Eliud Kipchoge, le premier être humain à courir un marathon sous la barre des 2 heures

(Ecofin Hebdo) - Déjà maître absolu de la distance, le Kenyan est plus que jamais inscrit dans la légende. En terminant un marathon en dessous des 2 heures, Eliud Kipchoge a repoussé les limites humaines pour entrer dans l’histoire à 21 km/h. Seulement, la performance de l’athlète est loin de ne provoquer que des sourires et des applaudissements.

Samedi 12 octobre, à Vienne, en Autriche, le kényan Eliud Kipchoge a réussi ce qui était jusque-là impossible : courir un marathon en moins de deux heures. L’athlète de 34 ans a parcouru les 42,195 Km de la discipline en 1h 59 mn 40 s, battant le record du monde qu’il avait lui-même établi. Pourtant, la controverse ne tardera pas à venir assombrir la performance de celui que beaucoup considèrent déjà comme le plus grand coureur de marathon de l’histoire de l’athlétisme.

Record non-homologué mais controversé

Le record du kényan ne sera pas homologuée par les autorités mondiales de l’athlétisme. Sa course n’avait pas lieu dans une compétition officielle. Les conditions de mise en place de cette performance sont d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles le record de l’athlète kényan a été suivi d’une controverse.
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On le surnomme « le philosophe », à cause de son addiction aux livres.

En fait, la course a été financée par la multinationale Ineos, spécialisée en pétrochimie, de quoi faire rager les écologistes. James Arthur Ratcliffe, le patron de l’entreprise était même présent en conférence de presse avec l’athlète après sa folle course. En plus, les conditions extrêmement favorables de la course : les chaussures futuristes de Nike, les ravitaillements volants, les lièvres (coureurs engagés pour accompagner des champions souhaitant battre un record ; ndlr) pour protéger le kényan du vent, ont tôt fait de servir de justification aux détracteurs de la performance. Si la position des écologistes est compréhensible, alors que de nombreux désastres frappent la planète, les détracteurs d’une « course optimisée », oublient que l’expérience a déjà été tentée, sans succès, à plusieurs reprises par différents sponsors. Eliud Kipchoge lui-même avait échoué à passer sous la barre des deux heures, pour le compte de Nike, en compagnie de plusieurs coureurs de niveau international. 

« Le chrono de Kipchoge est stratosphérique. Avec mon record de France, je serais plus de 2 km derrière lui. Ce n'est pas une surprise et je pense qu'il est capable de récidiver sur un vrai marathon. C'est un géant, un esthète »

Et concernant les supports volants, ils sont, comme l’arbitrage vidéo dans les sports de balle, la conséquence directe de la digitalisation de tous les compartiments de nos vies. « Qu'on le veuille ou non et qu'on l'accepte ou pas, l'athlétisme est entré dans une nouvelle ère depuis trois ou quatre ans. Le chrono de Kipchoge est stratosphérique. Avec mon record de France, je serais plus de 2 km derrière lui. Ce n'est pas une surprise et je pense qu'il est capable de récidiver sur un vrai marathon. C'est un géant, un esthète », a déclaré Benoît Zwierzchiewski, recordman de France du marathon au Parisien.
Au final, ce record, bien que non homologué, reste l’accomplissement de l’immense champion qu’est devenu un gamin du rift pour qui courir est bien plus qu’un sport.

Sa vie, une course de fond

Pour tous ceux qui le connaissent, Eliud Kipchoge a toujours semblé vivre pour le kilomètre suivant. Les premiers kilomètres, le kényan, né le 5 novembre 1984 à Kapsisiywa, les parcourt dans son village natal dont la piste de course se situe à quelques mètres de la vallée du Rift. Déjà, à cette époque, ce parcours est vital pour lui, ses trois frères et sœurs et sa mère, veuve. Ces kilomètres le mènent entre autres à l’école, mais également, sur de plus longues distances, vers les clients de sa mère, auxquels il livre tous les jours, à pied, le lait de leur bétail.

Ces kilomètres le mènent entre autres à l’école, mais également, sur de plus longues distances, vers les clients de sa mère, auxquels il livre tous les jours, à pied, le lait de leur bétail.

Pour ceux qui le connaissent depuis cette époque, on pouvait déjà apercevoir à sa foulée que le garçon était taillé pour l’athlétisme.

2Eliud Kipchoge elephant
« Je suis une personne simple. J’essaie de rester calme et concentré sur ce que je fais.»

Patrick Sang, natif de Kapsisiywa et médaillé d’argent sur 3000 mètres steeple aux Jeux olympiques de Barcelone en 1992, le remarque. Il décide alors de prendre le jeune kényan sous son aile et d’en faire un champion. Depuis, les deux ne se quittent jamais plus que quelques heures, histoire de passer du temps avec leurs familles respectives. Le champion olympique sera déterminant dans la carrière de celui que les médias surnomment « l’ascète du marathon ».

Une carrière basée sur l’humilité et le sacrifice

Peu de temps après leur rencontre, Patrick Sang initie Eliud Kipchoge à l’entrainement traditionnel des coureurs kényans. Basé sur la régularité et une évolution progressive sur des années, elle sera à la base de la domination actuelle du kényan. Avant de le rencontrer, Eliud Kipchoge avait appris les différents aspects d’un marathon avec les coureurs présents lors des tournois locaux. Il connaissait la vie de sacrifice des coureurs de fonds. Réveil aux aurores et footings d’environ une heure à jeun, avant de prendre le petit déjeuner. Puis viennent la sieste qui sera suivie d’un autre entrainement, avant le déjeuner, une autre sieste et un autre footing. Aux côtés de graines de champion qui, comme la plupart des jeunes du pays, rêvent de courir au niveau international pour sortir leur famille de la misère, Eliud Kipchoge acquiert la discipline du coureur. Seulement, la rencontre avec Patrick Sang changera sa façon de s’entrainer.

« Son économie d’énergie », « la projection optimale de son bassin » et « le temps bref de contact de ses pieds avec le sol », sont des notions qui, si elles peuvent laisser les néophytes complètement perdus, expliquent la domination actuelle d’Eliud Kipchoge. 

Lorsque les deux hommes se rencontrent en 2001, Eliud Kipchoge n’a que 16 ans. Impressionné par Patrick Sang durant une course locale, il demande à ce dernier des conseils pour son entrainement. Le champion lui donne un programme que le jeune respectera à la lettre avant de rejoindre le camp d’entrainement dirigé par Patrick Sang à Kaptagat, où des jeunes pousses kényanes, la rage et la faim au ventre, se ruent vers les médailles pour améliorer leur vie, au risque de faire des carrières courtes ou émaillées de blessures. Patrick Sang privilégie le volume à l’intensité. Il prendra son temps avec Eliud Kipchoge et ses temps de passage. C’est durant ses premiers mois au camp de Patrick Sang que le jeune Eliud Kipchoge se rend compte qu’il a la foulée parfaite pour les courses de fond. En effet, selon plusieurs spécialistes, le natif de Kapsisiywa a la façon de courir la plus efficace de l’histoire sur longue distance. « Son économie d’énergie », « la projection optimale de son bassin » et « le temps bref de contact de ses pieds avec le sol », sont des notions qui, si elles peuvent laisser les néophytes complètement perdus, expliquent la domination actuelle d’Eliud Kipchoge. Ces qualités, si elles ont été polies patiemment sur plusieurs années, il les affichait déjà lors de ses premiers entrainements. Mais Patrick Sang et sa grande expérience du haut niveau ne veulent rien précipiter. Eliud Kipchoge est d’abord préparé pour ne courir que le 5000 m.

 

Des progrès et des médailles

Eliud Kipchoge fait ses débuts sur la scène internationale lors des championnats du monde de cross-country de 2002 à Dublin. Seulement une année s’est écoulée depuis sa rencontre avec Patrick Sang, mais les progrès sont évidents. Sur des distances variant entre 4 km et 12 km, le jeune kényan se classe cinquième de la course junior. Dans la foulée de cette première expérience, il remporte le 5000 m des sélections kényanes pour les championnats du monde juniors. Malheureusement, atteint de paludisme, il déclare forfait pour la compétition.

Dans la foulée de cette première expérience, il remporte le 5000 m des sélections kényanes pour les championnats du monde juniors. Malheureusement, atteint de paludisme, il déclare forfait pour la compétition.

En 2003, il se rattrape en devenant champion du monde junior de cross-country à Lausanne. Il réalise ensuite d'excellentes performances durant les premiers meetings d’été. A 18 ans seulement, il obtient sa qualification pour les championnats du monde de Paris. A la surprise générale, le 31 août 2003, Eliud Kipchoge devient champion du monde du 5000 m en 12 min 52 s 79 devant les spécialistes de la distance comme Hicham El Guerrouj et le légendaire éthiopien Kenenisa Bekele. Il remporte, à la fin de la saison 2003, le 5000 m de la Finale mondiale de l'association internationale des fédérations d’athlétisme (IAAF).

Meilleur coureur de marathon de l’histoire ?

Après ces victoires, Eliud Kipchoge s’installe dans le gotha mondial de la course de fond grâce à une décennie de moisson de médailles. 

3Patrick Sang
La rencontre avec Patrick Sang changera sa façon de s’entrainer.

On retiendra notamment ses médailles d’argent aux mondiaux 2007 et aux JO 2008 sur 5000 mètres, ses médailles de bronze aux JO 2004 et aux mondiaux en salle de 2006 sur 5000 mètres et 3000 mètres. Pourtant, en 2012, Eliud Kipchoge échoue à se qualifier pour les Jeux Olympiques de Londres sur 5000 m. Cette distance ne lui suffit déjà plus. C’est le moment de passer au mythique marathon. Mais avant de le jeter dans le grand bain, son entraineur, Patrick Sang, le fait passer par le semi-marathon. En février 2013, il remporte le semi-marathon de Barcelone et établit le record de l'épreuve. Deux mois plus tard, il remporte son premier marathon à Hambourg, en Allemagne. En septembre 2013, il participe au Marathon de Berlin, son premier marathon d’envergure. La course est remportée par son compatriote Wilson Kipsang qui établit un nouveau record du monde en 2 h 3 min 23 s. Eliud KIpchoge finit deuxième en 2 h 4 min 5 s. C’est jusque-là sa seule défaite sur un marathon. En avril 2014, il remporte le Marathon de Rotterdam, puis suivra, en avril 2015, celui de Londres où il prend sa revanche sur Wilson Kipsang. Le 27 septembre, il remporte le Marathon de Berlin en 2 h 4 min 0 s malgré un problème de semelle survenu durant la course. Alors qu’il est de plus en plus dominant, les experts sentent Eliud Kipchoge de plus en plus proche du record mondial. Malgré de nouvelles victoires, dont son premier sacre olympique à Rio en 2016, Eliud Kipchoge achoppe toujours sur le record mondial. Le 6 mai 2017, sur le circuit de Monza, en Italie, Nike organise une course pour que le kényan réussisse la performance, à ce moment inhumaine, de coucir le marathon en moins de 2 h. Il échoue à 25 secondes de l’objectif, avec un temps de 2 h 0 min 25 s.

Le 6 mai 2017, sur le circuit de Monza, en Italie, Nike organise une course pour que le kényan réussisse la performance, à ce moment inhumaine, de coucir le marathon en moins de 2 h. Il échoue à 25 secondes de l’objectif, avec un temps de 2 h 0 min 25 s. 

Le 22 avril 2018, le kényan remporte son troisième marathon de Londres et égale son compatriote Martin Lel et le Mexicain Dionicio Cerón au nombre de victoires sur la distance. Finalement, le 16 septembre 2018, il bat le record du monde lors du marathon Berlin, en 2 h 1 min 39 s.

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Plus que jamais considéré comme le meilleur marathonien de l’histoire.

En passant sous la barre des 2 heures, le kényan est plus que jamais considéré comme le meilleur marathonien de l’histoire. Ce statut, s’il déchaine les passions sur les forums d’amateur de courses de fond ne semble pas intéresser le kényan outre mesure. « Je suis une personne simple. J’essaie de rester calme et concentré sur ce que je fais. Il n’y a pas de distractions », confie Eliud Kipchoge.

« Je suis une personne simple. J’essaie de rester calme et concentré sur ce que je fais. Il n’y a pas de distractions », confie Eliud Kipchoge. 

Effectivement, l’argent et la gloire n’ont pas changé le quotidien du champion qui vit en semaine au camp d’entrainement de Patrick Sang qu’il finance depuis ses premières victoires. Là-bas, on le surnomme « le philosophe », à cause de son addiction aux livres. Ce n’est que le weekend que le marathonien rejoint sa famille dans sa maison de la ville d’Eldoret. Il continue de rester fidèle à sa méthode d’entrainement, qui le conduit inexorablement vers les Jeux Olympiques de Tokyo, qui se tiennent dans un an. Il y défendra sa médaille olympique. Peut-être choisira-t-il cette surexposition médiatique pour marquer une nouvelle fois l’histoire en passant en dessous de la barre des deux heures, mais cette fois, en marathon officiel.

Servan Ahougnon

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