipe s’est-elle procurée le matériel ayant permis de fabriquer les premiers drones made in Cameroon, que vous avez récemment présenté au gouvernement camerounais ?
WE : Chez plusieurs fournisseurs en Europe, aux USA, en Chine, au Cameroun aussi. Je pense qu'il faut s’appesantir davantage sur ce point. Personne sur terre ne fabrique tous les composants d'un drone de A à Z. L'enjeu actuel sur un drone est plus le software que la partie visible du sujet. Les efforts de R&D (recherche et développement) aujourd'hui vont dans le sens de la conception d'algorithmes de traitement d'images collectées par les drones. C'est le cas, par exemple, de Google avec le projet Maven, qui a englouti plus de 100 millions de dollars US. Nous avons désormais un robuste réseau de sous-traitants sur la partie matériel (hardware) à travers le monde, qui nous garantit une qualité qui n'a rien à envier à personne. C'était notre principale faiblesse, elle est corrigée.

 

AE : Lors de la cérémonie de présentation de ces équipements, vous avez confessé avoir fait face à des embûches et même que votre équipe et vous avez douté, à certains moments, de pouvoir aller jusqu’au bout. De quelles difficultés parliez-vous et comment avez-vous réussi à les surmonter ?
WE : (Rires). Je parle des classiques de la start-up : difficultés à boucler une fin de mois, recherche du meilleur business model pour être rentable, charges fixes mensuelles élevées, difficultés de trésorerie, etc. J’ai parfois voulu tout arrêter et me concentrer sur mes activités de Consulting, qui étaient largement plus rentables.

 

J’ai parfois voulu tout arrêter et me concentrer sur mes activités de Consulting, qui étaient largement plus rentables.

 

Mais, ayant pris un engagement public, j'aurais donné un mauvais exemple en n’allant pas jusqu'au bout des choses. Au final, nous avons réussi à relever le défi et à boucler l’année 2018 sur un flux de commandes élevé.

 

AE : Combien de drones vous ont été commandés au cours de l’année 2018, et de quels pays viennent ces commandes ?
WE : Nous avons une centaine de drones commandés. Mais, nous n'avions pas la capacité de production suffisante pour adresser la demande. Nous avons fait les ajustements nécessaires sur le dernier semestre de l’année 2018, lesquels ajustements ont porté leurs fruits au cours du dernier trimestre. En effet, entre octobre et décembre 2018, nous avons enregistré plus de commandes qu'en 2 ans. Il fallait juste accepter de céder une partie de la chaine de production à des partenaires techniques, notamment sur la partie matérielle, tout en gardant la propriété intellectuelle et la partie logicielle du drone en interne. La plupart de nos commandes viennent d'Afrique centrale et d'Afrique de l'Ouest. Par ailleurs nous avons commencé à répondre à des requêtes clients en Allemagne.

 

AE : Pour un départ, Algo Drone a produit trois gammes de drones. Quels sont leurs caractéristiques ?
WE : En un an, nous avons revu notre catalogue. Désormais, nous avons le modèle «Algo2» pour les missions sur 25 km avec environ une heure d'autonomie ; «Algo X», un modèle VTOL (vertical take of and landing), qui peut voler près de deux heures ou plus selon les configurations. Enfin, il y a «Sanaga», le petit prototype de drones terrestres pour les travaux d'inspection.
L'avenir des drones est dans le type VTOL pour une raison assez simple : ce type de drones offre les avantages d'un quadricoptères (la précision, la capacité à faire un vol stationnaire comme un hélicoptère), et la longue portée d'un drone à voilure fixe. Pour à peu près les mêmes raisons d'autonomie, vous avez plus de chances de faire Yaoundé-Paris en avion qu'en hélicoptère. (Rires).

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« La dure réalité est que les startups africaines sont totalement abandonnées. »

 

 

AE : Vous avez réservé l’exclusivité de la présentation de vos drones au gouvernement camerounais. Quelle a été la contribution de l’Etat dans votre projet de construction de ces équipements ?
WE : L'Etat Camerounais est notre allié. C'est tout ce que je peux dire à ce sujet. Sans la ministre des Postes et Télécommunications, Mme Libom Li Likeng, qui a donné de son temps pour ce projet, nous n'en serions pas là.

 

AE : Pour réaliser ce projet, vous avez réussi à lever des financements d’un montant de 200 000 dollars (environ 124 millions FCfa), sur un besoin initial de 300 000 dollars (un peu plus de 185 millions FCFA). Comment s’est opérée cette mobilisation des fonds : crowdfunding, prêts bancaires, cessions d’actifs à des entreprises, etc. ?
WE : Nous avons bénéficié de la confiance de bailleurs de fonds privés étrangers en majorité. Ce n'était que le début. J'ai été très touché par l'appui de la presse locale, qui est devenue notre alliée. Vous avez tous su garder l'information quand il le fallait.
La suite de cette série A des levées de fonds vient d’être bouclée, à deux millions d’euros (plus d’un 1,3 milliards FCfa). Nous utiliserons exclusivement ces fonds pour la recherche et le développement, puis le développement à l’international de notre entreprise. Peut-être qu’une série B aura lieu.
Cependant, lever des fonds n'est pas une fin en soi. La priorité est de faire du chiffre d'affaires avec des clients. La première levée de fonds nous a permis d'acquérir de l'expertise, la seconde nous permet de grandir.

Cependant, lever des fonds n'est pas une fin en soi. La priorité est de faire du chiffre d'affaires avec des clients.

Drone Africa est devenue Algo Drone, une Holding basée en Allemagne. J'ai hésité au départ, de peur de perdre la possibilité de recevoir des fonds dédiés aux entreprises africaines. Mais, au regard des lenteurs des procédures pour obtenir ces fonds, j'ai préféré foncer tout seul, avec l'appui du Conseil d'administration. D'ailleurs, il y a un vrai problème d'accès aux financements pour les startups africaines. Malgré les rapports des fonds d'investissements qui disent le contraire, la dure réalité est que les startups africaines sont totalement abandonnées, et les fonds vont en majorité à des PME africaines déjà robustes, mais qui du point de vue américain et européen sont considérées comme des «startups».

 

AE : Qui sont vos partenaires financiers dans le cadre de vos projets ?
WE : Mon board (entre autres Jacques Eone, notre plus gros investisseur en seed) ou encore Michael Curth, un homme d’affaires allemand... Je pense que les boites étrangères dans le domaine nous ont largement sous-estimé, mais le temps nous a donné raison. Nous avons tenu là où des géants américains de la Silicon Valley et des entreprises disposant de millions de dollars venant des fonds d'investissement en matière de drones, ont déposé le bilan.
Avec le budget 50 fois inférieur au leur, dont nous disposions au départ, je pense que ces entreprises et le marché, de manière globale, n'auraient jamais prédit que Drone Africa viendrait chasser des parts de marché en Europe et aux USA.

 

AE : Maintenant que les premiers drones made in Cameroun existent, qu’attendez-vous des pouvoirs publics et de potentiels partenaires privés ?
WE : Nos attentes sont désormais dans la R&D (Recherche et développement) et le business développement. Je ne me pose sincèrement plus de questions sur les clients. Nous avons de quoi nous occuper pendant quelques années. A force de communiquer sur Drone Africa, nous avons des requêtes qui nous sont parvenues de toute l'Afrique, de Djibouti au Congo. Maintenant, nous avons une offre beaucoup plus mature et adaptée aux besoins du marché.

 

AE : Vous avez récemment annoncé la création de Cyclop. De quoi s’agit-il et quelle est la corrélation entre cette nouvelle trouvaille et la fabrication des drones ?
WE : Cyclop est ce que nous avons de plus précieux : notre intelligence artificielle. Nous avons déposé un brevet. Sur le marché africain, je pense qu'elle est sans intérêt pour le moment. Par contre, pour les marchés occidentaux, c'est potentiellement un «game changer». Nous avons créé notre filiale aux États-Unis uniquement pour vendre cette solution.

En Occident, ils savent très bien faire des drones, donc leur intérêt est plutôt sur nos algorithmes.

En bref, selon Wired, en 2011, l'US Air Force avait environ 300 000 heures de vidéos par drone à analyser, soit 37 ans d'images. L'enjeu capital du marché aujourd'hui est l'analyse de ces teraoctects de données, avec le minimum de puissance de calcul et une interface utilisateur compréhensible. C'est ce qui m'a amené à concevoir Cyclop. En Afrique, on me parle du drone en lui-même. En Occident, ils savent très bien faire des drones, donc leur intérêt est plutôt sur nos algorithmes. Sur ce terrain, nous sommes dans un contexte africain où il y a peu de ressources techniques, ce qui rend plus créatif.

 

AE : Vous avez avancé que vos drones coûtent 25 fois moins cher que les autres. Combien coûte un drone made in Cameroun ? Ces équipements garantissent-ils une qualité irréprochable, par rapport à ce qui se fait ailleurs ?
WE : Je suis très transparent sur ce point. Au départ, notre qualité avait du retard sur ce qui se faisait ailleurs, au regard des moyens dont nous disposions. Ça aurait été compliqué de faire mieux. Aujourd'hui, nous avons lourdement investi dans la recherche et le développement, et noué les bons accords pour avoir une qualité équivalente, voire supérieure à celle de nos concurrents.
Notre approche commerciale est différente selon la nature du client. Nous avons une offre différente, selon qu'il s'agit d'un privé ou d'un gouvernement. Dans notre catalogue actuel, nos drones sont vendus entre 10 000 (5,7 millions FCFA) et environ 100 000 dollars US (57,8 millions FCfa). Nous travaillons exclusivement en B2B et avec des Etats. Nous avons totalement cessé les activités de type couverture évènementielle. En termes de rentabilité et de pertinence, cela ne correspondait plus à notre vision globale, qui est orientée vers les activités à forte valeur ajoutée et les services aux Etats.

Entretien avec Brice R. Mbodiam

 

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