(Agence Ecofin) - L’impact global de la Covid-19 s’est ressenti sur l’ensemble des secteurs de l’économie globale et la pandémie a pesé lourdement sur les économies africaines, reléguant l’urgence climatique au second rang. Mais aujourd’hui, les politiques de relance offrent de réelles opportunités à l’accélération de l’action climatique sur le continent. L’Ambassadeur Seyni Nafo explique, à l’Agence Ecofin, comment l’Afrique peut tirer pleinement parti de ces opportunités.
Agence Ecofin : Nous constatons les impacts de la Covid-19 sur l’Afrique et le monde. Vous attendez-vous à ce que la pandémie ait une incidence sur les négociations et l’action climatique en général ?
Seyni Nafo : L’impact du Covid a été à la fois négatif et positif : comme toute crise, défis et opportunités s’entremêlent. Dans une majorité de nos pays, la Covid n’a pas (encore) donné lieu à une crise pandémique de grande ampleur en termes de santé publique comme dans d’autres régions du monde (Europe en tête), à une ou deux exceptions près. En dépit de cette accalmie relative sur le front sanitaire, les impacts économiques ont été partout sévères, voire durables. Nous avons d’abord assisté à une réduction drastique des rentrées fiscales due à de multiples facteurs, dont une baisse significative du prix des matières premières (agricoles et énergétiques) et des transferts des diasporas. La dégringolade des monnaies locales, renchérissant le coût des importations, et son corollaire l’inflation, sont une grave menace pour la relance économique. Dans ces conditions, la pandémie et ses répercussions sont désormais la priorité de la plupart des gouvernements, au détriment parfois des enjeux climatiques.
AE : Vous parliez tantôt d’opportunités. Quelles sont-elles ?
Pour les points positifs, deux faits à l’international ont marqué notre intérêt. La première est le niveau d’injection de liquidités historique enregistré à l’échelle mondiale. Si je ne me trompe pas, ce sont plus de 17 000 milliards $ qui ont été injectés dans l’économie mondiale. Il n’y a jamais eu autant de liquidités, ce qui confirme la disponibilité, quasi-illimitée, de la ressource financière dans un système monétaire global reposant de fait sur la simple volonté politique. Le FMI a rejoint les festivités en émettant un montant record de Droits de Tirages Spéciaux (DTS) équivalent à près de 650 milliards de dollars US. Plusieurs Chefs d’États africains, notamment ceux de la RDC, du Sénégal et de l’Afrique du sud œuvrent pour que l’Afrique perçoive une part plus importante, de ces financements.
« Il n’y a jamais eu autant de liquidités, ce qui confirme la disponibilité, quasi-illimitée, de la ressource financière dans un système monétaire global reposant de fait sur la simple volonté politique.»
La deuxième opportunité est le retour des États-Unis dans l’Accord de Paris suite à l’élection du Président Biden. Ce dernier a d’ailleurs fait du climat un enjeu stratégique de 1er ordre, intégrant financement, diplomatie et sécurité. La nomination de son Haut Représentant pour le Climat en la personne de l’ancien Ministre des affaires étrangers du Président Obama, et l’organisation d’un Sommet Climat mondial à la Maison Blanche –première historique - moins de 100 jours après sa prise de fonction, ont envoyé un signal politique des plus forts sur ses ambitions climatiques.
« Le groupe des négociateurs africains apporte d’ailleurs son expertise aux États qui le sollicitent. »
La nouvelle position américaine a des effets dans tous le système multilatéral et international. Cela se ressent dans l’ensemble des institutions financières internationales, et même en Chine, puisque le Président Xi a, dans la foulée, nommé en retour son Haut Représentant pour le climat. Le FMI s’est engagé à intégrer le risque climatique dans ses évaluations macroéconomiques lors de ses consultations périodiques (sous son Article 4) afin de mesurer pleinement et atténuer les impacts dans la planification du développement. Finalement le développement durable et le climat sont systématiquement évoqués comme objectif stratégique à part entière dans les plans de relance économique.
Tout ceci représentant autant d’opportunités pour mobiliser davantage de ressources pour nos pays, tant au niveau bilatéral et multilatéral, que sur les marchés financiers ou auprès du secteur privé.
AE : Comment s’organiser pour saisir cette opportunité ?
SN : Les pays qui se structurent n’ont jamais eu autant d’opportunités qu’aujourd’hui en termes de finance climat. Les pays comme le Ghana, le Bénin, le Kenya, le Sénégal ou encore le Maroc le démontrent bien par leurs récentes levées de fonds.
Le groupe des négociateurs africains apporte d’ailleurs son expertise aux États qui le sollicitent pour les accompagner dans ce processus. Nous les conseillons dans l’élaboration des plans de relance avec les institutions de Breton Woods en y intégrant la question climat. Cette intégration se fait tant au niveau macroéconomique que sectoriel (agriculture, eau, énergie, urbanisme, etc.). Nous mettons également notre expertise à disposition dans la formulation des plans d’investissement destinés au climat et à l’économie verte et la mobilisation des ressources nécessaires à leur exécution.
Cela fait d’ailleurs partie de la transformation du groupe africain, amorcé en 2015, sur instruction des Chefs d’État. Ces derniers requerraient de privilégier, au même titre que les négociations multilatérales, l’assistance technique à la mise en œuvre des politiques, programmes et projets d’action sur le terrain, et la mobilisation des ressources en termes de capacité, de technologie et de financement. En effet, le Groupe réuni plus d’une centaine d’experts multidisciplinaire de haut niveau, souvent de rang mondial, dans tous les domaines liés à la problématique climatique.
Nous explorons différentes modalités pratiques pour faciliter la mise à disposition de cette expertise exclusivement africaine au service, non seulement des gouvernements, mais également à l’ensemble des partis prenantes pertinentes. Nous accompagnons ainsi également les collectivités territoriales, le secteur privé et les organisations de la société civile. La formulation des programmes et projets, la mobilisation des ressources, l’exécution, le suivi et l’évaluation, étant les composantes clés d’une mise en œuvre pleinement réussie sur le terrain.
AE : Quand on promet les enveloppes, l’Afrique obtient moins de 10% des financements climatiques avec peu de résultats à la clé. Que faire pour tirer un parti optimal de cette reprise du momentum climatique ?
SN : Nous savons par expérience que la mobilisation des ressources est un travail extrêmement technique, une expertise à part entière, dévolue à des spécialistes. Dans le secteur privé par exemple, les banques d’investissement jouent par excellence ce rôle. Elles sont uniquement là pour mobiliser les ressources pour les secteurs privé et public à travers toute une ingénierie financière, juridique, voire économique et fiscale afin d’optimiser les montages financiers. Il nous faut adopter une démarche similaire : concevoir la banque d’investissement pour le climat en respectant, en plus des dispositions habituelles, les objectifs, dispositions, et règlementations propres à la problématique climatique.
Les opportunités sont presque infinies puisque la question climatique couvre tous les aspects de la transformation de nos économies. Elle intègre entre autres les infrastructures physiques de base, les écosystèmes et territoires, la mobilisation et le renforcement de nombreuses capacités, la domestication et l’innovation technologies, etc.
« Les opportunités sont presque infinies puisque la question climatique couvre tous les aspects de la transformation de nos économies.»
Nous devons structurer notre réponse sur le continent. Le financement existe certes, mais les institutions qui les offrent, même les philanthropiques, ont des règles et procédures spécifiques, très souvent en anglais d’ailleurs. Il nous faut donc un rehaussement du niveau technique, d’où l’appel à l’émergence du modèle banquier d’investissement pour le climat.
Dans la finance climat, cette mise à niveau est une condition sine qua non. Il nous faut ces nouvelles compétences. Les pays qui ont investi dans ce chantier-là sont en tête en termes de mobilisation de ressources financières. Voilà pourquoi le grand défi pour le groupe africain est d’assister nos pays à mobiliser tout d’abord et à développer ces compétences.
AE : De quels types de compétences pensez-vous que le continent aura besoin pour répondre au mieux à l’urgence climatique en termes de mobilisation et d’utilisation efficiente des ressources ?
SN : Lorsqu’un pays émet des obligations vertes par exemple, le ministère des Finances coordonne l’opération. Mais il a besoin de travailler en intelligence avec son homologue chargé du Climat, dans le ciblage des interventions afin d’assurer l’alignement sur les priorités nationales définies au préalable par le biais des CDN. Le climat n’est plus donc seulement une question d’environnement, c’est désormais un enjeu de développement, durable.
Les questions climatiques sont transversales et touchent des domaines aussi variés que complexes tels que la planification du développement, la sécurité nationale, la décentralisation, l’innovation technologique, l’assistance humanitaire, etc. Il est donc primordial d’adopter des approches systémiques couvrant l’ensemble des secteurs, des territoires et surtout des parties prenantes. La seule perspective environnementale est insuffisante pour appréhender pleinement le défi, et encore moins le relever. Seule une mise en synergie intelligente des compétences et des ressources nous permettra de conjurer la menace climatique, et ses impacts déjà ravageurs, en opportunité de création de richesse, de transformation économique et développement durable.
Gwladys Johnson Akinocho
Johannesburg, Afrique du Sud : « Faire place au changement : façonner la prochaine ère de prospérité de l’Afrique »