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« La finance climat avance encore trop lentement pour aider à atteindre les objectifs de l’Accord de Paris » (Reclaim Finance)

  • Date de création: 02 avril 2021 11:10

(Agence Ecofin) - Dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, tous les acteurs économiques sont sollicités pour apporter leur contribution aux efforts mondiaux. Ces dernières années, la pression a particulièrement augmenté sur le monde de la finance pour la réduction des soutiens aux projets dans le domaine des énergies fossiles. Si on y dénote une bonne volonté, des progrès significatifs ne sont toutefois pas encore au rendez-vous selon Lucie Pinson, fondatrice et Directrice générale de l’ONG Reclaim Finance. Dans une interview accordée à l’Agence Ecofin, la militante revient sur le bilan de la finance climat et plaide pour un véritable changement de modèle des acteurs financiers.

Agence Ecofin : Plus de 5 ans après la COP 21 et l’Accord de Paris sur le climat, quel état des lieux peut-on faire de la finance climat ?

Lucie Pinson : La finance climat avance, mais pas assez vite, et la finance ne se transforme pas toujours dans la bonne direction. Les financements aux énergies fossiles se sont maintenus, et pour de nombreuses banques, ils continuent d’augmenter depuis la COP 21 en 2015. Près de 6 ans après l’Accord de Paris, les entreprises actives dans les énergies fossiles trouvent toujours des financements pour le développement de nouvelles centrales et mines de charbon.

Interview Lucie Pinson Reclaim Finance

Lucie Pinson : « La finance climat avance, mais pas assez vite. »

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Globalement, les grandes banques internationales ont accordé 2700 milliards $ de financements à l’intégralité de l’industrie des énergies fossiles entre 2016 et 2019, selon l’édition 2020 du « Banking on climate change, fossil fuel finance report ».

« Globalement, les grandes banques internationales ont accordé 2700 milliards $ de financements à l’intégralité de l’industrie des énergies fossiles entre 2016 et 2019. »

Cette situation n’est pas liée au manque d’adoption de politiques sectorielles par les acteurs financiers en rapport avec le changement climatique. Les acteurs financiers reconnaissent le problème sur le charbon et ont adopté énormément de politiques. Nous en avons recensé plus de 250. Mais la réalité est que les efforts déployés pour communiquer sur le climat ne se traduisent pas en de véritables changements dans les pratiques. Généralement, leurs politiques relèvent bien souvent du greenwashing.

Il y a très peu de politiques robustes sur le secteur du charbon, seulement une vingtaine qui permettent de répondre à l’urgence et qui poussent les entreprises à adopter des plans de sortie du charbon dans un délai imparti pour limiter le réchauffement à 1,5°C.

AE : Vous venez de mentionner une stratégie de greenwashing pratiquée par de nombreux acteurs financiers. Pouvez-vous donner un exemple ?

Lucie Pinson : Tout à fait. Prenons par exemple la banque américaine JP Morgan Chase. L’entreprise financière a indiqué début 2019 qu’elle a revu sa politique sur le charbon en décidant d’arrêter de financer directement les nouvelles centrales à charbon. Elle a présenté ce changement comme une énorme avancée. En revanche, ce qu’elle ne précise pas, c’est qu’elle n’a presque jamais accordé ce type de soutiens directs, mais qu’elle finance massivement les entreprises qui les développent. C’est donc de la poudre aux yeux en ce qui concerne le secteur du charbon. Et globalement, les politiques sont encore plus lacunaires pour le secteur pétrolier et gazier. Aucun acteur financier d’envergure internationale n’a exclu de ses listes les entreprises qui développent de nouveaux projets pétroliers et gaziers, alors que ceux-là sont tous incompatibles à l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5°C.

« Aucun acteur financier d’envergure internationale n’a exclu de ses listes les entreprises qui développent de nouveaux projets pétroliers et gaziers, alors que ceux-là sont tous incompatibles à l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5°C. »

Par exemple, il se développe en ce moment un projet d’oléoduc ougando-tanzanien (EACOP) d’un coût de plus de 3 milliards $. Ce projet porté en grande partie par Total va contribuer à exploiter de nouvelles réserves de pétrole. Or, à l’heure actuelle, aucun acteur financier n’a de politique excluant systématiquement son soutien à ce type de projet ou à Total, en dépit du fait que cela est contradictoire avec les objectifs climatiques de Paris 2015.

AE : BlackRock, le plus grand gestionnaire d’actifs au monde avec un portefeuille de 8700 milliards $, a multiplié depuis l’année dernière les annonces allant dans le sens d’une meilleure durabilité de ses investissements. Qu’en pensez-vous ?

Lucie Pinson : Il est vrai que BlackRock a adopté une politique sur le charbon l’année dernière et a annoncé un désinvestissement des producteurs de charbon. Mais malheureusement, cela ne couvre que 17 % des entreprises actives dans le charbon et ne s’applique qu’au tiers des actifs sous gestion de BlackRock.

« Il est vrai que BlackRock a adopté une politique sur le charbon l’année dernière et a annoncé un désinvestissement des producteurs de charbon. Mais malheureusement, cela ne couvre que 17 % des entreprises actives dans le charbon.»

Donc, l’entreprise ne répond pas du tout au cahier de charges des politiques de sortie du secteur du charbon, et ce sera le cas tant que sa politique ne couvrira que les entreprises minières en ignorant celles actives dans la production d’électricité à partir de charbon. Pour se défendre, BlackRock indique que sa gestion passive majoritaire ne permet pas le désinvestissement, mais qu’il peut toutefois peser sur les entreprises du charbon via l’engagement actionnarial.

Le fonds a d’ailleurs annoncé vouloir peser sur les choix stratégiques de plus de 1000 entreprises. Je doute personnellement de la qualité de l’engagement qui va être mené par BlackRock pour un nombre aussi important d’entreprises. Même s’il représente le plus gros gestionnaire d’actifs au monde, je doute qu’il ait la capacité de s’engager auprès de 1000 entreprises. BlackRock a dit qu’il souhaitait les pousser à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Une bonne nouvelle, mais encore faut-il préciser le modus operandi, car cet objectif à long terme ne pourra pas être atteint sans changement immédiat des opérations des entreprises. Or, on a vu l’année dernière déjà énormément d’acteurs financiers, des villes, des États, les entreprises industrielles et les acteurs qui se sont engagés sur la voie de la neutralité carbone d’ici 2050 sans pour autant adopter des mesures immédiates pour permettre des réductions en valeur absolue de leurs émissions de GES. Total par exemple a l’ambition d’atteindre la neutralité carbone en 2050, mais en même temps prévoit d’augmenter sa production de pétrole et de gaz de 50% d’ici 2030, par rapport au niveau de production de 2015. On voit là un semblant d’action climatique qui sert d’écran de fumée au maintien du business as usual. Et c’est là le véritable bémol. Si BlackRock ne précise pas ce qu’il attend des entreprises actives dans le secteur énergétique et n’exige pas de ces entreprises une réduction de leur production d’hydrocarbures accompagnée de baisses réelles des émissions de gaz à effet de serre, on risque d’avoir des engagements qui auront très peu d’impact.

AE : Que répondez-vous à ceux qui disent qu’il faut laisser du temps aux acteurs financiers privés pour s’adapter aux changements ?

Lucie Pinson : Je dirai déjà que le temps presse. Il ne reste que 9 ans pour radicalement inverser la tendance et changer la manière dont on consomme et produit de l’énergie pour rester sous le seuil de 1,5°C. En outre, on n’a pas découvert le changement climatique hier, ni en 2015. Les acteurs financiers sont au courant des risques qui y sont liés depuis les années 70, avec un rapport pionnier de Munich Re en 1973.

« En outre, on n’a pas découvert le changement climatique hier, ni en 2015. Les acteurs financiers sont au courant des risques qui y sont liés depuis les années 70, avec un rapport pionnier de Munich Re en 1973.»

De plus, agir pour le climat, c’est aussi une manière pour les acteurs financiers de se sauver eux-mêmes. Sur le long terme, les dérèglements climatiques vont entraîner une instabilité majeure du système financier qui impactera la rentabilité et menacera même la survie des institutions financières. Déjà en 2015, Mark Carney, ex-gouverneur de la banque d’Angleterre dans un discours au Lloyd’s of London, le plus grand marché international d’assurances, avait pointé du doigt l’intérêt pour les acteurs financiers d’agir pour le climat.

Maintenant, il s’agit de travailler à rompre la tragédie de l’horizon, et à appréhender et intégrer sans plus attendre les risques liés au changement climatique dans les prises de décisions, quand bien même ils ne sont pas matériels sur le court terme.

AE : Quels sont les enjeux de la finance climat pour les pays en développement comme ceux africains ?

Lucie Pinson : Pour les acteurs financiers privés, il s’agit de financer le développement de vraies solutions à long terme pour l’Afrique qui a des besoins énormes en énergie, et qui a la chance de pouvoir éviter les mauvais choix que beaucoup de pays ont faits.

« Il s’agit de financer le développement de vraies solutions à long terme pour l’Afrique qui a des besoins énormes en énergie, et qui a la chance de pouvoir éviter les mauvais choix que beaucoup de pays ont faits. »

L’idée selon laquelle il faut développer de grosses infrastructures d’énergies fondées sur un système centralisé pour permettre le développement d’un pays s’effondre face à la rentabilité des énergies renouvelables. L’Afrique a l’opportunité de développer des réseaux énergétiques éclatés, réactifs et fondés sur des énergies renouvelables durables. Je pense que cela doit être le premier objectif des acteurs financiers privés. Le second point est qu’il faudrait dédier plus de financements climatiques à l’Afrique qui est en première ligne des impacts du dérèglement climatique. Dans cette logique, il faut non seulement accompagner le développement de projets qui permettront d’atténuer le dérèglement, mais aussi qu’une large part du financement aille à l’adaptation des pays africains. Ce n’est toujours pas le cas actuellement puisque l’enveloppe de 100 milliards $ que le Fonds climat doit allouer aux pays pauvres afin de les aider à s’adapter au changement climatique n’a toujours pas été réunie. C’est pourtant une petite somme par rapport aux 2700 milliards $ que les banques ont alloués aux énergies fossiles depuis la COP 21.

AE : Quelles mesures peuvent être prises par les États pour accélérer l’engagement des acteurs financiers privés dans la lutte contre les changements climatiques ?

Lucie Pinson : Montrer l’exemple, être cohérent et walk the talk comme on dit en anglais. Les membres du G20 s’engagent tous les ans depuis 2009 à mettre un terme à leurs subventions aux énergies fossiles. On en est très loin. Les agences de crédit à l’exportation continuent de soutenir les entreprises pour l’expansion de nouveaux projets d’énergie fossile à l’étranger.

Le président américain Joe Biden a fait savoir qu’il envisageait l’arrêt des soutiens pour le développement de nouveaux projets d’énergies fossiles. Cela est un engagement aussi réitéré par le Royaume-Uni qui veut mettre un terme aux subventions dès cette année. De son côté, la France, qui est pourtant le garant de l’accord conclu en 2015, entend aider le développement de nouveaux projets gaziers jusqu’en 2035. Je pense que si les États arrivent à en finir avec leurs propres incohérences, ils pourront contraindre les acteurs financiers privés à ne plus financer certains projets.

AE : Quelles actions déployez-vous de votre côté pour pousser les acteurs financiers à mieux agir en faveur du climat ?

Lucie Pinson : Au niveau de Reclaim Finance, on ne dit pas aux acteurs financiers de tout arrêter du jour au lendemain. Mais alors que la science nous dit qu’il faut sortir des secteurs les plus émetteurs, nous appelons les acteurs financiers à ne plus financer ou investir dans de nouveaux projets d’énergies fossiles, et à conditionner leurs soutiens aux entreprises à l’adoption d’un véritable plan de décarbonation de leurs activités. Il y aura la COP 26 à Glasgow en Écosse du 1er au 12 novembre prochain. Notre objectif est de faire en sorte que cette opportunité ne soit pas ratée. Notre plus grosse inquiétude est d’assister à une multiplication des engagements de neutralité carbone sans véritable changements immédiats des pratiques des acteurs financiers, et un maintien des soutiens financiers au développement des énergies fossiles. C’est une demande forte que nous comptons porter durant cet évènement.

« Notre plus grosse inquiétude est d’assister à une multiplication des engagements de neutralité carbone sans véritable changements immédiats des pratiques des acteurs financiers.»

Le deuxième sujet sur lequel nous voulons insister est qu’il faut agir maintenant parce qu’on n’a pas de plan B. Nombreux sont acteurs financiers et les entreprises qui misent ou font mine de croire au développement de la capture et du stockage du CO2, ainsi qu’en des technologies à émissions négatives. Il en faudra, mais à toute petite échelle, car leur développement est techniquement ou économiquement pas viable, ou il empiète sur d’autres droits comme celui à la terre et à la nourriture. Or les industriels des énergies fossiles et leurs financiers font le pari de leur développement à très grande échelle, bien au-delà des recommandations du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC). Ce sont des choix intrinsèquement politiques, avec de forts enjeux de justice climatique : qui a le droit de polluer, pour qui et au détriment des droits de qui ?

Propos recueillis par Espoir Olodo

Espoir Olodo



 
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