Faudra-t-il faire revenir les fermiers blancs pour que les capitaux reconsidèrent le Zimbabwe ?

(Ecofin Hebdo) - Le 21 novembre 2017, des cris de joie et des scènes de liesse s’emparent du Zimbabwe. Après plusieurs heures d’incertitudes la démission du président Robert Mugabe est officielle. Les Zimbabwéens fêtent alors le départ de celui qui a conservé le pouvoir, 37 années durant. Pour beaucoup de Zimbabwéens, le pays se prépare à vivre ses meilleures années, aussi bien sur le plan politique qu’économique. Pourtant, près de deux ans après le départ de l’autocrate, le pays reste englué dans la crise économique.

 

Un pays dans une tourmente sans fin

Selon l’agence nationale des statistiques du Zimbabwe, « l’inflation annuelle pour le mois de juin 2019, calculée sur l’index des prix à la consommation, est de 175,66 %, contre 97,85 % en mai ». Cette annonce a suffi pour plonger encore plus une population zimbabwéenne, qui manque de tout, dans une peur du lendemain rappelant les heures sombres de 2007 et 2008.

De Robert Mugabe à Emerson Mnagangwa, les problèmes n’ont que peu changé et le Zimbabwe continue de s’enliser dans la crise.

Quelques jours plus tôt, le gouvernement a de nouveau augmenté le prix des carburants de 16 %, dans un pays où la farine, le pain et l’huile se font rares. Dans l’ancien grenier à céréales de l’Afrique australe, il n’y a pas que les idées qui sont dans le noir. Le pays subit depuis plusieurs mois de longues coupures d’électricité. Alors qu’on y vit depuis plusieurs années sous l’épée de Damoclès que constitue l’hyperinflation, le Zimbabwe a également interdit l’utilisation de devises étrangères dans le pays, dans une tentative ultime de rétablir le dollar zimbabwéen. Mais malgré toutes les tentatives du gouvernement, l’économie zimbabwéenne donne toujours l’impression d’agoniser. De Robert Mugabe à Emerson Mnagangwa, les problèmes n’ont que peu changé et le Zimbabwe continue de s’enliser dans la crise. Une situation dont les causes remontent au début des années 2000. 

 

Une réforme agraire désastreuse

Le principal déclencheur de la crise économique que traverse le Zimbabwe depuis près de 20 ans est la politique de réforme agraire mise en place par le pays dans les années 2000. Elle visait à réparer les inégalités raciales crées par la colonisation dans la distribution des terres entre populations blanches (0,6% de la population) et populations noires ; les premiers s’étant attribués plus de 70% des terres les plus fertiles du pays.

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15 millions d’hectares de terres agricoles fertiles pour 6000 fermiers blancs.

 

En effet, en 1969, la loi sur le foncier de l’ancienne Rhodésie du Sud, actuel Zimbabwe, avait octroyé 15 millions d’hectares de terres agricoles à 6000 fermiers blancs, alors que 700 000 familles noires se partageaient 16 millions d’hectares de terres, jugées pour la plupart moins fertiles que celles accordées à la minorité blanche.

En 1969, la loi sur le foncier de l’ancienne Rhodésie du Sud, actuel Zimbabwe, avait octroyé 15 millions d’hectares de terres agricoles à 6000 fermiers blancs, alors que 700 000 familles noires se partageaient 16 millions d’hectares de terres, jugées pour la plupart moins fertiles.

A l’indépendance, en 1980, 42% des terres étaient toujours détenues par les 6000 fermiers blancs. En 2000, sous la pression des anciens combattants et des syndicats, Robert Mugabe, alors président depuis treize années a lancé une réforme agraire visant à exproprier les fermiers blancs de leurs territoires. Durant les trois années qui suivent, 90% des fermes sont alors saisies. Malheureusement, au lieu de contribuer à la réduction de la pauvreté et à une redynamisation du secteur agricole, cette réforme plonge le pays dans une grave crise économique et alimentaire.

Durant les trois années qui suivent, 90% des fermes sont alors saisies. Malheureusement, au lieu de contribuer à la réduction de la pauvreté et à une redynamisation du secteur agricole, cette réforme plonge le pays dans une grave crise économique et alimentaire.

En fait, malgré une augmentation du nombre d’emplois agricoles, notamment au sein de la population noire (6000 fermiers blancs avant la réforme contre 90 000 producteurs noirs après la réforme) les performances du secteur se sont considérablement affaiblies après la réforme.

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6000 fermiers blancs avant la réforme contre 90 000 producteurs noirs après.

 

Selon une étude du Zimbabwe Agricultural Competitiveness Programme (Zim-ACP), la production de café du pays, est passée d'un record industriel de 14 664 tonnes métriques (tm), en 1980, à seulement 350 tonnes en 2015. D’après les estimations, avant la réforme agraire, dans les années 1990, 550 000 têtes de bétail étaient abattues chaque année. En 2017 le chiffre plafonnait à seulement 250 000. Aussi, entre 2001 et 2016, la consommation de maïs du Zimbabwe a dépassé la production de 550 000 tonnes par an en moyenne, transformant l’ancien « grenier à blé de l’Afrique » en un importateur de produits alimentaires. Le pays, autrefois exportateur de denrées, est désormais marqué par des épisodes fréquents de crise alimentaire. Une situation qui n’est pas arrangée  par les sécheresses. D’après l’ONU, 2 millions de personnes avaient besoin d’aide alimentaire dans le pays en 2008.  

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Le programme d’expropriation n’a pas été accompagné d’une stratégie de mise à disposition des moyens nécessaires.

 

Cette situation est essentiellement due au fait que le programme d’expropriation de l’ancien président Mugabe n’a pas été accompagné d’une stratégie de mise à disposition, au profit des familles noires, des moyens nécessaires, pour leur permettre de rentabiliser leurs nouvelles terres. De plus, la majeure partie des bénéficiaires de la réforme agraire, était des proches de l’ancien chef d’Etat, des anciens combattants qui pour la plupart disposaient d’assez peu de compétences pour exploiter les grandes fermes qui leur ont été accordées.

« Pour celles [les terres, ndlr] dont la taille finale était comprise entre 5 et 20 hectares, l’opération a plutôt été un succès. Là où cela a été plus compliqué, c’est pour les exploitations qui ont fini par totaliser une centaine d’hectares: leurs repreneurs n’avaient ni les compétences ni les moyens suffisants pour les faire fructifier.»

« Pour celles [les terres, ndlr] dont la taille finale était comprise entre 5 et 20 hectares, l’opération a plutôt été un succès. Là où cela a été plus compliqué, c’est pour les exploitations qui ont fini par totaliser une centaine d’hectares: leurs repreneurs n’avaient ni les compétences ni les moyens suffisants pour les faire fructifier » déclarait à France Tv Info, Ian Scoones, de l’Institut britannique d’études du développement.

 

Une politique économique et monétaire inefficace

La chute de la productivité agricole liée à la réforme agraire et les sanctions économiques de la communauté internationale, conjuguées à un recours abusif à la planche à billet par le gouvernement du président Robert Mugabe pour payer les soldats, les fonctionnaires et les anciens combattants, a entraîné hausse générale des prix. Cette situation a affaibli la monnaie locale et a érodé le pouvoir d’achat des Zimbabwéens. D’une inflation à 32% en 1998, l’économie enregistrera des taux d’hyperinflation importants à partir des années 2000, avec un chiffre de 100 000% estimé en Janvier 2008. D’après les statistiques, le taux d’inflation annuel entre juillet 2007 et juillet 2008 est passé à 231 000 000%.

Les prix augmentent très vite, ce qui oblige la population à dépenser rapidement leurs avoirs, principalement en provisions, pour anticiper une nouvelle flambée des prix. En août 2007 par exemple, 2 litres d’huile de cuisine coûtaient 400 000 dollars zimbabwéens, soit 2,8 $ ou 2 euros.

Les prix augmentent très vite, ce qui oblige la population à dépenser rapidement leurs avoirs, principalement en provisions, pour anticiper une nouvelle flambée des prix.

Pour contrer le phénomène, les autorités opteront d’abord pour l’émission de billets de plus en plus grandes valeurs. En janvier 2009, un billet de cent mille milliards de dollars zimbabwéen, valant 30 dollars américains est mis en circulation.

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La réforme a plutôt bien marché pour les petites exploitations de 5 à 20 hectares.

 

Toutes ces mesures contribueront à dégrader considérablement le niveau de vie de la population zimbabwéenne. Entre 1990 et 2003 le taux de pauvreté est passé de 25% à 60%. L'espérance de vie à la naissance a chuté de 12 ans entre 1980 et 2000, et le Produit national brut du pays a baissé de 34%.

Entre 1990 et 2003 le taux de pauvreté est passé de 25% à 60%. L'espérance de vie à la naissance a chuté de 12 ans entre 1980 et 2000, et le Produit national brut du pays a baissé de 34%.

En 2009, le gouvernement choisit alors d’abandonner sa monnaie locale, le dollar zimbabwéen, au profit d’autres devises étrangères. La majeure partie des transactions commerciales se fera en dollar américain et en rand sud-africain. Ceci aura pour effet de faire entrer l’économie dans une période de déflation, caractérisée par une baisse générale du niveau des prix, améliorant ainsi le pouvoir d’achat de la population. En avril 2009, l’office central des statistiques du Zimbabwe (CSO) annonce que depuis le début de l’année, les prix ont baissé de 3%. Pour le compte de la même année, le FMI annoncera que les prix ont enregistré une baisse totale de 7,7%.

Malheureusement, cette mesure se heurtera à une pénurie en devises étrangères, principalement le dollar américain.

Dans le cadre d’une stratégie de réintroduction de la monnaie locale d’ici à la fin de l’année 2019, le nouveau gouvernement vient de suspendre, début juillet, l’utilisation de devises autres que le RTGS (monnaie intérimaire) dans les transactions commerciales.

 

Vers un retour des fermiers blancs ?

Dès son arrivée au pouvoir en remplacement de l’ancien président Mugabe, Emmerson Mnangagwa a souligné son intention d’adopter des politiques plus « équitables », notamment envers la population blanche. Ces mesures visent non seulement à ramener dans le pays les fermiers blancs qui avaient fui le régime Mugabe, mais également à créer les conditions économiques nécessaires pour attirer les investisseurs et bénéficier du soutien des bailleurs de fonds qui boudaient le pays d’Afrique australe depuis plusieurs années.

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Pour les exploitations d’une centaine d’hectares et plus, les fermiers n’avaient ni les moyens, ni les compétences suffisantes.

 

En 2018, le gouvernement a annoncé que la durée des baux sur les terres agricoles accordés aux fermiers blancs qui étaient restés dans le pays, jusque-là fixée à 5 ans renouvelables, passait désormais à 99 ans. Cette annonce était intervenue quelques semaines seulement après le ministre de l’Agriculture du pays, ait ordonné l'évacuation des occupants illégaux d'exploitations agricoles qui appartenaient à des fermiers blancs.

En 2018, le gouvernement a annoncé que la durée des baux sur les terres agricoles accordés aux fermiers blancs qui étaient restés dans le pays, jusque-là fixée à 5 ans renouvelables, passait désormais à 99 ans.

Après son élection, Emmerson Mnangagwa a également annoncé qu’un budget de 53 millions $ avait été dégagé en 2019 pour indemniser les propriétaires blancs expulsés. En juin dernier, Ben Gilpin, directeur du Syndicat des cultivateurs commerciaux, a confirmé que le gouvernement avait entamé une procédure de compensations financières, qui avait déjà permis à près d’une trentaine d’agriculteurs blancs, de recevoir près de 8700 $ chacun.

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Aujourd’hui, des fermiers blancs obtiennent des baux à 99 ans.

 

Cependant de nombreux obstacles restent encore à franchir pour permettre au pays de bénéficier de nouveaux prêts de la part de ses bailleurs de fonds, afin de financer ses réformes. Des arriérés de 2,6 milliards $ dues à la Banque mondiale, à la Banque africaine de Développement et à la Banque européenne d'investissement, qui ont fait perdre au pays toute crédibilité financière auprès des investisseurs, continuent d’empêcher les capitaux de venir dans le pays. Et alors que le FMI table sur une nouvelle récession à -5,2% en 2019, on peut légitimement se demander si le nouveau régime, souvent accusé de n’être qu’une continuation de l’ancien, ne sera pas à nouveau fragilisé. Il a déjà vacillé, après les émeutes de janvier dernier qui avaient fait des dizaines de morts, lorsque le prix de l’essence avait augmenté.

 

Moutiou Adjibi Nourou

Moutiou Adjibi

Ndeye Khady Gueye
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