La femme à l’origine de la découverte historique de deux diamants de plus de 1000 carats au Botswana

(Ecofin Hebdo) - Lucara Diamond a annoncé en début d’année la conclusion d’un accord avec la prestigieuse maison de luxe Louis Vuitton et l’entreprise anversoise HB, afin de polir le diamant « Sewelô ». Plus gros diamant jamais découvert au Botswana et deuxième plus gros diamant brut de l’histoire, la pierre a été récupérée à la grande mine de Karowe. Si la place du Botswana en tant que leader africain du diamant se réduit souvent au partenariat avec De Beers, c’est oublier à quel point ce projet accumule les bonnes performances et, ce, depuis plusieurs années…

Lucara et Karowe, ou comment révolutionner le secteur du diamant…

Avril 2019, un Vendredi Saint, un employé trieur du nom d’Otsogile Metseyabeng travaille dans sa station lorsqu’une pierre plus grosse qu’une balle de baseball tombe sur sa bande transporteuse.

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Une pierre de 1758 carats pesant près de 354 gr.

 

Alors qu’il examine la pierre, un sourire choqué se répand sur son visage. Le diamant est non seulement énorme, mais de forme inhabituelle: il présente à la fois de grands plans plats et des sections dentelées où la pierre semble avoir été brisée par un marteau. Le tout est recouvert d'une croûte de carbone noire. Il est impossible de voir son intérieur, sauf à travers quelques taches translucides. M. Metseyabeng prend quelque temps pour revenir de sa surprise, il alerte un collègue puis un superviseur. Après vérification de la découverte, la nouvelle remonte les échelons jusqu’à la direction de Lucara Diamond, la compagnie propriétaire de la mine.

Pour une société cotée en bourse comme Lucara, une telle découverte allait sans doute faire grimper le cours de l’action. Elle prend donc quelques jours avant de faire l’annonce le jeudi suivant : il s’agit d’une pierre de 1758 carats pesant près de 354 gr, le plus gros diamant jamais trouvé au Botswana. En plus de ce statut, la pierre est reconnue comme le plus gros diamant brut découvert depuis un siècle. Seul Cullinan, découvert en Afrique du Sud en 1905, pèse plus lourd, avec 3106 carats.

Lire aussi : 07/02/2019 - L’Afrique, terre de diamants : 9 pays producteurs et 9 pierres célébrissimes

L’histoire de cette découverte, ci-dessus racontée par le magazine américain The New Yorker, va marquer le monde du diamant. Si la récupération du « Sewelô », « trouvaille rare » en langue locale, est inédite, il faut noter qu’il n’est pas le premier fait d’armes de Lucara et du projet Karowe, au Botswana. Quelques années plus tôt, la compagnie trouvait sur le même projet le Lesedi La Rona (Notre lumière), un diamant de 1109 carats qui était alors considéré comme le plus gros diamant brut découvert depuis le «Cullinan». Et à la base de ces découvertes qui se répètent serait une innovation, un circuit de récupération avec une technologie utilisant les rayons X (XRT) mis en service en 2015.

Au commencement était une femme…

« Le circuit de récupération de diamants XRT de Lucara, technologiquement avancé, a une fois de plus donné des résultats historiques. Karowe a maintenant produit deux diamants de plus de 1000 carats en seulement quatre ans, ce qui confirme la probabilité de récupérer d'autres diamants de grande taille et de haute qualité à l'avenir », a commenté Eira Thomas, la PDG de la compagnie. Ces mots qui traduisent à la fois fierté, détermination et espoir définissent cette femme qui secoue depuis plusieurs années l’industrie du diamant.

Fille d’un prospecteur minier, Eira Thomas, déjà pionnière de l’exploration du diamant au Canada, est aujourd’hui l’un des plus grands producteurs de diamants au monde. Associée avec Catherine McLeod-Seltzer elle a d’abord créé Stornoway, une entreprise qui a ensuite développé la première mine de diamants du Québec, Renard. Après quelques années, les deux femmes décideront de poursuivre leur vision, celle d’extraire des diamants en Afrique australe, en particulier au Botswana, « une démocratie stable où les pierres sont abondantes et de haute qualité ».

Après quelques années, les deux femmes décideront de poursuivre leur vision, celle d’extraire des diamants en Afrique australe, en particulier au Botswana, « une démocratie stable où les pierres sont abondantes et de haute qualité ».

 Lucara naît en 2007 de leur association avec le milliardaire suédo-canadien Lukas Lundin. Après des échecs sur plusieurs sites, ils vont s’intéresser en 2009 à AK6, un site situé à proximité de la mine de diamants Orapa, de De Beers. De Beers avait découvert AK6 dans les années 70, mais ne l’avait pas développé, concluant qu’il coûterait trop d’argent pour extraire trop peu de diamants.

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Elle choisit le Botswana : « Une démocratie stable où les pierres sont abondantes et de haute qualité ».

Mais lorsque l’équipe de Lucara examine des échantillons qui avaient été extraits dans les années 70, elle remarque que de nombreux diamants avaient été endommagés lors du processus d'échantillonnage et que les modèles statistiques de De Beers avaient écarté ces grosses pierres brisées. La compagnie fait une offre pour acquérir la participation de De Beers, puis l’année suivante celle de son partenaire junior basé à Londres, African Diamonds.

Quand Ed Caesar, un rédacteur de The New Yorker lui a récemment demandé si elle savait alors que son entreprise avait acheté un actif qui produirait des pierres extraordinaires, Mme Thomas a répondu par la négative. « Nous avons eu de la chance. Nous savions qu’il y avait du potentiel. Nous ne savions pas à quel point il était grand », a déclaré celle dont son père disait qu’elle avait « un don pour la découverte ».

C’est également elle qui a engagé en 2013 le géologue qui a proposé à la compagnie l’idée de l’utilisation de la technologie XRT. Convaincue que Karowe avait beaucoup de grosses pierres, son équipe commençait à explorer des moyens de les récupérer sans les endommager.

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 Karowe, la seule mine de l’histoire à avoir produit deux diamants de plus de 1000 carats.

 

Si le XRT a prospéré dans l’industrie du recyclage (certaines mines l’utilisaient comme méthode de récupération secondaire), il n’avait jamais été utilisé comme méthode principale.

Si elle fonctionne, se dit-elle, les plus gros diamants de la mine ne seront pas écrasés autant de fois avant d'être triés. Le scanner pourra détecter n'importe quoi avec une signature carbone.

Eira Thomas voit rapidement le potentiel de cette innovation. Si elle fonctionne, se dit-elle, les plus gros diamants de la mine ne seront pas écrasés autant de fois avant d'être triés. Le scanner pourra détecter n'importe quoi avec une signature carbone. Au bout d’une bande transporteuse, une bouffée d’air propulsera un diamant brut dans une goulotte séparée, où il se rendra dans une salle de tri… Les résultats s’imposeront rapidement, les fruits tiendront la promesse des fleurs.

Un grand projet qui profite au Botswana à bien des égards…

En citant les plus grandes entreprises de diamants au monde, on retrouve forcément Lucara après les géants que sont De Beers et Alrosa. En outre, la société peut se targuer de détenir Karowe, la seule mine de l’histoire à avoir produit deux diamants de plus de 1000 carats. De plus, selon des données datant de novembre 2019, elle a livré 15 diamants de plus de 300 carats, vendu 2,7 millions de carats, dont 199 diamants à plus de 1 million de dollars et 10 diamants à plus de 10 millions $ chacun.

Si ces sommes font la richesse de Lucara, qui a aujourd’hui une capitalisation boursière de plusieurs centaines de millions de dollars, elles profitent également au Botswana. Par exemple, l’année où elle a vendu le diamant « Constellation » (pierre de 813 carats également découverte à Karowe), la société a payé au gouvernement botswanais 85 millions de dollars d’impôts et près de 30 millions $ de redevances, sur des bénéfices d’environ 185 millions $. Il faut également noter que la compagnie emploie sur son projet environ 800 personnes, dont la grande majorité est originaire du Botswana.

L’année où elle a vendu le diamant « Constellation » (pierre de 813 carats également découverte à Karowe), la société a payé au gouvernement botswanais 85 millions de dollars d’impôts et près de 30 millions $ de redevances.

Ajoutons aussi les fonds investis par la compagnie dans des initiatives pour l’éducation, la formation professionnelle et l’amélioration des conditions de vie de la communauté locale. Comme illustration de l’union qu’il y a entre Lucara et la population, le nom du deuxième plus gros diamant non taillé de l’histoire a été choisi parmi plus de 22 000 propositions, dans le cadre d’un concours ouvert à tous les citoyens botswanais.

Une idylle qui devrait encore durer plusieurs années…

Les profits de Karowe pour Lucara et le Botswana, déjà conséquents depuis l’entrée en production en 2012, sont appelés à encore augmenter puisque la compagnie prévoit d’exploiter les ressources de sa mine à ciel ouvert jusqu’en 2026.

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Une belle histoire partagée avec la population botswanaise.

 

En plus, elle a publié en novembre dernier une étude de faisabilité pour un projet d’extension souterraine censé doubler la durée de vie de la mine. Cette dernière pourrait produire 7,8 millions de carats jusqu’en 2040, générant des revenus bruts de 5,25 milliards $ et des flux de trésorerie après impôts de 1,22 milliard de dollars. Pour concrétiser ce projet, il faudra néanmoins un investissement de 514 millions $ ; ce qui est certainement dans les cordes de la compagnie, au vu de ce qu’elle a accompli jusqu’ici. Les dirigeants nourrissent de bons espoirs que Karowe contienne des diamants de plus de 2000 carats et, pourquoi pas, des pierres encore plus grosses que le Cullinan.

En attendant, Lucara prévoit de produire en 2020 entre 370 000 et 410 000 carats de diamants et générer des revenus d’environ 210 millions $. Alors que le Botswana est en train de renégocier son partenariat déjà « juteux » avec De Beers pour mieux profiter de ses richesses, il ne serait pas absurde de penser qu’après la plus grande entreprise de diamants au monde, ce sera le tour de Lucara. Pour un bohneur partagé…

Louis-Nino Kansoun

 Louis Nino Kansoun

 

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