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«Nous avons réceptionné environ 9000 plaintes de cybercriminalité en trois ans»

Stéphane Konan présente les stratégies de son pays contre le phénomène. A l’occasion, il préconise conjointement la sensibilisation et la répression pour limiter les dégâts.

 

Quelles sont les grandes lignes des actions menées par la Côte d’Ivoire pour lutter contre la cybercriminalité ?

Stéphane Konan : Je dirais qu’il y a deux grandes lignes. La première action a été la mise en place d’une plateforme de lutte contre la cybercriminalité. J’ai bien parlé de plateforme, c’est-à-dire une organisation dont les ressources reposent sur des contributions multiples. Cette plateforme est composée du parquet représentant le ministre de la Justice, de la Police nationale, du régulateur qui est l’Agence de régulation des télécommunications, et également de consultants extérieurs. Il s’agissait de mettre en commun les ressources, les intelligences et les moyens de divers services pour adresser un problème. C’est la première action qui a été menée.La deuxième action est réglementaire. La Côte d’Ivoire avait un peu de retard. Mais le pays s’est doté d’un certain nombre de lois afin de réguler l’usage des TIC. Une loi sur la cybercriminalité, la protection des données à caractère personnel, et d’autres lois également sur la régulation des TIC. Voilà en gros ce qui a été fait en Côte d’Ivoire.

 

L’une de vos récentes expériences en matière de lutte contre la cybercriminalité, c’est l’arrestation de deux cybercriminels ivoiriens qui ont réussi à pirater le réseau Amadeus pour l’achat de billets d’avion qu’ils revendaient à vil prix. Les Etats-Unis souhaitent qu’ils soient extradés. Comment cela s’est-il passé ?

SK : C’est un dossier encore en cours. Donc je ne peux pas en dire plus. Mais je tiens à préciser que ces cybercriminels ne veulent pas être extradés. C’est le pays dans lequel ils ont commis le délit qui souhaite qu’ils soient extradés. Eux, ils ont refusé leur extradition. Ça c’est la première chose.

 

Et qu’a répondu le gouvernement ?

SK : La Côte d’Ivoire n’ayant pas de traité d’extradition avec les Etats-Unis, le seul moyen pour qu’ils soient extradés, c’est le consentement de ces cybercriminels. C’est une affaire encore en cours. L’enquête n’est pas encore totalement terminée. Donc, malheureusement je ne peux pas en dire plus dans le cadre d’une interview.

 

Cette situation-là pose le problème crucial de la législation sur la cybercriminalité. L’on se rend compte que la cybercriminalité est aujourd’hui un phénomène global qui nécessite des réponses globales. Des Etats ont certes leur législation nationale, mais il n’y a pas toujours une harmonisation des législations entre les pays. Ce qui fait que lorsqu’un cybercriminel camerounais par exemple a des victimes en Côte d’Ivoire et qu’il est arrêté au Cameroun, il est difficile pour l’Etat ivoirien de demander son transfert. Comment faire, d’après vous, pour avoir une harmonisation des législations afin que ce genre de problèmes ne se pose plus ?

SK : Je vous remercie pour cette question, parce que vous touchez le point clé du problème. La cybercriminalité à deux caractéristiques principales : d’abord, c’est un délit qui se passe très rapidement en général. Ensuite, c’est transfrontalier. C’est-à-dire que la victime et le cybercriminel sont dans deux pays différents. Il est donc évident, je suis d’accord avec vous, que le problème de la cybercriminalité ne peut que se traiter globalement, sinon c’est un coup d’épée dans l’eau. Malheureusement, je ne m’occupe que de l’aspect judiciaire et enquête sur les actes de la cybercriminalité. Cela relève de l’aspect légal et juridique, qui relève même des traités et accords entre Etats. Il y a plusieurs initiatives qui ont été prises. Vous savez qu’au niveau des Etats africains, l’Union africaine a adopté des textes pour indiquer aux Etats africains la direction à prendre en vue d’harmoniser les législations. Donc, les réflexions sont en cours. Je pense que cela va être long. Mais aujourd’hui, c’est évident, et je suis tout à fait d’accord avec vous, qu’il faut une approche globale pour ce problème.

 

En attendant cette harmonisation des législations, comment faire ?

SK : En attendant que cela se passe, les polices ont quand même des moyens de communication. Il y a d’abord Interpol, qui permet aux Etats dans le monde et aux Etats africains d’échanger et de travailler en commun sur des dossiers.Il y a Francopol, volet francophone d’Interpol. C’est une association de polices francophones, dont le Cameroun et la Côte d’Ivoire font partie. Et puis il y a des rapports directs informels qui fonctionnent très bien. Aujourd’hui, quand on a un dossier au Burkina Faso, au Maroc ou même un dossier au Cameroun, entre personnes en charge des enquêtes judiciaires, on s’appelle et on échange, parce qu’on n’attend pas que les Etats soient à jour. Surtout quand il s’agit de régler des affaires qui sont quelquefois assez graves comme les affaires de chantages, de rackets, etc.

 

L’autre problème de la cybercriminalité en Afrique, c’est le manque d’une synergie entre les différentes administrations qui luttent contre le phénomène : la police fait son travail d’un côté, la gendarmerie fait son travail d’un autre côté, la direction de la Police judiciaire fait son travail, etc. Comment tout cela est-il organisé en Côte d’Ivoire, y a-t-il synergie ?

SK : En Côte d’Ivoire, il y a une synergie, parce que ce sont des gens qui travaillent déjà dans un même bureau. Donc ce n’est pas une plateforme virtuelle, c’est une plateforme physique où il y a des ressources humaines qui viennent de différents services. Il y a des gendarmes, des policiers, des juges, des ingénieurs et des agents qui viennent de différents opérateurs. Ils sont dans les mêmes bureaux et ils travaillent ensemble sur les sujets de criminalité. Donc il y a forcément coopération quand on travaille dans un même bureau et qu’on partage le même dossier. Peut-être que plus tard la gendarmerie se dotera de sa propre unité de cybercriminalité, et la police de même. Mais dans un premier temps, on a souhaité que tout le monde travaille ensemble et capitalise ce savoir-faire ensemble. La plateforme fonctionne très bien. Plus tard, chacun pourrait voler de ses propres ailes. Donc la réponse de la Côte d’Ivoire pour la coordination des actions à mener en réponse au phénomène de la cybercriminalité a été la mise en place d’une plateforme multiservices.

 

En Côte d’Ivoire, vous prévenez déjà les actes cybercriminels avec le projet Internet Fraud Portal. Comment fonctionne-t-il ?

SK : Ce projet s’appelle WANGRIN, et c’est un portail de fraudes sur Internet. Effectivement, c’est un projet qui est né du traitement et de la pratique des dossiers de plaintes que nous avons eu à recevoir en Côte d’Ivoire. Nous avons réceptionné environ 9000 plaintes en trois ans. On ne les a pas toutes traitées, parce que matériellement ce n’était pas possible de tout traiter. Le traitement répétitif de certaines de ces affaires nous a permis de réfléchir à des solutions d’automatisation et des solutions de prévention de délits futurs. Nous avons mis en place une méthode qui a pour vocation de répertorier toutes les fraudes qui ont été commises sur Internet. C’est un système qui est déclaratif. Les victimes, de la même manière qu’elles viennent porter plainte, viennent déclarer sur ce portail les délits auxquels elles ont fait face, et ces délits sont répertoriés dans une base de données. Ce qui permet à ce portail de servir d’outil de prévention à la cybercriminalité. Il est possible notamment de vérifier si un numéro de téléphone, un identifiant Skype ou une identité WhatsApp ont déjà été impliqués dans une enquête de cybercriminalité ou dans une plainte. Ainsi, cela permet vraiment au grand public de savoir à qui ils ont à faire sur Internet. C’est gratuit et accessible à tous à l’URL www wangrin.net. En novembre 2014, il y avait environ 27 000 cas déjà répertoriés. Je vous invite à aller naviguer dessus et à checker des numéros et des identifiants des cybercriminels.

 

A côté de cela, il y a un jeu. Un jeu qui incite les jeunes Ivoiriens à comprendre les actes cybercriminels. Pourquoi le jeu ?

SK : D’abord, parce que nous sommes tous humains. J’ai dit 9000 cas, et la PLCC a mis derrière les barreaux environ 150 personnes en trois ans. Beaucoup parmi eux sont des mineurs. Donc en tant qu’humains, nous avons estimé que la répression est une réponse, mais ne peut pas être la seule devant un déluge aussi grave que la cybercriminalité, surtout quand il s’agit de mineurs.

 

Quelle est la moyenne d’âge des personnes arrêtées ?

SK : Le plus jeune qu’on a pu avoir a 13 ans. Mais la moyenne d’âge varie de 15 à 16 ans. Alors, on se dit que peut-être quelque part il y a un problème d’éducation, un problème d’ignorance. Certains commettent des actes dont ils ne savent pas que ce sont des délits, ou bien qu’ils estiment ne pas être des délits graves. Notre rôle ici est de les informer, de les sensibiliser. En poussant un peu la réflexion, nous avons estimé que par le jeu, nous pouvons sensibiliser. Donc BODIEL est un jeu concours sur lequel s’affrontent tous les jeunes Africains de 13 à 21 ans. C’est un jeu qui se joue sur le réseau social Facebook, à l’issue duquel les gagnants se voient offrir des séjours d’études aux Etats-Unis dans une grande université américaine pour quelques semaines, afin d’apprendre à parfaire leurs connaissances en technologies et en informatique.Alors on joue sur quoi ? On joue sur des questions de bonnes pratiques sur Internet. On leur apprend ce qu’on peut faire, ce qu’on ne peut pas faire, ce qui est une infraction, ce qui n’est pas bien et ce qui est légal. On leur apprend aussi toutes les nouveautés dans les technologies. Ainsi ces jeunes s’affrontent sur les bonnes connaissances sur la technologie et les bons et mauvais usages de l’internet. Le jeu a débuté le 31 octobre 2014, il y a eu un lancement officiel à Yamoussoukro en présence de près de 2000 jeunes. La deuxième étape sera lancée simultanément avec trois pays : la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Nigeria. La troisième phase sera ouverte à tous les pays d’Afrique.

 

Comment peut-on parvenir à inculquer véritablement aux jeunes que ce n’est pas seulement la fraude qu’on peut effectuer sur Internet, mais aussi qu’on peut y développer ses connaissances, et peut-être établir des partenariats lucratifs ?

SK : C’est sans doute par l’éducation. Un conférencier a dit récemment que si on donne un couteau à un enfant, il faut lui apprendre qu’on se peut blesser avec ce couteau, il faut lui apprendre à le manipuler. C’est la même chose avec Internet. Quand on met à disposition la technologie, cela doit venir avec un guide d’utilisation en tout cas minimal. Mais aujourd’hui la sensibilisation est le seul moyen que je connaisse. Il en existe peut-être d’autres. Et cette sensibilisation est centrée sur plusieurs axes : j’ai parlé des jeux, de la plateforme et également des tournées d’information et de sensibilisation dans les écoles en Côte d’Ivoire. Ce sont les policiers qui vont parler au jeunes et leur expliquer d’abord quels sont les risques, parce qu’on peut terminer en prison. Ensuite que ce n’est pas bien parce qu’il y a des victimes qui sont traumatisées après avoir été escroquées. Je veux parler des deux suicides de victimes enregistrés en 2013. Cela veut dire qu’il y a réellement des victimes qui sont affectées par cela. La sensibilisation est très importante.

 

Vous annoncez un taux de réussite de 100% dans l’aboutissement des dossiers de cybercriminalité que vous traitez en Côte d’Ivoire. Expliquez-nous comment…

SK : Oui, nous parvenons à un taux de réussite de 100% sur les dossiers que nous traitons. Mais je précise néanmoins que la cybercriminalité augmente, parce qu’on est submergés par le nombre de cas. Oui, aujourd’hui, il est possible à 100% de dire qui a commis un acte cybercriminel. Notre rôle à nous est de dire qui a commis un délit cybercriminel. Après, on peut l’arrêter ou ne pas l’arrêter. Mais on peut dire dans 100% des cas qui a commis le délit. Je vous ai parlé tout à l’heure du cas d’un cybercriminel qui s’est enfui au Cameroun. On ne l’a pas arrêté. Mais on sait qui c’est. Donc, pour nous, à partir du moment où on a identifié le coupable, l’affaire est close. Après, tout est définition de la résolution. Ce que moi j’appelle la résolution de la définition d’un dossier, c’est de dire : il y a eu une infraction cybercriminelle, il y a eu une intrusion sur cet ordinateur, il y a eu une spoliation de boîte mail, qui est celui qui a commis le délit ? Nous, on peut vous dire à 100% qui a commis le délit. Est-ce qu’on peut le mettre derrière les barreaux ? Ça, c’est une autre question.

 

De par votre expérience en Côte d’Ivoire, quel conseil pouvez-vous donner aux Etats pour les différentes bonnes stratégies à mettre sur pied pour lutter convenablement et de manière plus efficiente contre la cybercriminalité ?

SK : La cybercriminalité n’est qu’un pendant du crime, et le crime a toujours existé dans l’histoire de l’humanité. Lutter contre la cybercriminalité, c’est comme lutter contre tous les crimes, c’est comme lutter contre le trafic de drogue, c’est comme lutter contre le vol : cela passe d’abord par l’éducation. En plus de ce volet éducation, il faut un volet répression pour que les récalcitrants soient punis. Parce que par la sanction on indique à ceux qui seraient tentés qu’il y a une réponse appropriée. Donc, je dirais éducation d’abord, et répression ensuite.

 

Entre éducation et répression, vous sanctionnez quand ?

SK : Dès lors qu’un délit est commis.

 

La phase de sensibilisation doit durer combien de temps ?

SK : La sensibilisation est une phase qui est continue. Elle ne s’arrête jamais. Doit-on arrêter de dire aux jeunes que la drogue c’est mauvais ? C’est la même chose. Il faut constamment sensibiliser les jeunes. Il faut que la sensibilisation et la répression ne s’arrêtent pas. Ce sont des processus continus.

 

Interview publié dans le magazine Réseau Télécom Network No 76

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