La mise en concession de l’Electricity Company of Ghana tourne au scandale et met en cause des institutions internationales

(Ecofin Hebdo) - Le dossier défraie les chroniques ghanéennes. Moins de six mois après l’entrée en vigueur de la mise en concession de l’Electricity Company of Ghana (ECG), la compagnie nationale de distribution électrique, le gouvernement annonçait, en juillet dernier, la suspension de l’accord. Et depuis, l’opposition crie au scandale, l’opinion vibre au rythme des révélations des enquêtes, tandis que le gouvernement s’efforce de faire la lumière dans l’affaire, en veillant cette fois à ne rien laisser passer. Zoom sur le scandale qui ébranle la réforme du secteur électrique ghanéen.

En mars 2019, le consortium Meralco s’est vu attribuer la concession de l’Electricity Company of Ghana (ECG). Ce consortium est mené par le Philippin Manila Electricity Company, associé à l’Angolais AEnergia SA et à trois compagnies ghanéennes, que sont TG Energy Solutions Ghana Ltd, Santa Power Ltd et GTS Power Ltd.

Selon les amendements apportés à l’accord de concession par le Parlement ghanéen, le consortium Meralco, qui prend le nom de Power Distribution Services Ghana (PDS), est détenu à 51 % par les entités locales.

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ECG devient Power Distribution Service of Ghana (PDS).

 

A la signature du contrat, la compagnie de distribution elle-même prend le nouveau nom du consortium afin de préserver la dénomination ECG, pour éventuellement la reprendre à la fin du contrat. L’ex-ECG devient donc Power Distribution Service of Ghana (PDS), dirigé par le groupe éponyme.

La concession obtenue en mai 2018 est valable pour une période de 20 ans. Selon ses dispositions, le PDS injectera 580 millions $ dans la compagnie de distribution qui doit également assurer l’amélioration de la gestion de la structure pour lui conférer une plus grande efficacité, sans toutefois modifier le tarif électrique dont la fixation demeure la prérogative exclusive de la Public Utility Regulatory Commission.

Cette mise en concession était l’une des conditions de l’octroi par le Millennium Challenge Account du « Ghana Power Compact », un programme de subvention d’une valeur de près de 500 millions $ qui prévoit de consacrer 300 millions $ à l’ex-ECG. D’où le souci de s’assurer de sa bonne gestion et de son efficacité.

Cette mise en concession était l’une des conditions de l’octroi par le Millennium Challenge Account du « Ghana Power Compact », un programme de subvention d’une valeur de près de 500 millions $.

Lors de la préparation du Compact, la compagnie avait une dette de 407 millions $ ainsi que des difficultés de gestion qui freinaient son efficacité. Ses pertes techniques s’élevaient à près de 25 %, le tarif électrique était inférieur aux coûts de production et le taux de collecte des recettes, faible.

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Meralco (Philippines) et ses associés entrent en possession des actifs de ECG.

 

C’est d’ailleurs dans ce cadre que la Millennium Development Authority (MiDA), qui coordonne la mise en place du Compact, a participé à la mise en place du contrat de concession en tant que conseiller à la transaction. Il a assumé ce rôle avec la Société financière internationale (SFI), entité du groupe de la Banque mondiale.

 

Une violation substantielle des obligations en termes de garantie

Le mardi 30 juillet 2019, coup de théâtre : le ministre ghanéen de l’information, Kodjo Oppong Nkrumah, annonce la suspension du contrat de concession de l’ECG, pour violations fondamentales et substantielles des obligations du Power Distribution Service Ghana (PDS) dans la fourniture des garanties de paiement. Une défaillance qui a été découverte par le gouvernement lors de vérifications ultérieures. « Les garanties à la demande étaient des conditions préalables essentielles pour le leasing des actifs, à partir du 1er mars afin de sécuriser les actifs transférés au concessionnaire », a affirmé le responsable dans un communiqué.

Le ministre annonce la suspension du contrat de concession de l’ECG, pour violations fondamentales et substantielles des obligations du Power Distribution Service Ghana (PDS) dans la fourniture des garanties de paiement.

La garantie à la demande permet au bénéficiaire, ici l’Etat ghanéen, d’obtenir le paiement d’un montant déterminé (12,25 millions $) auprès de l’organisme garant, et ce, dès sa première demande. Aucune exception ou objection ne peut être soulevée par le garant pour se dérober au paiement. C’est sur cette garantie que des manquements ont été découverts par le gouvernement ghanéen.

3Kodjo Oppong Nkrumah 

Kodjo Oppong Nkrumah : « Les garanties à la demande étaient des conditions préalables essentielles.»

 

Une autre garantie, d’une valeur de 350 millions $, également obtenue auprès d’une banque sous forme de lettre de crédit, est aussi exigée selon les termes de l’accord conclu avec le PDS. Elle devait permettre à l’Etat de protéger les actifs de l’ECG et de pouvoir recouvrer ses pertes en cas de défaillance de son cocontractant.

 

Un tolé et une indignation généralisée

L’annonce de la suspension de cette mise en concession a pour le moins suscité des réactions dans l’opinion publique, et encore plus dans l’opposition.

Le rassemblement des syndicats, la Trade Union Congres, a exigé une enquête, sur tous les acteurs de la conclusion de cet accord. Des concessionnaires aux agents gouvernementaux en passant par les conseillers de la transaction. « Une transaction de cette nature, qui affecte un secteur aussi sensible, aurait dû être traitée avec la plus grande attention. Le prétendu échec de la MiDA dans la vérification de l’authenticité des garanties soumises par le PDS, avant de lui transférer les actifs et la gestion de l’ECG, s’il est prouvé, serait scandaleux », s’est indigné le rassemblement des syndicats dans un communiqué.

« Une transaction de cette nature, qui affecte un secteur aussi sensible, aurait dû être traitée avec la plus grande attention. Le prétendu échec de la MiDA dans la vérification de l’authenticité des garanties soumises par le PDS, avant de lui transférer les actifs et la gestion de l’ECG, s’il est prouvé, serait scandaleux »,

L’opposition, quant à elle, n’y est pas allée de main morte. Ce scandale était selon elle, la preuve, s’il en fallait, de la corruption au plus haut niveau de l’Etat ainsi que du manque de compétence et de sérieux de l’ensemble de l’exécutif. Des enquêtes approfondies auraient dû être faites et des têtes devraient tomber, a-t-elle asséné. « La manière imprudente dont les règles ont été enfreintes par le gouvernement pour le PDS et la légèreté avec laquelle plus de 20 milliards de cédis (3,5 milliards $) d’actifs ont été cédés mettent en évidence le climat dominant de corruption des dirigeants sous le mandat du président Nana Akufo-Addo », s’est indigné Johnson Asiedu Nketia, le secrétaire général de National Democratic Congress, le principal parti de l’opposition au Ghana. Allant plus loin, le parti a même affirmé que le gouvernement chercherait à présent à transférer le contrat de concession à l’EDF (Electricité de France).

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Johnson Asiedu Nketia, secrétaire général de National Democratic Congress dénonce « un climat de corruption.»

 

Certaines voix, comme l’ancien ministre des communications, Eward Ormane, demandent tout simplement l’annulation de l’accord de concession. Cet imbroglio qui intervient si tôt, selon lui, est la preuve ultime que la gestion de l’ECG par l’Etat est la meilleure des options.

Au milieu de toutes ces réactions, le gouvernement s’efforce de son côté de faire la lumière sur ce scandale, en prenant en compte toutes les données. Une démarche rendue ardue par le vif intérêt que suscite chaque nouveau développement de l’affaire.

 

L’ardue quête de la vérité du gouvernement

Aux lendemains de l’éclatement du scandale, le gouvernement ghanéen a dépêché une délégation auprès de la compagnie d’assurances qatari Al Koot, afin de vérifier l’authenticité de la garantie autonome de 12,25 millions $, présentée par le PDS. Cette délégation, composée entre autres du procureur général adjoint et du chef de Interpole, était dirigée par le ministre de l’Intérieur, Ambrose Dery.

Selon les résultats de son enquête, la garantie présentée au nom de la compagnie qatari n’est pas valable. Elle a été frauduleusement produite par un membre du personnel.

Selon les résultats de son enquête, la garantie présentée au nom de la compagnie qatari n’est pas valable. Elle a été frauduleusement produite par un membre du personnel, Yahaya Al-Norui, chef du département de la réassurance qui n’avait pas la compétence pour le faire et qui a falsifié la signature d’Osman Hag Musa, le directeur général de la division des assurances générales. En effet, toute transaction supérieure à 15 000 $ doit, selon les règles de la compagnie, être approuvée par le conseil d’administration, ce qui n’a pas été fait.

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La compagnie qatarie Al-Koot n’avait pas la surface financière nécessaire pour une garantie de 350 millions $.

 

En outre, Al-Koot affirme qu’elle n’aurait pas été en mesure de garantir le PDS à hauteur de 350 millions $ puisque sa valeur nette totale, en tant que compagnie d’assurances, était d’environ 170 millions $. Il lui aurait été impossible de fournir une garantie équivalente au double de sa propre capacité financière.

En outre, Al-Koot affirme qu’elle n’aurait pas été en mesure de garantir le PDS à hauteur de 350 millions $ puisque sa valeur nette totale, en tant que compagnie d’assurances, était d’environ 170 millions $.

Elle a également précisé, ne pas avoir la capacité d’émettre des garanties à la première demande, car n’ayant pas de mandat pour des contrats de contrepartie ou de risques commerciaux comportant des émissions de garantie autonome.

Le PDS de son côté prétend avoir rempli ses engagements. Elle a engagé la CAL Bank et Donewell Insurance pour les démarches relatives à l’obtention de la garantie autonome. Elle affirme avoir versé les 12,25 millions $, correspondant à la garantie autonome, en deux tranches de 8 et 4,25 millions $, par le biais de la CAL Bank. Le consortium insiste également sur le fait que le Millennium Development Authority MiDA et la SFI qui étaient les conseillers de la transition étaient satisfaits du processus.

Le consortium insiste également sur le fait que le Millennium Development Authority MiDA et la SFI qui étaient les conseillers de la transition étaient satisfaits du processus.

Cette dernière déclaration s’est basée sur les conclusions de la première partie des enquêtes menées par la MiDA pour l’élucidation de cette affaire. L’organisation a dépêché, de son côté, le cabinet de consultation américain FTI dans ses bureaux pour enquêter sur les conditions de la conclusion de l’affaire. Dans le rapport de 32 pages qui avait fuité dans le Daily Graphic, les experts déclarent : « Nous n’avons encore vu aucun document suggérant qu’à compter 1er mars, le PDS, Cal Bank, Donewell et ou le personnel de la MiDA auraient dû s’interroger sur la validité des garanties de paiement. »

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Millennium Development Authority et la SFI étaient les conseillers de la transaction.

 

Une révélation qui avait échauffé l’ensemble de l’opinion publique sur la corruption de son gouvernement, malgré les appels au calme du ministre de l’information, Kojo Oppong Nkrumah qui a conseillé à « tout le monde de conserver son calme en attendant que l’ensemble des différentes parties du document ne soit rassemblé. ». Il parlait en effet du rapport de la seconde équipe qui avait été envoyée au Qatar par la MiDA pour la vérification de la validité des garanties fournies.

Quelques jours plus tard, les conclusions de cette nouvelle enquête, tombaient, sans appel. Elles confirmaient les résultats de l’équipe ghanéenne. La garantie autonome fournie est invalide, non recevable. Depuis cette affirmation, le PDS n’a pas encore fait de commentaires, dans un sens ou dans l’autre.

En dépit de ces révélations, l’ECG a remis la direction des opérations au PDS, afin, selon elle, « de veiller à  ce que l’approvisionnement en électricité et la fourniture de services à nos chers clients ne soient pas perturbées. ». La conduite que compte adopter le gouvernement dans cette situation n’a pas encore été clarifiée.

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Un scandale à la veille des élections.

 

D’un autre côté, certaines sources proches de la concession allèguent que les statistiques de performance du PDS sont fausses car exagérées. En outre, une confusion est survenue entre les producteurs indépendants d’électricité et le PDS. Ces derniers estiment en effet qu’elle lui doit la facture de l’électricité cédée depuis le 1er mars 2019. La PDS de son côté estime qu’il n’en est rien, puisqu’il n’a pas signé de contrats avec eux.

En attendant, tous les regards sont tournés vers le gouvernement, pour la gestion de cette situation qui intervient à la veille des élections et dont l’enjeu, ne l’oublions pas, est l’injection de près de 900 millions $ dans son système de distribution électrique.

 

Gwladys Johnson Akinocho

Gwladys Johnson 

Ndeye Khady Gueye

 

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