Soudan : Khartoum prêt à tout pour revenir dans le système financier international

(Ecofin Hebdo) - Le 11 avril 2019, le Soudan vivait une étape décisive de son histoire moderne. Après 30 années de pouvoir, le président Omar el-Béchir était renversé par un coup d’Etat après plusieurs mois de manifestations populaires. Près d’un an après ce soulèvement inédit dans le pays est-africain, les interrogations sur la capacité des nouveaux dirigeants à conduire le pays vers la stabilité politique et économique, qui lui a cruellement fait défaut ces dernières années, persistent.

Remettre l’économie sur les rails

A ses débuts, la crise politique qui a bouté hors du pouvoir le général Omar el-Béchir, était avant tout économique. Le 19 décembre 2018, la décision du gouvernement de tripler le prix des denrées (notamment le pain) à un moment où le pays souffre d'une grave pénurie de devises étrangères et d'une inflation de près de 70 %, déclenche des protestations massives qui secouent les rues pendant plusieurs mois.

1Khartoum Market Sudan

Le Soudan occupe la 168e place mondiale dams l’indice du développement humain.

 

Cet événement n’est que le dernier épisode de la longue série de crises économiques qu’a connu le Soudan depuis de nombreuses décennies. En effet, au fil des années, le secteur économique soudanais se trouve fortement affecté par les sanctions internationales et la sécession du Soudan du Sud, parti en 2011 avec 80% des réserves pétrolières du pays. La situation ne cesse de se dégrader, alimentant l’animosité au sein d’une des populations les plus pauvres du monde.

Selon les données du FMI, entre 2000 et 2011, le Soudan a enregistré en moyenne au moins 4% de croissance. En 2012, juste après la sécession du Soudan du Sud, l’économie du pays s’est contractée de 17%. Entre 2012 et 2019, on note en moyenne une contraction de 1,1% de l’économie soudanaise

En 2012, juste après la sécession du Soudan du Sud, l’économie du pays s’est contractée de 17%. Entre 2012 et 2019, on note en moyenne une contraction de 1,1% de l’économie soudanaise.

Avec un taux d’extrême pauvreté estimé à 25,2% en 2015 (selon les dernières données de la Banque africaine de développement), le pays se situe au bas du classement des nations du monde en matière d’indice du développement humain (IDH) depuis plusieurs années. Selon le classement 2019 établi par le PNUD, le Soudan occupe la 168e place mondiale avec un IDH catégorisé « faible ».

A ce titre, les nouvelles autorités de Khartoum ont annoncé de nouvelles mesures de grande ampleur pour remettre l’économie sur les rails pendant les trois années de transition qui conduiront le pays vers des élections générales. A peine nommé à la tête du gouvernement de transition, le nouveau Premier ministre, Abdallah Hamdok veut mobiliser 8 milliards $ pour relancer l’économie. Près de 2 milliards $ en devises étrangères sont prévus afin de ralentir la dépréciation de la monnaie nationale et la stabiliser.

2Abdallah Hamdok

Abdallah Hamdok veut mobiliser 8 milliards $ pour relancer l’économie.

 

Dans le même sillage, Ibrahim al-Badawi, nouveau ministre de l’Economie, annonce un programme pour « relancer l’économie en 200 jours », déployé sur cinq axes stratégiques à savoir : la stabilisation macroéconomique, la stabilisation des prix des produits de base, la lutte contre le chômage des jeunes, la transition de l'aide humanitaire au développement durable et le renforcement des capacités des institutions de gestion économique. 

Avec une inflation de 50,6%, en 2019, projetée à 61,5 % pour 2020 et 65,7 % pour 2021 (alimentée par la dépréciation de la livre soudanaise), les prochains mois s’annoncent d’ailleurs particulièrement difficiles pour le pays.

Avec une inflation de 50,6%, en 2019, projetée à 61,5 % pour 2020 et 65,7 % pour 2021 (alimentée par la dépréciation de la livre soudanaise), les prochains mois s’annoncent d’ailleurs particulièrement difficiles pour le pays. Une situation d’autant plus périlleuse, qu’à la question économique, s’ajoutent des préoccupations politiques à forts relents sécuritaires.

Faire taire les armes

Pendant les trois décennies du régime el-Béchir, le Soudan a été marqué par une des guerres civiles les plus sanglantes du continent africain : la crise du Darfour. Cette guerre civile qui oppose depuis 2003 plusieurs ethnies de l’ouest du Soudan, a déjà fait plus de 300 000 morts dans les rangs des civils, selon l’ONU, et provoqué le déplacement d’environ 2,7 millions de personnes. Pour la communauté internationale, l’ancien régime d’Omar el-Béchir aurait d’ailleurs contribué à alimenter ce conflit.

 3Janjawids

 Les Janjawids ont semé la terrreur au Darfour.

 

Aujourd’hui, l’une des principales conséquences de cette crise est la présence de plusieurs groupes armés qui menacent l’autorité de l’Etat dans les zones où ils sévissent. Parmi ces groupes, figurent les Janjawids, ces milices arabes longtemps soutenues par le régime d’Omar el-Béchir et connues pour les massacres, les viols et les déportations commis au Darfour contre les populations non arabes.

Parmi ces groupes, figurent les Janjawids, ces milices arabes longtemps soutenues par le régime d’Omar el-Béchir et connues pour les massacres, les viols et les déportations commis au Darfour contre les populations non arabes.

D’autres groupes dits « rebelles » tels que l’Armée de libération du Soudan ou le Mouvement pour la justice et l’égalité (JEM), entre autres, présents au Darfour, représentent également de potentiels dangers pour l’unité d’un pays trop longtemps divisé par des rivalités ethniques et économiques.

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Le Mouvement pour la justice et l’égalité (JEM) reste un danger potentiel.

Pour les nouveaux dirigeants soudanais, trouver des compromis avec ces différents groupes ayant de véritables capacités de nuisance s’avère un défi de taille, surtout lorsqu’il s’agit d’y intégrer des revendications politiques, notamment celles des groupes armés rebelles du Darfour. De cela, le Premier ministre Abdallah Hamdok et ses pairs semblent d’ailleurs convaincus : « Nous sommes déterminés à mettre fin à tous les problèmes au Darfour et à faire en sorte de rétablir la paix et la stabilité, non seulement au Darfour, mais dans toutes les régions du pays », avait indiqué le général Samsedine Kabashi, chargé de mener des pourparlers avec les groupes armés. D’ailleurs, la conclusion d’un accord avec les groupes rebelles, en décembre 2019, quelques mois seulement après la formation du gouvernement de transition, semble avoir donné le ton des futures actions du gouvernement en la matière.

 

Le diktat inévitable des Etats-Unis ?

Dans le processus soudanais vers la paix et un développement durable, les Etats-Unis occupent une place centrale. En effet, l’exclusion de Khartoum du système financier international a été déclenchée par la décision du gouvernement américain d’inscrire le pays sur sa liste noire des pays soutenant le terrorisme. Malgré le soutien de ses alliés traditionnels que sont l’Arabie saoudite et les Emirats Arabes Unis, le Soudan a encore fortement besoin de l’aide des institutions de Bretton Woods (Banque mondiale et FMI), qui ne lui accordent plus les mêmes soutiens qu’aux autres Etats, depuis les années 90.

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Abdel Fattah al-Burhan a du concéder une normalisation des relations avec Israel.

 

Le surendettement de l’Etat soudanais, couplé aux tensions internes liées à la flambée des prix sont autant de pressions qui poussent le pays est-africain à vouloir négocier avec les Etats-Unis. Et pour séduire l'Oncle Sam, les nouvelles autorités de Khartoum semblent prêtes à tout.

Au début du mois de février, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, en visite en Ouganda, annonçait la « normalisation des relations israélo-soudanaises », après une réunion secrète avec Abdel Fattah al-Burhan, président du conseil souverain soudanais. Cette annonce représente une situation inédite sur la scène diplomatique internationale, le Soudan ayant toujours été le fer de lance du front anti-Israël en Afrique et l’un des principaux soutiens de la cause palestinienne. D’ailleurs, en 1967, le pays avait accueilli un sommet de la Ligue arabe où avaient été proclamés les trois Non : « Non à la paix avec Israël, Non à la reconnaissance d’Israël, Non à une négociation avec Israël ».

Cette annonce représente une situation inédite sur la scène diplomatique internationale, le Soudan ayant toujours été le fer de lance du front anti-Israël en Afrique et l’un des principaux soutiens de la cause palestinienne.

Cependant, les difficultés économiques que connaît Khartoum semblent exiger des autorités soudanaises une normalisation des relations avec Israël, allié plus que jamais fidèle de l’Amérique de Donald Trump. La concession pourrait faire gagner des points au pays, malgré les critiques des membres du front anti-Israël. D’ailleurs, le geste de Washington, qui a « remercié » par téléphone Abdel Fattah al-Burhan pour son rôle dans cette « normalisation des liens », en l’invitant à la Maison-Blanche (une première en trois décennies), avait des allures de « petite récompense » offerte au conseil souverain soudanais après ses efforts.

Le geste de Washington, qui a « remercié » par téléphone Abdel Fattah al-Burhan pour son rôle dans cette « normalisation des liens », en l’invitant à la Maison-Blanche (une première en trois décennies), avait des allures de « petite récompense ».

Pour de nombreux experts, plusieurs conditions « favorables à Washington » devront être remplies avant que Donald Trump ne décide d’une levée totale des sanctions américaines envers le Soudan.

6Jean Yves Le Drian

La France se positionne en avocat de la cause soudanaise.

 

Si le pays peut sembler désavantagé à la table des négociations, il peut néanmoins compter sur le soutien de certaines nations occidentales, à l'instar de la France. « Nous allons user de notre influence pour que le Soudan soit retiré de cette liste [des pays sponsors du terrorisme NDLR] », avait déclaré Jean-Yves Le Drian, ministre français des Affaires étrangères, ajoutant que « les engagements pris, la manière dont l'armée a perçu son rôle pendant cette période, tout cela va dans le sens d'une sortie du Soudan de cette liste ».

Une chose est sûre, la longue marche du Soudan vers la maturité semble avoir démarré. Il faudra encore beaucoup de patience, de réformes et d’argent pour le voir atteindre la destination souhaitée par les révolutionnaires d’Atbara, berceau des manifestations qui ont mis fin à plus de 30 ans de pouvoir militaire.

Moutiou Adjibi Nourou

Moutiou Adjibi

 

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