Comment, en 15 ans, le Nigéria est devenu un modèle dans la lutte contre le torchage de gaz

(Ecofin Hebdo) - En 2004, le Nigeria brûlait à la torche 23 milliards de mètres cubes de gaz faisant de lui le deuxième responsable mondial du rejet de gaz, derrière la Russie (50,7 milliards de mètres cubes). A l’époque, le niveau mondial de gaz torché était de 150 milliards de mètres cubes. Face à la pression des organisations de protection de l’environnement et de lutte contre le changement climatique, plusieurs pays producteurs de pétrole et de gaz ont drastiquement réduit leur niveau de torchage de gaz. Le Nigéria est devenu en 15 ans l’un des modèles de cette lutte.

 

Comprendre la technique du torchage du gaz et ses inconvénients

Torcher du gaz consiste à rejeter le combustible, délibérément ou non, dans l’atmosphère, depuis les sites de production de pétrole. En fait, les gisements de production de pétrole liquide contiennent généralement du gaz associé, souvent en volume moins élevé. Extraire le pétrole revient alors à laisser s’échapper le gaz contenu dans les puits. Or, les moyens physiques d’acheminement de l’huile ne sont pas les mêmes que ceux destinés à une exploitation de gaz naturel. Il faut dépenser presque autant que les sommes investies en amont pour le pétrole, voire plus, pour exploiter ce gaz, ce qui ne présente en général aucun intérêt économique. Les producteurs préfèrent donc généralement bruler le gaz.

Il faut dépenser presque autant que les sommes investies en amont pour le pétrole, voire plus, pour exploiter ce gaz, ce qui ne présente en général aucun intérêt économique. Les producteurs préfèrent donc généralement bruler le gaz.

Ainsi rejeté sous forme de flamme, il a un potentiel de réchauffement 23 fois plus élevé que celui du CO2. Le méthane qu’il contient est à ce propos le principal gaz à effet de serre.

 

Une loi « historique »

Dans les années 1980, soucieux du niveau alarmant de gaz brûlé dans l’atmosphère, le gouvernement nigérian de l’époque a introduit un projet de loi pour limiter, et à terme, réduire à zéro le niveau de gaz rejeté afin d’extraire le pétrole. Mais face à la persistance des défis sociaux et à l’urgence des réformes dans les autres domaines, le texte de loi est resté dans les tiroirs de l’Assemblée pendant près de 40 années. Sous le régime du président Goodluck Jonathan, notamment, les autorités du secteur de l’énergie ont à nouveau exprimé leur inquiétude sur le rôle de l’industrie pétrolière dans les émissions de CO2.

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Le texte de loi est resté dans les tiroirs de l’Assemblée pendant près de 40 années.

 

Mais il faudra attendre 2015, avec l’Initiative conjointe de l’ONU et de la Banque mondiale « Zéro Routine Flaring d'ici 2030 » pour assister à une accélération des démarches afin de rendre effective cette ambition. Pour les parties prenantes, elle vise principalement la réduction du torchage systématique de gaz avant cette échéance. Au total 35 sociétés pétrolières et gazières, 27 gouvernements, dont le Nigéria et l’Algérie ainsi que 15 institutions internationales de développement ont rejoint l’initiative.

Le président nigérian Muhammadu Buhari s’est personnellement impliqué et a déclaré qu’il considèrerait comme un important succès de son gouvernement le vote d’une loi pour réduire le niveau de gaz rejeté.
Le gouvernement s’est alors donné jusqu’en 2020 pour atteindre l’objectif visé. C’est à dire 10 ans plus tôt que ce que prévoit l’Initiative.

Le gouvernement s’est alors donné jusqu’en 2020 pour atteindre l’objectif visé. C’est à dire 10 ans plus tôt que ce que prévoit l’Initiative.

Le projet de loi sur le torchage du gaz a été ressorti pour être analysé et adapté aux nouvelles exigences. Finalement le texte a été adopté le 25 avril 2019 et prévoit des sanctions contre les auteurs du gâchis énergétique. Pour Bassey Akpan, président de la Commission du gaz, il s’agit d’un texte « historique, l’un des meilleurs cadeaux que le huitième Sénat puisse offrir au peuple nigérian ».

2Torchage Nigeria 

Finalement le texte a été adopté le 25 avril 2019 et prévoit des sanctions.

 

En mai dernier, le gouvernement a lancé le programme national de commercialisation du gaz destiné au torchage. L’idée est d’attirer des investissements pour monétiser plus de 178 sites de torchage dans le pays.

En mai dernier, le gouvernement a lancé le programme national de commercialisation du gaz destiné au torchage. L’idée est d’attirer des investissements pour monétiser plus de 178 sites de torchage dans le pays.

Il faut dire que ces 178 sites permettront de récupérer l’équivalent de 1 milliard de pieds cubes de gaz par jour, dont les 2/3 sont en onshore. 50 de ces sites représentent les 4/5 du gaz qui est normalement brûlé à la torche dans le pays. Le processus devrait permettre d’attirer jusqu’à 3,5 milliards de dollars d'investissements étrangers. Le programme a été salué par la Société financière internationale (SFI) qui, dans un rapport publié récemment, a souligné que ce genre d’initiative pourra fournir au marché local plus de gaz à moindre coût pour la production d’électricité.

 

Des mesures à la hauteur du gâchis

Le texte prévoit qu’un projet de production de pétrole ne recevra le feu vert du gouvernement que lorsqu’il aura prévu des modalités claires pour réduire à zéro le taux de gaz torché. Il stipule aussi que tout titulaire de licence qui fournit des données inexactes sur ses politiques de brûlage est passible d’une amende de 28 000 $ et/ou d’une peine de prison de six mois.
L’opportunité de cette loi est indiscutable car en 2018, par exemple, les producteurs de pétrole opérant dans le pays ont rejeté 287 milliards de pieds cubes standard de gaz. C’est l’équivalent de 987 millions de dollars partis en fumée.

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La carte mondiale du torchage (source Skytruth.org)

 

Pendant ce temps, la Russie reste le plus grand brûleur à la torche du monde, avec 21,3 milliards de m³ l'année dernière, ce qui représente 14,7% du total du gaz brûlé, indique un rapport du Partenariat de la Banque mondiale pour la réduction du brûlage à la torche du gaz (GGFR).

Pendant ce temps, la Russie reste le plus grand brûleur à la torche du monde, avec 21,3 milliards de m³ l'année dernière, ce qui représente 14,7% du total du gaz brûlé, indique un rapport du Partenariat de la Banque mondiale pour la réduction du brûlage à la torche du gaz (GGFR).

Le rapport qui répertorie les niveaux de brûlage de gaz par les principaux producteurs mondiaux sur les quatre dernières années, met en évidence les efforts du Nigéria dans ce domaine. Avec le Mexique et l’Algérie, le pays africain est l’un des meilleurs élèves en matière de réduction du gaz torché entre 2014 et 2018 avec 7,4 milliards m3 brûlé en 2018 contre 8,4 milliards m3 brûlé en 2014. En comparaison, sur 2018, la majorité des autres producteurs de pétrole ont brûlé plus de gaz qu’en 2014.

 

Des besoins en infrastructures pour soutenir la vision

Pour monétiser le gaz récupéré dans le cadre du Programme, le Nigeria a besoin de construire davantage de centrales électriques et de nouveaux trains de GNL.

Avec le Mexique et l’Algérie, le pays africain est l’un des meilleurs élèves en matière de réduction du gaz torché entre 2014 et 2018

Mais les réalités sur le terrain montrent qu'il existe actuellement trop peu de perspectives dans ce segment.
En effet, le projet du septième train de liquéfaction de gaz naturel de la Nigeria LNG doit faire l’objet d’une décision finale d’investissement au dernier trimestre de cette année avec une mise en activité prévue pour 2023. Pour l’instant, il n’est pas encore prévu la construction de nouvelles centrales thermiques.
Une partie du gaz non brûlé pourrait être acheminé vers les centrales thermiques existantes pour produire de l’électricité entre 2020 et 2023, mais, qu’en sera-t-il du reste ?

 

Olivier de Souza

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