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« Imaginez, s’il subissait les premières transformations en local, ce que le pays gagnerait en recettes !»

  • Date de création: 23 septembre 2022 07:51

(Agence Ecofin) - Le Zimbabwe vient de signer un accord de 2,83 milliards $ avec des entreprises chinoises pour construire des industries locales de transformation de métaux. Louis-Nino Kansoun, auteur du rapport « Comment l’Afrique saisit les opportunités offertes par le lithium » nous explique les enjeux autour de cet accord et comment il pourrait inspirer d’autres pays africains.

Agence Ecofin : Le protocole d’accord porte sur la construction d’un complexe industriel étendu sur 5 000 hectares destiné à transformer localement plusieurs métaux dont le lithium. Ce projet vous semble-t-il réaliste à l’heure actuelle ?

Louis-Nino Kansoun : Il faut avant tout féliciter le gouvernement zimbabwéen pour être parvenu à un tel accord quand on sait à quel point la question de la transformation locale des minerais produits en Afrique est sensible. Plusieurs voix s’élèvent depuis plusieurs années sur le continent pour appeler les Etats à agir pour développer des industries de transformation locales de métaux afin d’augmenter les recettes tirées de leurs secteurs miniers. D’un autre côté, il y a quelques années quand le régime Emmerson Mnangagwa est arrivé au pouvoir, on ne pouvait pas prédire ce qui se passe aujourd’hui. En effet, durant les dernières années du régime Mugabe, les relations entre l’Etat et l’industrie minière étaient tout sauf au beau fixe et les investisseurs boudaient presque ce pays dont le potentiel minéral était pourtant immense. Sans vouloir revenir sur toute l’histoire, du chemin a été parcouru depuis par le Zimbabwe avec les investissements de plusieurs millions de dollars annoncés dans le secteur du platine, les différents accords conclus pour produire du lithium et les différentes mesures prises par le gouvernement pour raviver l’attrait du secteur minier et augmenter les recettes qu’il en tire.

Pour en revenir à la question, il est difficile de s’avancer pour le moment, car il s’agit encore d’un protocole d’accord et les contours de l’accord définitif doivent être d’abord fixés. Le timing ne peut cependant pas être meilleur, car on assiste depuis quelques mois aux prémices d’un nouveau super-cycle des métaux comme le lithium, le cobalt, le nickel, les terres rares, etc. Pour le Zimbabwe, qui est selon nos données le seul pays africain qui produit du lithium en 2022, il est légitime de vouloir tirer davantage de revenus directs comme indirects de son secteur minier en se positionnant sur d’autres maillons de la chaine de valeur. 

AE : Dans votre rapport consacré au marché du lithium et paru en octobre 2021, vous évoquez notamment la nécessité pour les Etats africains de faire plus d’efforts pour tirer pleinement profit des opportunités offertes par ce métal. Le Zimbabwe est-il sur la bonne voie ?

LNK : Assurément. C’est rassurant de voir que des gouvernants ont conscience des problématiques que nous abordons dans ce rapport. Le lithium est avec le cobalt l’un des principaux composants de la fabrication des batteries qu’utilisent les véhicules électriques. Et depuis 2020 on assiste à une croissance des ventes de ces voitures qui seront d’ici 10 ans les seules dans les parcs des principaux constructeurs automobiles. Durant cette période, il ne sera pas étonnant de voir les prix du lithium grimper sensiblement et on commence déjà par avoir un aperçu avec le prix de l’hydroxyde de lithium qui a atteint récemment 77 dollars le kilo et celui du carbonate de lithium qui a dépassé les 71 dollars le kilo. Jusque-là le produit de la seule mine en production dans le pays (opérée par Bikita Minerals) est exporté en brut. Imaginez s’il subissait les premières transformations en local ce que le pays gagnerait en recettes. Les derniers développements de l’actualité minière zimbabwéenne traduisent une réelle volonté de gagner plus du secteur puisque le pays compte, en plus de pousser les entreprises à transformer le minerai brut en local, augmenter à 5% la redevance sur la production du lithium dès janvier 2023. Mais il faut maintenant attendre de voir si toutes ces annonces se concrétisent vraiment. 

AE : Existe-t-il déjà en Afrique des usines de transformation locale de métaux ? 

LNK : En fait, il faut d’abord comprendre que le minerai extrait de nos mines est rarement utilisé directement comme produit fini (métaux et minéraux). Il doit d’abord subir une première transformation dans une usine de traitement, ce qu’on appelle la minéralurgie, une étape préliminaire de la métallurgie. La métallurgie regroupe en plus d’autres activités comme la fonderie, le raffinage, la fabrication de produits finis ou semi-finis. En Afrique, il existe quelques usines de transformation locale de métaux. African Gold Refinery, la plus grande raffinerie d’or d’Ouganda, installée en 2014, a déjà grandement contribué à permettre au pays de doubler en 2019 la valeur de ses exportations aurifères à 1,25 milliard de dollars. On retrouve d’autres raffineries d’or dans quelques pays africains, des usines de raffinage de cuivre en RDC et en Zambie, une fonderie d’étain au Rwanda, des fonderies de minerai de fer et d’autres métaux dans des pays comme l’Afrique du Sud et le Ghana. Toutefois, c’est loin d’être suffisant que ce soit en termes de nombre ou même de capacités. De plus, quand on cherche des usines de transformation pour les minéraux stratégiques, le nombre est encore plus réduit.

AE : Quels sont les principaux obstacles au développement d’une industrie à grande échelle de transformation de métaux en Afrique ?

LNK : La transformation locale de métaux en Afrique s’est toujours heurtée à deux obstacles majeurs. Le premier est celui des importants besoins énergétiques des usines de transformation alors que l’accès à l’électricité est encore un casse-tête pour plusieurs pays africains. D’après les données d’Oxfam, 489 millions de personnes n’auront toujours pas accès à l’électricité en 2040 sur le continent. S’il faut de la mesure dans l’analyse qu’on fait de ce chiffre au vu des disparités qui peuvent exister d’un pays à l’autre, on peut néanmoins se demander si développer une industrie locale de la transformation prime sur les besoins de la population. Cependant, on peut espérer au vu des récents développements dans le secteur énergétique. En RDC par exemple, l’extension du barrage hydroélectrique de Grand Inga d’une capacité de près de 42 GW a été confiée à l’australien Fortescue en juin 2021. Inutile de rappeler tous les espoirs placés en ce projet qui montre à quel point l’électricité ne sera plus un problème si le potentiel en énergies renouvelables du continent est effectivement exploité. Il faut ajouter les grandes découvertes de gaz naturel effectuées récemment sur le continent ainsi que les développements en matière d’hydrogène vert. L’autre problème qu’il faut évoquer est celui du financement. Pour les Etats le défi sera de réussir à attirer, comme le Zimbabwe, des investisseurs prêts à dépenser les fonds nécessaires pour construire et installer les usines. La stratégie adoptée par certains pays africains est de forcer la main aux compagnies minières. Cependant, les recettes directes pourraient être plus grandes si plusieurs pays s’associaient pour développer ensemble des complexes de transformation.

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