OPL 245 ou l’histoire du plus gros scandale de corruption dans le secteur pétrolier nigérian

(Ecofin Hebdo) - Avec plus de 40 milliards de barils de brut non exploités, le Nigéria est aujourd’hui, l’un des plus pays les plus attractifs du monde en termes de potentiel pour les firmes exploratoires de l’industrie pétrolière. Mais le secteur est depuis plusieurs années, miné par d’innombrables affaires de corruption, qui, entre autres, font du Nigéria, l’un des pays les corrompus du monde.

L’affaire OPL 245, du nom du bloc pétrolier le plus prolifique du pays (9 milliards de barils récupérables) illustre parfaitement cette situation. Depuis 1998, où il a été attribué par l’ex-dictateur Sani Abacha, jusqu’à ce jour, le bloc est l’objet d’un rocambolesque scandale de corruption qui n’a probablement pas fini de révéler tous ses secrets. L’histoire commence en 1998…

 

Avril 1998

Le bloc OPL 245 est attribué à une société inconnue sur le marché
En avril 1998, quelques mois avant la fin de la dictature militaire qui dure depuis 1993 et qui est conduite par Sani Abacha, une société du nom de Malabu Oil se voit attribuer l’exclusivité du bloc OPL 245.

Lt. General Sani Abacha

Sani Abacha a dirigé le Nigeria de 1993 à 1998.

 

Une grande surprise pour les compagnies internationales opérant dans le pays et qui lorgnent depuis plusieurs années le périmètre. Cette surprise est doublée de questionnements car à ce moment précis, Malabu Oil est inconnue dans le milieu, n’a pas d’autres actifs d’exploration et très peu d’informations concernant ses propriétaires existent.

 

2001

Le géant anglo-néerlandais Shell à l’affût
En 2001, Shell est l’un des principaux producteurs de pétrole et de gaz au Nigéria. Ses tentacules s’étendent le long du Delta du Niger, le plus important bassin de production d’hydrocarbures du pays. Ces dernières années, la société a conclu plusieurs dizaines d’opérations d’acquisitions d’actifs dans la zone et jette désormais son dévolu sur l’OPL 245. Elle propose de s’arroger 40% des participations sur le périmètre. Mais quelques mois plus tard, avant l’achèvement de la transaction, la licence est retirée à Malabu Oil.

En effet, après la mort de Sani Abacha, empoisonné, en juin 1998, un nouveau régime s’installe et promet de réparer tous les torts causés par la dictature militaire. Plusieurs affaires de corruption sont révélées. Parmi celles-ci, on apprend que la société Malabu Oil appartenait en réalité au ministre du pétrole de Sani Abacha, Dan Etete et qu’elle avait été créée 5 jours avant l’attribution de l’OPL 245.

 Dan Etete

Malabu Oil appartenait Dan Etete.

 

Dan Etete n’est alors plus le ministre du pétrole et les services de renseignements indiquent que l’identité du propriétaire de Malabu Oil est en réalité fausse. Malgré cela, Etete intente une action en justice contre le gouvernement et contre Shell pour récupérer le périmètre. De son côté, Shell s’empresse de déclarer qu’au moment de formuler une offre, on ne savait pas qui était derrière la compagnie.

 

2003

Shell s’empare du bloc
Malabu étant désormais mis de côté, Shell devient techniquement le propriétaire du bloc à partir de 2003. L’entreprise met en place un contrat de partage de production avec la société publique du pétrole (NNPC). Dans les mois qui suivent, la société lance des campagnes d’exploration qui conduisent au forage de deux puits : Zabazaba et Etan. Les travaux de forage permettent de révéler deux découvertes de classe mondiale. Zabazaba contient des réserves de 560 millions de barils de pétrole en eaux profondes, à une profondeur d’eau comprise entre 1200 et 2400 mètres.

 labazaba

Zabazaba contient des réserves de 560 millions de barils de pétrole à une profondeur d’eau comprise entre 1200 et 2400 mètres.

 

Les chiffres concernant la taille des réserves d’Etan n’ont pas été publiés mais des sources proches de la NNPC pensent qu’elles sont au moins égales à celle de Zabazaba.

 

2006

Dan Etete veut reprendre « son bloc »

Malgré la décision de justice qui lui a retiré le contrôle du périmètre, Dan Etete revient à la charge, probablement encouragé par les promesses de production record du bloc. Subitement, au second semestre de 2006, le gouvernement nigérian arrange un accord avec Malabu Oil lui promettant son retour sur le bloc, à condition de verser des frais de signature équivalents à 210 millions de dollars. Etete a alors un an pour trouver cette somme et satisfaire aux exigences du gouvernement sur le dossier.

Shell se déclare alors « abusée » dans la façon dont le gouvernement a pris en main le dossier et opéré ce revirement. La compagnie porte plainte devant un tribunal arbitral puis demande 2 milliards de dollars de dédommagement. La compagnie anglo-néerlandaise reproche entre autres au gouvernement d’être intervenu pour suspendre une décision de justice. En effet, Simon Henry et Malcolm Brinded, deux responsables de Shell, affirment avoir reçu une note du gouvernement nigérian leur notifiant que Malabu est « de retour » dans le bloc.

Bayo Ojo 2

Selon le FBI, juste avant que la précédure soit suspendue, le procureur Bayo Ojo a reçu 10 millions $ sur son compte bancaire.

 

C’est alors que le FBI découvre que le procureur en charge du dossier, Bayo Ojo, avait reçu un virement de 10 millions de dollars sur son compte avant que le dossier ne soit suspendu. Face à ce qu’elle considère dorénavant comme une injustice, Shell veut continuer à contrôler le bloc, mais sans Malabu. Elle se retrouve toutefois dans l’obligation de renégocier le périmètre et de suspendre ses campagnes d’exploration.

 

Juillet 2010

Grâce à Goodluck Jonathan, Etete redevient de plein droit le propriétaire du bloc
Dan Etete est un homme puissant qui a de solides connections au sein de tous les gouvernements depuis la chute d’Abacha. En juillet 2010, un document interne de Shell indique que le nouveau président Goodluck Jonathan a écrit une lettre dans laquelle il confirme que le bloc est toujours contrôlé par Malabu. Un document qui instaure un nouveau cafouillage dans l’actionnariat du bloc.

 Jonathan

Une fois élu président, Goodluck Jonathan tranche en faveur de Dan Etete.

 

Cette lettre montre surtout le soutien du nouveau président au patron de Malabu Oil. Etete entame donc des négociations avec le pouvoir alors qu’au même moment l’affaire est devant les tribunaux internationaux. Selon les responsables de Shell, « cette lettre montre clairement qu’une grosse partie des fonds qui proviendront éventuellement de la nouvelle offre de Shell iront au président ».

 

Novembre 2010

Shell s’allie à Eni pour reprendre le bloc
Au mois de novembre, au-delà de toute procédure réglementaire, le procureur général Mohammed Adoke appele à des négociations directes entre Shell, Eni, Malabu et certains membres du gouvernement. La valeur du bloc est alors estimée à 1,1 milliard de dollars. Les parties s’accordent très vite sur le fait que la somme de 1,1 milliard de dollars sera versée dans les comptes du gouvernement plus les 210 millions de dollars qu’il revenait à Etete de verser au gouvernement comme frais de signature du bloc.

 eniclaudiodescalzi

Claudio Desclazi, le patron de la compagnie pétrolière italienne ENI entre dans la danse.

 

Un accord ambigu qui s’explique par la détermination de Shell et d’Eni à exploiter ce périmètre qui, à lui seul, à la capacité de doper leurs résultats financiers, une fois l’exploitation commencée. Mais Shell a peut-être fait la concession de trop…

 

Janvier 2016

Le début des ennuis pour Shell et Eni
Selon une enquête menée par l’ONG Global Witness, au moins 520 millions de dollars sur le montant total versé par les deux multinationales n’ont pas été redirigés vers les caisses du gouvernement. Ces fonds auraient plutôt été versés dans les comptes de Malabu Oil pour être redistribuées dans les comptes du président Jonathan, de certains membres du gouvernement dont Diezani Alison-Madueke, ministre du pétrole sous Jonathan, et de certains fonctionnaires et cadres de Shell et Eni.

 Diezani Alison Madueke1

 Diezani Alison-Madueke, déjà interpelée à Londres en octobre 2015 pour des malversations financières.

 

Après à la publication du rapport, le nouveau gouvernement de Muhammadu Buhari qui a promis de lutter contre la corruption dans le secteur pétrolier, se saisit du dossier. Une recommandation du bureau du procureur fédéral et du ministre de la justice indique qu’Eni et Shell risquent de perdre la jouissance du bloc mais aussi d’être condamnés à une amende de plusieurs milliards de dollars pour pratiques illégales. Le document rappelle que les 1,1 milliard de dollars de la transaction représentent 80% du budget alloué à la santé au Nigéria en 2015.

 

Décembre 2016

La justice italienne annonce qu’elle va poursuivre Dan Etete
En Italie, le cabinet du procureur du tribunal de Milan a annoncé son intention de porter plainte contre l’ancien ministre nigérian du pétrole Dan Etete pour blanchiment d’argent et pour sept autres chefs d’accusation. L’ancien dirigeant qui est déjà poursuivi dans son pays pour blanchiment d’argent et corruption, est soupçonné par les autorités italiennes d’être au cœur de ce scandale de corruption. En dehors d’Etete, Eni et plusieurs de ses responsables, ainsi que l’ancien procureur Adoke sont poursuivis par la justice italienne.

 

Janvier 2017

L’OPL 245 revient dans le portefeuille du gouvernement
En attendant les conclusions des enquêtes relatives à la propriété du bloc, la Commission chargée des infractions économiques et financières du Nigéria (EFCC) ordonne que le bloc retourne dans le giron du gouvernement fédéral. Le dossier est en cours d’examen au Nigéria, en Grande Bretagne et en Italie.

Pour Shell, la facture sera salée car elle a investi énormément pour acquérir le bloc dans un premier temps en 2003, le développer et le réacquérir à nouveau avec Eni, alors que les poursuites judiciaires qui s’annoncent risquent de lui coûter beaucoup d’argent. De nombreux juristes pensent que si le gouvernement nigérian demande réparation, il pourrait s’agir de plusieurs milliards de dollars.

 

Avril 2017

Shell savait que l’argent n’irait pas dans les caisses publiques
Dans un mail adressé à Reuters, le porte-parole de la compagnie anglo-néerlandaise Andy Norman déclare que l’entreprise savait qu’une partie des paiements versée au gouvernement nigérian, pour les droits du bloc, serait transférée sur les comptes de Malabu Oil.

Selon lui, le groupe avait conscience que l’exécutif nigérian « compenserait Malabu pour ses droits sur le bloc ». L’annonce contredit l’ancienne version de Shell qui niait avoir connaissance de la transaction entre le gouvernement et Malabu. Le responsable contredit également les affirmations de Shell faisant état de ce qu’elle ne savait pas qu’Etete est le patron de Malabu Oil. « Au fil du temps, il est devenu évident qu’Etete était associé à Malabu et que le seul moyen de négocier un accord serait d’approcher le ministre et Malabu, qu’on le veuille ou pas », a déclaré Norman.

 

Novembre 2018

L’accord de l’OPL 245 entraîne un manque à gagner de 6 milliards $
Selon une étude de l’ONG Global Witness, l’accord controversé signé en 2011 entre Eni et Shell pour acquérir le périmètre, a entraîné un manque à gagner de 5,86 milliards de dollars pour les caisses publiques. Ceci, avec un prix du baril moyen de 70 dollars. L’ONG fonde son calcul sur les recommandations du FMI selon lesquelles, les pays producteurs de pétrole parvenus à maturité, devraient recevoir 65 % à 85 % des recettes pétrolières, le reste pouvant aller aux sociétés de production. En l’état, l’accord devrait permettre au Nigeria de contrôler seulement 41% du périmètre.

shell nigeria

 Selon Global Witness, la perte représente, pour les Nigerians, deux fois les budgets de l’éducation et de la santé.

 

Récapitulons : les deux multinationales avaient versé 1,3 milliard de dollars dans des comptes du gouvernement pour l’acquisition du bloc. Par la suite, 70% de ces fonds ont été transférés vers les comptes de Malabu Oil, une compagnie détenue par Dan Etete, ancien ministre du pétrole du Nigeria entre 1995 et 1998, qui aurait permis l’acquisition. D’ailleurs, Shell a admis, en avril 2017, qu’elle savait qu’une partie des paiements, versée au gouvernement nigérian, pour les droits au bloc, serait transférée sur les comptes de Malabu Oil and Gas. Plusieurs responsables du secteur sont cités dans cette affaire.

Le manque à gagner consécutif à cette affaire équivaut, selon l’ONG, au double de la somme consacrée annuellement par la République fédérale, à la santé et à l'éducation.

Olivier de Souza

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