(Agence Ecofin) - Modèle de formation et de résultats scolaires depuis des années, l’établissement français d’enseignement (EFE) Montaigne de Cotonou est un des symboles du prestige de l’école à la française en Afrique. L’année dernière, et comme souvent par le passé, l’établissement a vu tous ses candidats au baccalauréat admis avec près de 42 % de mentions « Bien » et « Très Bien ». Seulement voilà, ces résultats élogieux cachent une crise qui pourrait tout changer dès la moitié de l’année prochaine, la faute à des querelles intestines entre l’Association des parents d’élèves et l’administration de l’école.
L’établissement pourrait perdre le label de l’éducation française
L’établissement français d’enseignement Montaigne pourrait perdre sa convention avec l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE). En effet, l’accord fournissant à l’établissement le label du coordonnateur de l’enseignement français à l’étranger a de fortes chances de ne pas être renouvelé alors qu’il expire le 31 août 2021.
Près de 42 % de mentions « Bien » et « Très Bien ».
La possibilité du déconventionnement de l’établissement n’est pas nouvelle puisqu’elle a déjà été évoquée dans le compte-rendu d’une mission de suivi de l’AEFE, effectuée les 23 et 24 janvier 2020. On peut notamment lire dans le document, dont l’Agence Ecofin a eu une copie, que « les graves problèmes de gouvernance que connait l’EFE Montaigne sont de nature à remettre en cause la convention entre l’AEFE et l’APE (l’Association des parents d’élèves) de l’établissement, qui arrivera à terme le 31 août 2021 ».
« Les graves problèmes de gouvernance que connait l’EFE Montaigne sont de nature à remettre en cause la convention entre l’AEFE et l’APE de l’établissement, qui arrivera à terme le 31 août 2021 ».
Pourtant, lorsque la nouvelle a été apprise par certains parents d’élèves, elle a été remise en cause par Dior Niang Osseni, présidente du conseil d’administration de l’APE. L’organe élu par les parents, et mandaté pour la gestion financière de l’établissement, est également l’employeur du personnel local de l’établissement. Un courrier de la présidente, datant du 12 juin, suggère que la convention sera renouvelée en août 2021.
Dior Niang Osseni, présidente du conseil d’administration de l’APE.
Un optimisme qui n'est pas partagé par Sébastien Yves-Ménager, directeur général de la Société de brasseries, filiale du groupe français BGI/Castel, et également membre du Conseil du commerce extérieur de la France, alarmé par la situation. Selon ses explications, l’un des rôles des conseillers de cette instance est de promouvoir le rayonnement et l’attractivité de la France. Et « les établissements d’enseignement français sont des atouts majeurs pour le rayonnement des entreprises du pays à l’international. La présence et la réputation de ces établissements sont souvent au centre de la décision de l’acceptation ou non d’un poste par un collaborateur francophone », explique-t-il dans un courrier envoyé à l’APE de l’EFE Montaigne, le 18 juin 2020.
« Les établissements d’enseignement français sont des atouts majeurs pour le rayonnement des entreprises du pays à l’international. La présence et la réputation de ces établissements sont souvent au centre de la décision de l’acceptation ou non d’un poste par un collaborateur francophone ».
Pour lui, il y a un risque à court terme que l’établissement perde sa convention avec l’AEFE. Impliqué dans la résolution de la situation de l’EFE Montaigne depuis plusieurs semaines, il a d’ailleurs été l’un des principaux interlocuteurs de Guillaume Cario, chef du secteur Afrique à l’AEFE, pour trouver une issue à une crise qui devient de plus en plus inquiétante.
De profondes dissensions entre l’APE et l’équipe de direction de l’établissement
La crise au sein de l’EFE Montaigne a des origines assez floues. Si la presse locale béninoise, en l’occurrence le quotidien Matin Libre, évoque, en plus d’une mauvaise gestion, une affaire de détournement des fonds octroyés par l’administration française à l’établissement, aucune preuve, jusque-là, ne semble corroborer ces faits.
Juillet 2015, visite de François Hollande, président de la République.
Dans un courrier envoyé à nos confrères, Dior Niang Osseni, la présidente du conseil d’administration de l’APE, va réfuter ces accusations. « Au surplus du titre ronflant et diffamatoire [de l’article du média béninois, Ndlr], le contenu de votre article fait le récit de faits inexistants. […] Nous nous en tenons à cette simple expression de notre mécontentement en nous réservant le droit à toute action que le droit nous octroie », déclare-t-elle dans un courrier envoyé au directeur de publication du journal. Contactée, l’intéressée n’a malheureusement pas répondu à nos sollicitations pour nous donner sa version.
Pour ce qu’on en sait, au vu de l’investigation menée par l’Agence Ecofin, les problèmes de l’EFE Montaigne sont partis d’une mauvaise relation entre l’APE et l’équipe de direction de l’établissement. En fait, dans ce mariage de raison entre l’administration de l’école et l’APE, gestionnaire financier prévu par les textes de l’établissement, la première partie trouvait la seconde trop exigeante. En effet, l’équipe de direction s’est plainte de ne pas bénéficier de son pouvoir de décision à cause d’une APE trop étouffante. Cette dernière par contre, s’estime très peu informée et trop peu associée à la prise des décisions par la direction de l’école.
En effet, l’équipe de direction s’est plainte de ne pas bénéficier de son pouvoir de décision à cause d’une APE trop étouffante. Cette dernière par contre, s’estime très peu informée et trop peu associée à la prise des décisions par la direction de l’école
Cette mauvaise relation s’est progressivement transformée en antagonisme lorsque l’équipe de direction, décisionnaire, a vu certaines de ses décisions bloquées par l’APE, gestionnaire financier de l’établissement. En effet, l’APE aurait mis en place un budget trop contraignant. L’organe se serait également opposé au recrutement par l’équipe de direction d’enseignants expatriés résidant au Bénin pour remplacer ceux dépêchés depuis la France par l’AEFE pour la tâche. L’APE aurait préféré donner des chances aux enseignants béninois.
Cet antagonisme est devenu une véritable guerre ouverte lorsque les premiers cas de Covid-19 sont apparus au Bénin. Une rumeur avait circulé sur les réseaux sociaux et laissé croire que le premier cas de Covid-19 recensé dans le pays aurait côtoyé un enseignant de l’école. Démentie, on pourrait quand même être amené à penser que cette rumeur ait pu empirer les relations entre les deux parties ; l’APE aurait accusé l’équipe de direction de n’avoir pas pris toutes les mesures possibles. La situation est toutefois plus complexe.
Des différends entre les parents d’élèves et l’APE
« La situation relationnelle entre l’APE et les parents s’est rapidement dégradée à cause de la crise sanitaire. D’une mauvaise relation, nous sommes passés à une guerre ouverte de laquelle il faut sortir. Aucune AG n’a eu lieu depuis 2019, contrairement aux statuts de l’association, ce qui entraîne des frustrations, des rumeurs et une ambiance générale délétère », informe Sébastien Yves-Ménager, dans un courrier adressé, le 12 juin dernier, au chef du secteur Afrique de l’AEFE.
La crise n’offre finalement pas le simple tableau de dissensions opposant deux parties. L’APE est également divisée, en son propre sein, par des querelles intestines. Les parents d’élèves ne se reconnaîtraient plus dans toutes les décisions prises par le conseil d’administration de l’organe. A ce propos, au sein du conseil de l’administration même, on observe une désunion totale ces derniers jours. Plusieurs membres du conseil ont présenté dernièrement leurs lettres de démission. « Quand je vois cette ambiance délétère depuis ces dernières semaines, une atmosphère malsaine créée au sein de l’école par qui ou quoi, je ne sais ! Les rumeurs, les ragots jetés en clameur sur la place publique… », peut-on lire dans une des lettres de démission.
« Quand je vois cette ambiance délétère depuis ces dernières semaines, une atmosphère malsaine créée au sein de l’école par qui ou quoi, je ne sais ! Les rumeurs, les ragots jetés en clameur sur la place publique… »
« Par la présente, je vous adresse ma démission du conseil d’administration de l’Association des parents d’élèves de l’EFE Montaigne. Cette démission, qui deviendra effective à la date de réception du présent courrier, est motivée par le contenu de votre correspondance du 12 juin 2020 », explique, dans un autre courrier, un démissionnaire à Dior Niang Osseni.
Montaigne est un des symboles du prestige de l’école à la française en Afrique.
En effet, dans son courrier envoyé le 12 juin, cette dernière a notamment accusé des membres de l’APE de racisme. « Certains vous avancent des arguments racistes disant que l’EFE Montaigne risque de devenir une école de noirs [...] Il est dit que l’APE ne recrute que des enseignants béninois, noirs [...] Il est dit que l’APE va bientôt désigner un proviseur noir », peut-on lire dans le fameux courrier qui a fortement irrité certains membres de l’APE qui ont décidé de démissionner plutôt que d’être accusés de racisme.
« Certains vous avancent des arguments racistes disant que l’EFE Montaigne risque de devenir une école de noirs [...] Il est dit que l’APE ne recrute que des enseignants béninois, noirs [...] Il est dit que l’APE va bientôt désigner un proviseur noir ».
Cet imbroglio total est de nature à mettre en danger le renouvellement de la convention entre l’AEFE et l’EFE Montaigne, faisant perdre à l’établissement de précieuses subventions qui participent certainement à son rayonnement. L’institut scolaire offre également une garantie pour les expatriés français de ne pas bousculer le système d’éducation connu par leurs enfants, en cas d’affectation au Bénin.
Les conséquences d’un arrêt de la convention pourraient donc se révéler plus importantes qu’il n’y parait dans un premier temps. D’ici le 31 août 2021, on espère donc que la crise menaçant le renouvellement de cette collaboration, jusque-là fructueuse avec l’AEFE, sera résolue.
Servan Ahougnon
Kigali Convention Center, Rwanda - Annual conference and exhibition, which was established in 2005. The largest and most comprehensive knowledge sharing event for digital education, training and skills on the African continent.