(Agence Ecofin) - Malgré des progrès, la région est loin d’avoir atteint les objectifs ambitieux de sécurité alimentaire fixés il y a 20 ans par la PAU. Face aux nouvelles contingences, la commission de l’Uemoa accélère le pas pour une nouvelle politique agricole, plus actualisée pour l’Union.
« Un accroissement timide des productions agricoles, souvent davantage lié à l’expansion des superficies qu’aux rendements. À l’exception du maïs, du riz, de la pêche et de l’aquaculture, les performances enregistrées sur les autres filières, bien qu’encourageantes, restent en deçà des objectifs poursuivis (croissance annuelle de 6 %) dans le cadre des engagements renouvelés de Maputo (Malabo) ». Ces mots de Kako Nubukpo, Commissaire du Département de l’agriculture, des ressources en eau et de l’environnement (Daren) de la Commission de l’Uemoa, constituent l’un des constats majeurs de ce colloque international sur les 20 ans de mise en œuvre de la Politique agricole de l’Union (PAU) qui se tenait du 10 au 12 octobre 2023 à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso.
20 ans après, « des défis perdurent et de nouveaux obstacles voient le jour », selon les propos de son homologue Mamadu Serifo Jaquite, représentant le Président de la Commission de l’UEMOA, Abdoulaye DIOP, à l’ouverture du colloque. Et même si, comme l’indique l’économiste togolais, « nous parvenons à assurer l’alimentation de 80 % de la population de l’UEMOA, il demeure que 20 % restent en situation de précarité alimentaire », le défi demeure intact.
Ce défi est d’autant plus pressant que la région doit également faire face à une croissance démographique soutenue. Entre juin et août 2022, les données officielles indiquent que plus de 12,5 millions de personnes étaient confrontées à l’insécurité alimentaire au sein de l’UEMOA, une réalité plus préoccupante qu’au début du millénaire lorsque les États de l’Uemoa décidaient de commun accord de définir un référentiel agricole. Deux décennies plus tard, la situation risque de se détériorer si rien n’est fait. La productivité agricole régionale est en chute libre, ayant régressé de plus de 20 % en raison de divers facteurs, notamment la faible mobilisation des ressources financières et les chocs climatiques au cours des quarante dernières années.
« Cependant, les tendances lourdes comme la démographie soutenue, le changement climatique et l’insécurité ayant caractérisé l’espace régional ces deux dernières décennies suffisent-elles pour expliquer les performances en demi-teinte des politiques publiques dans le domaine agricole et, en particulier, celles de la Politique Agricole de l’Union ? Ces politiques reflètent-elles les enjeux actuels du secteur agricole ? Les instruments de politique publique déployés sont-ils en adéquation avec les défis actuels du secteur agricole ? » Autant de questions auxquelles les participants venus des huit pays de l’UEMOA et même de la CEDEAO, ont tenté de trouver des réponses.
Pour les participants, force est de constater que malgré l’importance de l’agriculture qui représente environ 30 % du PIB régional, génère près de 60 % des revenus d’exportation et occupe entre 65 et 80 % de la population selon le pays les investissements gouvernementaux dans ce secteur ne se situent qu’entre 3 et 4 %, bien loin de l’engagement initial de 10 %. De plus, le secteur privé semble frileux face aux investissements agricoles.
“Dans un pays dominé par l’Agriculture, une banque qui ne finance par le secteur agricole n’a pas sa place”, lance le patron du CORAF, Abdou Tenkouano. Il n’était pas le seul à abonder dans ce sens.
La production, en dents de scie
Dans ces conditions, la production agricole régionale présente un tableau contrasté. En dépit d’une hausse de 144,91 % de la production de céréales par rapport à 2001, soit un taux de croissance annuel moyen de 4,36 % sur la période, mené par le, mais et le riz, ce chiffre demeure inférieur à l’objectif de 6 % fixé par l’accord de Malabo. La production de cultures comme le millet et le sorgho a même connu une baisse, composant seulement 38,17 % de la production céréalière totale en 2021, contre 60,09 % en 2001. Et même si la production d’autres cultures comme les racines, tubercules et légumineuses a également connu une hausse substantielle - par exemple, la production de racines et de tubercules a augmenté de près de 117 % entre 2001 et 2022 - la performance a été insuffisante pour freiner la courbe des importations.
Les importations alimentaires ont ainsi explosé de près de 500 % entre 2001 et 2021, soulignant une dépendance accrue de l’Union à l’approvisionnement externe. À titre d’illustration, les importations de viandes sont passées de 26 kg par habitant en 2001 à 39 kg en 2021. En valeur, cela se traduit par un bond de 3 $ par habitant à 16 $. D’un autre côté, la facture pour les produits laitiers est passée de 129 millions de dollars à 323 millions sur la même période. « C’est un défi qui va au-delà de la seule problématique de la sécurité alimentaire; c’est une question de souveraineté nationale et régionale », glisse un participant nigérien.
Tous les intervenants semblent être sur la même longueur d’onde, qu’il s’agisse des délégations de l’UEMOA, du CIRAF, du CILSS, du RESIMAO ou du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO). Le mot d’ordre est clair : il est temps pour une refonte de la Politique agricole de l’Union. L’agriculture, longtemps reléguée au second plan, doit désormais occuper une place centrale dans les politiques publiques. De nouvelles méthodes, davantage en phase avec les enjeux actuels et les ressources disponibles, doivent être envisagées pour soutenir le développement du secteur agricole et faire face aux défis qui se présentent, ont-ils réclamé. Convaincus que cela exige, entre autres, des investissements massifs et une réorientation stratégique, incluant une diversification des sources de financement et une plus grande implication du secteur privé.
Changer de paradigme
Avec une nouvelle vision en ligne de mire, les participants au colloque sur la Politique Agricole de l’Union (PAU) proposent une refonte radicale. Exit les projets d’investissements isolés, place à une approche intégrée de la chaîne de valeur agricole. Cette vision nouvelle table sur la généralisation de l’agrégation agricole, la mise en avant des conseillers en développement agricole et un recentrage des rôles entre secteur public et privé. Les organisations paysannes et les communautés locales ne sont pas en reste, appelées à jouer un rôle clé. L’objectif audacieux : "faim zéro" en dix ans.
Si le colloque a donc été un espace de réflexion sur les manquements et les opportunités à saisir, le processus de relecture de la Politique Agricole de l’Union a déjà commencé, dans une démarche inclusive, indique la commission de l’Uemoa. Ainsi, décideurs politiques, partenaires techniques et financiers, ainsi que société civile sont tous invités à apporter leur contribution pour une « politique agricole plus robuste, qui réponde aux défis de la sécurité alimentaire et du développement durable ». « Les conclusions de nos travaux seront exploitées dans le processus de relecture de la Politique Agricole que nous avons entamé depuis quelques mois, avec vos contributions très enrichissantes. Nous attachons du prix à cette démarche inclusive qui reste la voie unique garantissant la co-construction, un des principes directeurs devant guider nos interventions dans cette nouvelle dynamique », a déclaré Kako Nubukpo, Commissaire du Département de l’agriculture, des ressources en eau et de l’environnement (Daren) de la Commission de l’Uemoa.
Fiacre E. Kakpo
Meknès, Maroc.