L’or, le nouveau pétrole du Soudan

(Ecofin Hebdo) - Longtemps dépendante du pétrole, l’économie soudanaise a perdu près de deux tiers de cette source de recettes lors de la séparation avec le Sud en 2011. Pour remplacer les pétrodollars, le pays s’est tourné vers l’or qu’il possède en abondance dans son sous-sol. Depuis, on assiste à une véritable montée en puissance, le Soudan ayant doublé le Burkina Faso, le Mali, et plus récemment l’Afrique du Sud dans le classement des plus grands producteurs d’or d’Afrique. Zoom sur l’or soudanais, entre bénédictions et malédictions…

 

Une croissance fulgurante cette décennie

Avant la scission avec le Soudan du Sud en 2011, le pétrole a été le principal moteur d’une décennie de croissance économique, représentant 92% des recettes d’exportation et le tiers des recettes de l’Etat. Les sources de pétrodollars perdues, le gouvernement soudanais s’en est remis à son secteur aurifère, dont la richesse avait été démontrée durant les années précédentes.

Les réserves aurifères du Soudan se répartissent sur trois grandes régions, la première, le Nord Soudan, entre Wadi Halfa et Atbara, la deuxième, le long des montagnes de la Mer rouge dans les zones d’Ariab et d’Abu Sari, et la troisième dans l’Etat du Nil bleu.

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«L’or est notre nouveau pétrole, cette nouvelle industrie génère des devises et contribue à la relance économique», confiait au journal Le Monde Hussein Hassan Ilfadal, un responsable d’une grande raffinerie d’or au Soudan, traduisant tous les espoirs placés par le pays en ces ressources aurifères.

Ces espoirs ne seront pas vains puisque la production soudanaise d’or connait depuis une croissance fulgurante. Selon l’US Geological Survey, elle a augmenté de plus de 1200 % en une décennie, passant de 7 tonnes en 2008 à plus de 90 tonnes en 2017. D’après un rapport de la Banque mondiale paru en avril 2019, le Soudan a produit en 2018 pas moins de 127 tonnes du métal précieux, en hausse de 18,7% en glissement annuel. Alors qu’il avait ravi quelques années plus tôt la place de 3e producteur d’or d’Afrique au Mali, le pays passe devant l’Afrique du Sud, leader déchu. Il est désormais deuxième du classement, derrière le Ghana.

Alors qu’il avait ravi quelques années plus tôt la place de 3e producteur d’or d’Afrique au Mali, le pays passe devant l’Afrique du Sud, leader déchu. Il est désormais deuxième du classement, derrière le Ghana.

La hausse de la production impacte l’économie, dont le secteur minier est devenu l’un des principaux piliers. Selon le ministère soudanais du Pétrole et des Minerais, les mines  représentaient 6 % du PIB en 2018 et avaient un taux de croissance de 14 %.

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les mineurs artisanaux produisent 80% de l’or soudanais.

 

En 2017, la valeur des exportations d'or par l'intermédiaire de la Banque centrale était de 1,87 milliard de dollars, soit environ 57 % des exportations totales du pays, sans compter les quantités qui alimentent l'économie sans passer par cette banque.

 

Une production principalement artisanale, marquée par la contrebande

Depuis le démarrage de l’exploitation minière, il y a une dizaine d’années, le secteur a offert environ 1,5 million d’emplois permanents et temporaires aux jeunes Soudanais. Si le nombre exact de sites miniers n’est pas connu, plus de 400 sociétés nationales et étrangères seraient actives dans l’exploration aurifère. Toutefois, l’industrie ne représente que 20% de la quantité totale d’or produite chaque année et les mineurs artisanaux 80%.

Ces orpailleurs utilisent des détecteurs de métaux simples et peu coûteux, pour la plupart importés de Chine. Ils creusent les sites, ramassent les roches et les transportent jusqu’aux usines situées à proximité des sites miniers. Une fois l’or produit, ils sont tenus de le vendre à la banque centrale qui l’exporte sur le marché international.

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Les orpailleurs utilisent des détecteurs de métaux simples et peu coûteux.

 

Cependant, du fait que les prix d’achat de la banque sont inférieurs aux prix du marché noir, les producteurs tentent régulièrement de se soustraire à la réglementation. Au moins 35 % de l'or produit au Soudan est acheminé clandestinement à l'étranger, en particulier à Dubaï aux Émirats arabes unis, ce qui en fait le premier partenaire commercial du Soudan. 

Au moins 35 % de l'or produit au Soudan est acheminé clandestinement à l'étranger, en particulier à Dubaï aux Émirats arabes unis, ce qui en fait le premier partenaire commercial du Soudan. 

Certaines sources indiquent des taux de contrebande beaucoup plus élevés, qui peuvent dépasser la moitié de l'or produit, voire atteindre les 70%. Il faut dire que les  autorités ne disposent pas des ressources, de la capacité et des outils nécessaires pour contrôler efficacement le secteur.

 

Bénédiction ou malédiction ?

Comme la plupart des pays disposant d’un sous-sol riche, le Soudan n’échappe pas aux conséquences négatives de l’exploitation minière. Le déplacement de plus d'un million et demi de jeunes vers les sites miniers entraine des problèmes de sécurité, des conflits en ce qui concerne les terres et des sites miniers.

En outre, l’exploitation aurifère a des répercussions sur l’environnement. Le Parlement soudanais a ainsi mis en garde les populations contre les dangers de l'exploitation minière artisanale après la mort d'un grand nombre d'animaux et de poissons à Halfa et Dongola dans le Nord, en raison de l'utilisation largement incontrôlée du cyanure pour la purification de l'or.

La majorité des mineurs traditionnels soudanais utilisent le mercure pour extraire l'or, tandis que les entreprises utilisent le cyanure.

La majorité des mineurs traditionnels soudanais utilisent le mercure pour extraire l'or, tandis que les entreprises utilisent le cyanure. Selon Hashem Sayyid Hasan, un expert en géologie minière, cité par Fanack, un média spécialisé sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, ces deux substances sont hautement toxiques et dangereuses pour la santé humaine et animale et pour l'environnement. Il a indiqué que le cyanure est plus dangereux, avec seulement 0,2 gramme nécessaire pour tuer en quelques secondes, après la paralysie complète de tous les organes respiratoires en raison du manque d'oxydation dans les cellules.

Plusieurs résidents des régions minières s’opposent souvent aux activités des sociétés minières qui nuisent et détruisent l’environnement. Ils accusent le gouvernement de donner aux entreprises locales et étrangères le droit d'investir dans l'or et de l'explorer à leur détriment.

 

Quelles perspectives ?

Pour 2019, la Banque mondiale prévoit une légère hausse de 3,2% du prix de l’once troy d’or. Selon les mêmes prévisions, le prix moyen de l’or devrait tourner autour des 1350 $/toz durant les trois prochaines années. Le Soudan aura à cœur de tirer plein profit de cette situation d’autant plus que le cours du métal précieux est volatil.

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Le ministre du Pétrole et des minerais Azhari Abdel-Gadir.

 

Depuis que les sanctions américaines qui pesaient sur le Soudan ont été levées en octobre 2017, le principal défi du gouvernement est d’attirer plus d’investisseurs dans le secteur aurifère. Mais au-delà du grand programme lancé pour cela, l’Etat veut contrôler la production artisanale. Interrogé dans un reportage télévisé sur la ruée de l’or au Soudan, le ministre du Pétrole et des minerais Azhari Abdel-Gadir a affirmé que le gouvernement n’ira pas jusqu’à arrêter l’exploitation artisanale. «Il ne s’agit pas d’arrêter, mais de réglementer, de s’assurer que les gens aient des licences, qu’ils soient tenus par certaines règles et obligations concernant l’environnement», a déclaré M. Abdel-Gadir. 

Dans cette optique, l’une des principales mesures prises par Khartoum en décembre 2018 est de permettre aux entreprises locales du secteur privé d'exporter de l'or. Selon le Premier ministre Moataz Moussa,  cela permettra de lutter contre la contrebande.

«Nous avons convenu avec le premier ministre de céder tous les revenus tirés des exportations d'or à la Banque centrale au taux de change réel de la livre soudanaise», a déclaré Abdel Monem al-Siddiq, président du syndicat des exportateurs d'or locaux.

Louis-Nino Kansoun

Louis Nino Kansoun

Ndeye Khady Gueye

 

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