Omar El-Béchir : fin de partie, victoire pour la CPI

(Ecofin Hebdo) - Après de nombreuses années passées à échapper à la Cour Pénale Internationale, l’ancien dictateur Omar El-Béchir va être livré à la juridiction par son pays, le Soudan. Premier Chef d’Etat en exercice recherché par la CPI, l’ancien homme fort de Khartoum se plaisait à narguer la cour en se rendant dans des pays signataires du statut qui l’a créé.

Un peu plus de 10 ans après le premier d’arrêt émis contre Omar El-Béchir par la CPI, le Soudan a décidé de livrer celui qui a dirigé le pays pendant 30 ans à la juridiction. « Nous sommes tombés d’accord sur le fait que nous supportions totalement la CPI et nous avons convenu que les criminels devaient y comparaître », a déclaré la semaine dernière Mohamed al-Taayichi, membre du Conseil souverain soudanais.

Alors que le gouvernement de transition s’était fermement opposé à livrer l’ancien dictateur, les autorités ont fini par céder lors des négociations avec les rebelles du Darfour, théâtre des principaux crimes dont est accusé Omar El-Béchir.

1 Omar El bechir 2

Les 30 années de pouvoir d’Omar El-Béchir sont marquées par le sceau du sang, du combat et de l’instabilité.

 

Au final, après un chassé-croisé d’une décennie, l’ex-président sera bientôt jugé pour ses exactions au Darfour, mais aussi, d’une certaine manière, pour les crimes commis durant les 30 années de règne sur le Soudan de celui qui ne devait être qu’un prête-nom, une marionnette.

 

La marionnette qui tire les ficelles

A l’origine, le plan n’était pas de faire d’Omar El-Béchir le président craint de tous, l’intouchable chef d’Etat qu’il est devenu durant la décennie 2010. Il était censé n’être qu’un homme de paille, une marionnette ; mais à la solde de qui ? Du groupe d’officiers responsable du putsch de 1989 ou d’Hassan al-Tourabi ?

Quoi qu’il en soit, à l’époque où il prend le pouvoir, Omar El-Béchir est un total inconnu. Selon ses proches, à cette époque, le seul but du garçon né en 1944 dans une famille rurale de Hoshe Bannaga, au nord de Khartoum, était de revêtir le majestueux uniforme de l’armée. Son rêve se réalise dès l’adolescence lorsqu’il rejoint les forces armées soudanaises qui l’envoient étudier et se faire former à l’académie militaire égyptienne. Le jeune homme vit un rêve éveillé entre les armes, la discipline militaire et les uniformes. Il gravit les échelons au sein de l’armée et devient parachutiste.

Il se fait un nom au sein des forces armées grâce à la guerre du Kippour en 1973, durant laquelle il combat Israël. Ses exploits durant ce conflit lui vaudront, à son retour au Soudan, d’être chargé des opérations contre le mouvement sécessionniste du sud du pays.

Il se fait un nom au sein des forces armées grâce à la guerre du Kippour en 1973, durant laquelle il combat Israël. Ses exploits durant ce conflit lui vaudront, à son retour au Soudan, d’être chargé des opérations contre l'Armée populaire de libération du Soudan (SPLA), mouvement sécessionniste du sud du pays.

Omar EL-Béchir se signale à cette époque en conduisant un raid victorieux pour délivrer des otages détenus par le SPLA. Ces succès font de lui un homme jovial, apprécié au sein de l’armée pour son dévouement. A cette époque, Omar El-Béchir n’a aucune autre ambition que de servir l’uniforme. Ça, ses frères d’armes le savent aussi. C’est ce désintéressement que va exploiter le ministre de la justice Hassan al-Tourabi, mentor d’Omar El Béchir, devenu colonel.

 2 Hassan al Tourabi

Hassan al-Tourabi impose la charia, héberge Oussama Ben Laden et Abou Nidal.

 

Cerveau d’un putsch, dont la mise en place sera attribuée à un groupe d’officiers de l’armée, Hassan al-Tourabi va faire renverser Sadeq al-Mahdi et sa coalition gouvernementale par Omar El-Béchir. Le ministre pousse la mascarade jusqu’à demander à Omar El-Béchir d’assumer les fonctions de Chef d’Etat. Bien mal lui en prendra. Comme prévu par Hassan al-Tourabi, Omar EL-Béchir est un président assez docile… durant les premières années.

Le ministre pousse la mascarade jusqu’à demander à Omar El-Béchir d’assumer les fonctions de Chef d’Etat. Bien mal lui en prendra. Comme prévu par Hassan al-Tourabi, Omar EL-Béchir est un président assez docile… durant les premières années.

Après les élections générales de 1996, sa fonction est légitimée. Omar El-Béchir fait ce que lui demande son islamiste de mentor, devenu président du parlement, en imposant la charia. Le Soudan devient alors le paradis des terroristes et autres extrémistes, offrant notamment un refuge à Oussama Ben Laden ou encore à Abou Nidal, fondateur du Fatah, un des mouvements palestiniens les plus violents. Cette complaisance envers les groupes extrémistes et terroristes vaudra, en 1997, un embargo économique au Soudan de la part des Etats-Unis.

Le Soudan devient alors le paradis des terroristes et autres extrémistes, offrant notamment un refuge à Oussama Ben Laden ou encore à Abou Nidal, fondateur du Fatah.

A cette époque, Omar EL-Béchir n’est déjà plus le militaire, l’homme de paille contrôlé par Hassan al-Tourabi. Il est conscient des risques de la trop grande proximité avec les groupes islamistes et supporte de moins en moins les suggestions de son mentor qui ont parfois des allures d’ordre.

3 Omar El bechir jeune 1997

Omar El-Béchir se présente en martyr du « néocolonialisme juridique » personnifié par cette cour qui ne jugerait que les Africains.

 

Hassan al-Tourabi de son côté sens bien qu’Omar El-Béchir échappe à son contrôle. Une lutte interne voir le jour entre les deux hommes. Alors que le président du parlement veut faire voter une loi limitant les pouvoirs du Chef de l’Etat. Ce dernier fait encercler le parlement par l’armée et le dissout. Il vient de couper ses fils. L’ancienne marionnette tire désormais les ficelles.

 

Les 30 sanglantes

Les 30 années de pouvoir d’Omar El-Béchir sont marquées par le sceau du sang, du combat et de l’instabilité. Pourtant, le chef d’Etat semblait disposé à faire des efforts, notamment après sa rupture avec Hassan al-Tourabi. En effet, après avoir évincé son mentor, Omar El-Béchir s’éloigne de l’islamisme qui a détruit les relations entre le nord et le sud du pays, majoritairement chrétien.

Finalement, Omar El-Béchir réussira à négocier avec le sud et à signer en 2005, un accord de paix qui posera les bases de l’indépendance qu’obtiendra le Soudan du Sud en 2011. Mais dans le même temps, Omar El-Béchir va se rendre responsable d’exactions qui tacheront de rouge l’entièreté de son règne. En 2003, une rébellion éclate au Darfour, une région de l'Ouest qui réclame la fin de la « marginalisation économique » et un partage du pouvoir avec Khartoum. Les habitants du Darfour estiment être lésés dans la redistribution des richesses générées par le pétrole se trouvant au Sud. Leur rébellion va déclencher un des conflits les plus sanglants du pays, et même du continent africain.

4 Soudan Darfour Sud

Les milices arabes réprimeront très violemment les rebelles noirs du Darfour.

 

En effet, lorsque les mouvements rebelles du Darfour, majoritairement composés de noirs, réclament une meilleure répartition des biens et déclenchent une insurrection, l’Etat soudanais ne fera pas que leur résister avec l’armée. Le gouvernement soutiendra les milices arabes, les Janjawids, financièrement et sur le plan matériel, qui attaqueront les rebelles noirs et commettront des viols et exactions sur leurs territoires, ravivant les blessures d’un conflit ethnique ancien.

Le gouvernement soutiendra les milices arabes, les Janjawids, financièrement et sur le plan matériel, qui attaqueront les rebelles noirs et commettront des viols et exactions sur leurs territoires, ravivant les blessures d’un conflit ethnique ancien. 

Dans le même temps, la répression de l’armée régulière est d’une extrême violence. Selon l’ONU, ce conflit a fait plus de 300 000 morts et 2,5 millions de déplacés. Ces évènements vaudront à Omar EL-Béchir son image actuelle de dictateur génocidaire. Il ne s’en émeut pas outre mesure. « Ça fait longtemps, et j’en ai l’habitude. Depuis l’embargo décrété en 1995, je suis considéré comme un dictateur, un criminel de guerre, un génocidaire. Mais j’ignorais qu’un dictateur permettait l’existence de 120 partis politiques, et d’une opposition véhémente », déclare le soudanais au Monde.

D’ailleurs, Hassan al-Tourabi, devenu le principal opposant à son régime, martèle à la communauté internationale qu’Omar EL-Béchir n’est plus qu’un militaire assoiffé de sang et de pétrole.

 5 Omar El bechir

Omar El-Béchir présenter en martyr du « néocolonialisme juridique » personnifié par cette cour qui ne jugerait que les Africains.

 

Les évènements au Darfour vaudront à Omar El-Béchir des mandats de la CPI, en 2009 et 2010, pour crimes contre l’humanité et génocide. Il est même le premier président en exercice recherché par la Cour. Mais ces mandats ne perturberont pas outre mesure le quotidien du président soudanais. Si certains pays refusent de le recevoir, d’autres cèdent et lui déroulent même le tapis rouge, prétextant de son immunité parlementaire pour justifier le fait qu’il ne soit pas arrêté. Il se rendra même en 2015, sans être aucunement dérangé, à un sommet de l’Union Africaine. Au plan national, et même continental, il exploite les mandats de la CPI pour se présenter en martyr du néocolonialisme juridique personnifié par cette cour qui ne jugerait que les Africains. Réélu n avril 2010, lors des premières élections multipartites du Soudan, Omar El-Béchir devient la personnification de l’échec de la CPI.

Il exploite les mandats de la CPI pour se présenter en martyr du néocolonialisme juridique personnifié par cette cour qui ne jugerait que les Africains. Réélu n avril 2010, lors des premières élections multipartites du Soudan, Omar El-Béchir devient la personnification de l’échec de la CPI.

« La procureure de la CPI, Fatou Bensouda, avait dû abandonner la procédure contre le responsable soudanais, ou plutôt la suspendre. Elle avait dû faire le constat de l’absence de coopération des pays africains qui ont pourtant ratifié le traité de la CPI. Le mandat d’arrêt contre Omar el-Béchir était toujours en vigueur, mais le dossier était en panne », explique Patrick Baudouin, président d’honneur de la Fédération internationale pour les droits humains, dans des propos rapportés par Libération.

Mais finalement, c’est l’un des rares moments de conciliation d’Omar EL-Béchir qui aura raison de lui et permettra à la CPI de remporter le chassé-croisé. Après la sécession du Sud, le Soudan a perdu près de 80% de ses ressources pétrolières. Le pays vit alors une des pires situations économiques de son histoire, malgré la levée de l’embargo américain en 2017. En 2018, la population descend dans la rue pour protester contre la hausse du prix du pain. Réprimé violemment à ses débuts, le mouvement gagne en effectif et finit par devenir une contestation du régime. Arrivé au pouvoir par un putsch, Omar El-Béchir est déposé par l’armée en avril 2019.

Et après avoir longtemps refusé de le livrer à la CPI, les autorités soudanaises viennent de changer d’avis. Cette affaire pourra permettre à la CPI de redorer son blason après le cuisant échec de l’affaire Laurent Gbagbo.

Servan Ahougnon

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