Big Four Agenda : le pari risqué d’Uhuru Kenyatta pour faire émerger le Kenya

(Ecofin Hebdo) - A sa réélection à la tête de l’Etat à la fin de l’année 2017, le président Uhuru Kenyatta annonçait un vaste plan de développement pour son pays : le Big Four Agenda. S’appuyant sur quatre projets phares, il prévoit de mettre l’économie du pays est-africain sur la voie de l’émergence d’ici 2022. Près de deux ans après son lancement, les retombées de ce projet titanesque se font toujours attendre…

Pour faire du Kenya un pays émergent, le Big Four Agenda du président Uhuru Kenyatta s’appuie, dans un premier temps, sur la transformation industrielle d’une économie en grande partie basée sur l’agriculture (plus de 26% du PIB selon la FAO).

Big 4 Agenda

 

Ainsi, le gouvernement envisage de faire passer la part du secteur manufacturier dans le PIB, de 8,5% à 15% d’ici à 2022. Pour ce faire, l’Etat Kényan veut multiplier par cinq le montant de ces investissements directs étrangers (IDE) en les faisant passer à 3,8 milliards $. Ce faisant, le pays vise le top 50 mondial du classement Doing Business de la Banque mondiale, une étude qui évalue chaque année la facilité à faire des affaires dans un pays.

Selon les autorités, le programme devrait également impacter le secteur social en créant à terme plus d’un million de nouveaux emplois dans le secteur manufacturier.

Le Big Four Agenda vise également à assurer un meilleur accès au logement à la plupart des Kenyans, à travers un vaste de construction de logements sociaux. Près de 500 000 unités devraient être construites dans tout le pays, contribuant à réduire de 60% le déficit en logements sociaux abordables.

Selon les autorités, le programme devrait également impacter le secteur social en créant à terme plus d’un million de nouveaux emplois dans le secteur manufacturier.

De plus le gouvernement veut mettre en place de nouvelles réformes pour réduire le coût de la construction de 30%, en plus d’augmenter de 100% la contribution du secteur au PIB du pays. D’après le gouvernement, ce projet permettra de réduire de 50% le coût d’accès à la propriété, tout en créant plus de 300 000 emplois dans le secteur.

 

Assurer la couverture médicale universelle et l’auto-suffisance alimentaire

En assurant une couverture médicale universelle pour toute la population, le gouvernement souhaite également réduire de 54% les frais médicaux, en pourcentage de dépense des ménages. A travers une réforme du secteur agricole, le pays veut également assurer la sécurité alimentaire pour tous les citoyens. Ceci permettra de réduire de 27% la malnutrition chez les enfants de moins de 5 ans, de réduire de 50% le nombre Kenyans en situation d’insécurité alimentaire et de 47% le coût de la nourriture en pourcentage du revenu.

 Kibera Nairobi Kenya slums shanty town October 2008

Les projets de logements sociaux semblent avoir pris beaucoup de retard.

 

D’un point de vue économique, le pays souhaite augmenter de 48% la part du secteur agricole dans son PIB, créer plus de 1000 PME agricoles (ce qui devrait générer 600 000 nouveaux emplois). Le revenu quotidien moyen des agriculteurs quant à lui, devrait croître de 34%.

 

Le défi du financement…

Alors que le projet est estimé à plusieurs milliards de dollars, la problématique de son financement semble être le principal défi auquel est confronté le gouvernement kenyan. D’après le journal The star, le gouvernement prévoit de dépenser près de 20 milliards $ (plus de 2000 milliards de shilling) sur les deux prochaines années fiscales pour le Big Four Agenda. Ceci représente près de 26% de son PIB estimé à près de 75 milliards $ en 2017.

D’après le FMI, les recettes publiques kenyanes restent encore insuffisantes pour permettre au pays d’investir de façon efficace dans ses projets de développement. Cette faiblesse des recettes publiques a entraîné un déficit budgétaire chiffré à 8,9% du PIB pour l’année 2016-2017, et à 7,5% du PIB pour l’année 2017-2018. Pour cette même année fiscale, l’institution indiquait dans un rapport que « les recettes ont été nettement inférieures aux prévisions budgétaires et inférieures de 0,4 point de pourcentage du PIB à celles de l'exercice précédent ».

 

Le retard dans l’exécution du projet

Si de nombreux observateurs semblent désormais dubitatifs quant à l’effectivité de la réalisation du projet, cela est principalement dû au retard enregistré dans son exécution. A trois ans et quelques mois de la fin du mandat du président Uhuru Kenyatta, seul un des quatre piliers semblent enregistrer de réelles avancées.

En effet, seul le projet de couverture médicale universelle pour les Kenyans semble avancer. Ce dernier a connu le lancement de sa phase pilote dans quatre comtés du pays (Isiolo, Machakos, Nyeri et Kisumu), en fin d’année dernière.

Seul le projet de couverture médicale universelle pour les Kenyans semble avancer. Ce dernier a connu le lancement de sa phase pilote dans quatre comtés du pays (Isiolo, Machakos, Nyeri et Kisumu), en fin d’année dernière.

Malgré les promesses du chef de l’Etat kenyan, les programmes de sécurité alimentaire inscrits dans le cadre du Big Four Agenda semblent être restés à l’état de projet, malgré la crise qui secoue le pays. D’après l’autorité publique de gestion des sécheresses plus d’un million de Kenyans ont besoin aujourd’hui d’une aide alimentaire. D’après la Banque mondiale, le secteur agricole devrait d’ailleurs être particulièrement touché par la sécheresse cette année.

Les projets de logements sociaux semblent également avoir pris beaucoup de retard, notamment en raison de nombreuses difficultés de financement.

Dans un pays où le taux de chômage frôle les 11%, le plan d’amélioration du secteur manufacturier était porteur de nombreux espoir pour la jeune population. Mais même si le gouvernement essaye d’attirer de nouvelles entreprises étrangères, le taux de progression du projet semble plus faible que prévu.

 

Des taxes très critiquées par la population… et le FMI

Pour juguler le manque de financement, le gouvernement a adopté de nouvelles taxes au cours des dernières années. Ces dernières se sont d’ailleurs avérées impopulaires, non seulement auprès des populations locales mais également auprès des bailleurs de fonds comme le FMI. L’une des mesures les plus contestées a d’ailleurs une taxe de 16% sur les produits pétroliers qui devait permettre au gouvernement de mobiliser près de 340 millions $. Finalement, elle sera abaissée à 8% et est prévue pour rapporter près de 170 millions $ dans les caisses de l’Etat.
D’autres taxes seront mises en place par le président Uhuru Kenyatta pour financer son Big Four Agenda. Ainsi, l’Etat a annoncé que toutes les transactions bancaires d’au moins 500 000 shillings, seront assujetties à une taxe de 0,05%. Une taxe de 12% sera appliquée sur les transferts d’argent par le mobile, contre 10% auparavant.

D’autres taxes seront mises en place par le président Uhuru Kenyatta pour financer son Big Four Agenda. Ainsi, l’Etat a annoncé que toutes les transactions bancaires d’au moins 500 000 shillings, seront assujetties à une taxe de 0,05%.

Pour financer ses projets de logements sociaux notamment, le gouvernement avait également annoncé des déductions de 1,5% sur les salaires de la fonction publique. Cette mesure avait d’ailleurs déclenché des contestations au sein des travailleurs kenyans.

 

Une dette publique en hausse…

En plus des pressions sociales exercées par les diverses taxes instaurées pour financer le Big Four Agenda, le niveau de la dette publique kenyane inquiète les observateurs. D’après les données du FMI, la dette publique du pays est passée de 52% du PIB en 2016/2017, à plus de 58% en 2017/2018.

Si elle reste dans les limites fixées par l’institution de Bretton Woods, la politique de gestion de la dette du pays reste une source d’inquiétude. En effet, pour assurer la disponibilité immédiate des ressources pour la mise en place de ses projets, notamment dans les infrastructures, le pays n’a pas hésité à contracter des prêts. En 2018, le Business Daily indiquait que la Chine détenait désormais près de 72% de la dette publique bilatérale du Kenya, contre un taux de 57% en 2016 seulement. Des facilités accordées par la Chine, qui a développé une politique de financement des infrastructures en Afrique, a notamment facilité cette situation.

 train Chine

La Chine détient désormais près de 72% de la dette publique bilatérale du Kenya.

 

Chiffrée à près de 50 milliards $, la dette kenyane devrait atteindre les 60 milliards $ d’ici 2020 d’après les prévisions. A la fin de l’exercice budgétaire en cours, elle devrait atteindre plus de 60% du PIB. Et avec les récentes annonces du gouvernement kenyan, la part des émissions d’obligations devrait également croître au cours des prochaines années. En janvier dernier, le gouvernement annonçait la préparation pour cette année d’une émission de 2,5 milliards $ d’obligations.

Cette politique de la dette a d’ailleurs été une source de désaccords entre le Kenya et le FMI. Cela a entraîné, en septembre dernier, une suspension de l’accord de financement conclu entre les deux parties.

Ayant déjà bien entamé son second mandat, Uhuru Kenyatta semble vouloir mettre les bouchées doubles pour réaliser son programme qui a pris du retard en raison, entre autres, des difficultés de financement. « Il n'y aura pas de nouveaux projets lancés tant que ceux qui sont en cours ne seront pas terminés » avait d’ailleurs déclaré l’année dernière le chef de l’Etat, en donnant la priorité à son Big Four Agenda.

Cependant si le projet a le mérite d’être ambitieux, il reste à s’assurer que son financement n’hypothèque pas « l’avenir des générations futures », d’après la formule chère aux dirigeants de l’opposition au régime Kenyatta.

Moutiou Adjibi Nourou

Moutiou Adjibi

 

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