Vous n'en avez pas encore entendu parler ? Ca pourrait bien venir. Avec la crise financière actuelle se pose la question de la séparation, au sein des banques, de l'activité de dépôt et de l'activité d'investissement.
Dans les deux lieux-phares du débat d'idées le week-end dernier (l'université d'été du PS à La Rochelle et le pique-nique annuel d'@si, bien entendu), entre deux parts de cake et un petit coup de rouge, la discussion a roulé sur... le Glass-Steagall Act. De quoi s'agit-il ? D'une loi votée aux Etats-Unis en 1933 instaurant, entre autres, une stricte séparation entre banques de dépôt et banques d'investissement. Objectif : protéger les épargnants des risques liés à la finance. Depuis l'abrogation de cette loi en 1999, la question d'un retour à une stricte séparation de ces deux activités bancaires est posée. Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, de nouvelles règles s'en inspirent (en partie seulement). En France, le Parti Socialiste et Jean-Luc Mélenchon proposent une telle séparation, mais à des degrés divers.
Alors quels sont les avantages et les inconvénients d'un tel système ?
La solution à la crise financière actuelle a-t-elle été trouvée en 1933 ? Cette année-là, les Etats-Unis votaient le Glass-Steagall Act (appelé aussi Banking Act) qui interdisait aux banques de dépôts les activités d'investissement. Ces banques "étaient autorisées à user de l’épargne qu’elles avaient en dépôt pour prêter aux ménages, aux entreprises et à d'autres banques, mais elles n'étaient pas autorisées à acheter des titres ou à aider à les échanger. L'achat d’actions leur était interdit, tout comme l'acquisition de produits financiers titrisés", explique Hans-Werner Sinn, directeur d'études à l'Institut pour la recherche économique à Munich, dans une tribune publiée sur Telos-eu.com. Après la Grande Dépression des années 1930, cette stricte séparation devait protéger les épargnants des soubresauts de la finance.
Un système bancaire version "Glass-Steagall Act" comporte plusieurs avantages. Le premier est la stabilité du système bancaire : un krach boursier n'est plus censé mettre en péril les banques de dépôt , vu qu'elles n'interviennent plus sur les marchés financiers. Autre avantage : le Glass-Steagall Act a introduit un système d'assurance de dépôts. Ainsi, en cas de faillite bancaire, les épargnants avaient la garantie de récupérer une partie de leurs fonds. Enfin, un tel système est censé limiter la spéculation financière en responsabilisant davantage les banques d'investissement. Et ce n'est pas l'extrême gauche qui le dit, mais le journaliste Eric Revel, ancien rédacteur en chef du service éco de TF1 et actuel directeur de LCI : "si un organisme bancaire américain choisissait le premier statut [celui de banque de dépôt], il pouvait bénéficier de l'aide de l'État en cas de problèmes mettant en péril l'épargne des citoyens. En revanche, si un autre organisme choisissait le second statut [celui de banque d'investissement], il n'a[vait] jamais la possibilité d'utiliser les capitaux collectés auprès des épargnants pour financer ses activités boursières. Et surtout, cette banque d'affaires se débrouill[ait] seule, sans l'aide de l'État et donc sans l'argent du contribuable, en cas de difficultés", a-t-il écrit dans son livre intitulé Demain, rien ne sera plus comme avant (Editions Ellipses, 2009). En clair, pour l'Etat, pas question de couvrir les risques liés aux activités spéculatives des banques d'investissement.
"Lehman brothers aurait-elle pris autant de risques absurdes ?"
A partir des années 1970, le Glass-Steagall Act est contesté avec le développement de nouveaux produits financiers. Les banques de dépôt commencent à contourner le système. "La distinction entre activités de prêteur et d'investisseur s'estompait avec la titrisation, explique Régis de Laroullière, ancien numéro 2 du Crédit Foncier de France. De nouvelles activités de courtage rémunératrices en commissions se développaient. Les innovations et les nouvelles pratiques étaient réputées stabilisatrices en permettant une large dispersion des investissements et des risques". En 1999, dans le contexte de la fusion de Citicorp et de Travelers pour créer Citigroup (mêlant activités de dépôt et d'investissement), les Etats-Unis ont donc abrogé le Glass-Steagall Act afin de permettre à toutes les banques américaines d'intervenir sur des marchés financiers en forte croissance.
Mais depuis la crise des subprimes de 2008 se pose de nouveau la question d'une plus grande séparation entre des activités d'investissement (financées par les marchés financiers) et des activités de banque de dépôt (qui consistent à prêter des capitaux accumulés par les épargnants). "La banque Lehman Brothers, proclamée en faillite le 15 septembre 2008, ou la banque Merrill Lynch, vendue sous la contrainte à Bank of America, auraient-elles pris autant de risques absurdes de cupidité si elles avaient su que jamais l'État ne lèverait le petit doigt pour les sortir de là ?" se demande par exemple Eric Revel qui prône un retour au Glass-Steagall Act.
En juillet 2010, Barack Obama a signé une loi de régulation financière. Le retour au Glass-Steagall Act a bien été envisagé, mais il a été écarté en raison de la concurrence des banques européennes. Car contrairement aux Etats-Unis où la distinction entre banques de dépôt et banques d'investissement est restée en vigueur très longtemps, l'Europe n'a pas connu une telle distinction. Le système européen est celui des "banques universelles" : une même entité assure les deux activités. Dans une interview au Monde.fr en septembre 2010, Michel Aglietta, économiste au Centre d'études prospectives et d'informations internationales, expliquait que "dans un contexte d'intégration internationale, le lobby bancaire a soulevé la question de la concurrence (...) et cette option [d'un retour au Glass-Steagall Act] a été très vite écartée".
Pas de retour en arrière donc, mais Obama s'est tout de même inspiré de l'esprit du texte de loi de 1933. Parmi les mesures prises par Obama, sur la base des recommandations de l'ancien président de la Fed, Paul Volcker, il a été décidé "de séparer certaines activités dont les excès sont apparus dans cette crise, en les faisant effectuer par des filiales séparées, capitalisées de manière indépendante", explique Aglietta. Il ne s'agit pas de séparer les banques, mais de séparer certaines de leurs activités au sein de filiales. Objectif ? En cas de difficulté, il n'y aurait plus de risque systémique : la banque pourrait se séparer de certaines de ses activités, sans le risque d'une faillite globale.
Cette réforme du système bancaire est en cours aux Etats-Unis, mais elle demandera du temps : "En 1933, il a fallu deux ans pour que les réformes décidées deviennent opérationnelles", note Aglietta.
Protéger la banque des activités "casino"
Au moment de l'annonce du plan bancaire d'Obama en 2010, les ministres des finances européens ont salué l'effort de régulation tout en ajoutant immédiatement qu'il n'était pas transposable. Dans un système européen où le modèle est la banque universelle (dépôt + investissement), une stricte séparation des deux activités reviendrait à remettre en cause tout le système.
Pour autant, l'idée d'une séparation de ces deux activités, au sein de filiales dont les banques pourraient se séparer en cas de difficulté, fait son chemin. En juin 2011, le gouvernement britannique a annoncé un plan de réforme du système bancaire. "Pas question de revenir à un Glass-Steagall Act à l'américaine, où les banques seraient entièrement séparées, explique La Tribune. Mais la banque de détail va devoir être "protégée" de ses activités "casino". Concrètement, les banques de détail devront être capitalisées à part. Cela doit leur permettre de faire face à un grave choc financier du côté des banques d'investissement, sans mettre en danger les dépôts des particuliers et des entreprises. Le niveau de capitalisation envisagé serait de 10% des actifs (sur une base pondérée par le risque, les fameux "risk weighted assets" en anglais). De plus, l'activité de banque de détail devra être clairement séparée de celle de banque d'investissement. Là encore, l'objectif est d'éviter la contagion en cas de crise financière".
Avantages de ce plan de réforme : limiter le coût d'un sauvetage. Ainsi, "en cas de faillite, la partie investissement regroupant le trading, la gestion de patrimoine ou alternative devra se passer de l'aide de l'Etat", explique Le Monde. Autres avantages : cela limite les risques systématiques avec la menace d’une faillite totale d’un grand groupe bancaire et cela incite les banques à la prudence, vu qu’il n’y aura pas d’aides pour l’activité "investissement". Cependant, pour les partisans d'une stricte séparation des banques de dépôt et des banques d'investissement, une telle réforme ne va pas assez loin. Selon Le Monde, "les détracteurs du pouvoir bancaire s'inquiètent de l'étanchéité de la future « muraille de Chine » entre la banque commerciale et la banque d'affaires au sein de la même structure. A les écouter, la complexité de l'ingénierie financière ou l'interconnexion entre les deux métiers ainsi que la rapidité du progrès technologique permettront aux opérateurs peu scrupuleux de contourner aisément l'interdit. Enfin, les associations de consommateurs s'inquiètent d'une hausse possible des tarifs des prestations bancaires vu la rentabilité faible des activités de dépôts, en particulier des prêts aux PME".
PS et Front de gauche (presque) d'accord
En France aussi, le débat fait son chemin. Dans son programme, le Parti Socialiste propose de "revenir à une stricte distinction des métiers bancaires et séparer activités de dépôt et activités financières". S'agit-il de séparer les banques de dépôt et les banques d'investissements (application du Glass-Steagall Act) ou simplement de créer des filiales distinctes (sur le modèle britannique) ? Le texte du programme est ambigu : "Les banques traditionnelles ne doivent plus prêter l'argent des épargnants et des clients aux banques d'affaires, ni acheter des titres structurés par ces banques d'affaires", peut-on lire dans le programme PS. Nous agirons pour que soient mis en place des mécanismes de garantie et de solvabilité des banques, financés par elles-mêmes et non par les contribuables, et pour limiter la taille des établissements qui conduisent des activités spéculatives". Du côte du Front de gauche, pas d'ambigüité. Sur son blog, Jean-Luc Mélenchon suggère "la séparation des banques de dépôts des banques d’investissements, comme après 1929".
En tout état de cause, la séparation de ces activités (séparation radicale entre banques, ou partielle avec des filiales) apparaît une solution crédible pour réguler l'activité des banques. Pour autant, un tel système conserve ses adversaires. Selon Hans-Werner Sinn, en cas de crise interbancaire (quand les banques n'ont plus confiance entre elles et ne se prêtent plus), les banques de dépôts ne peuvent pas se refinancer sur les marchés financiers. Selon lui, une stricte séparation aurait donc tendance à aggraver la crise. Autre leurre : malgré une stricte distinction, "il est douteux que les possibilités de sauvetage du gouvernement soient réellement réduites, explique-t-il. On voit mal un État refuser de sauver une importante banque d'investissements, en prétextant qu’elle ne gère pas l'épargne des clients : personne et certainement pas le gouvernement américain ne prendra le risque de répéter la catastrophe de Lehman Brothers". D'autres adversaires au Glass-Steagall Act "jugent que le modèle de banque universelle, s'appuyant à la fois sur la banque d'investissement et la banque de dépôt, est un gage de solidité qui a fait ses preuves pendant la crise", explique Le Monde. Autant d'arguments qui montrent que le débat est loin d'être tranché.
Par Sébastien Rochat le 30/08/2011
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