(Agence Ecofin) - La Russie a annoncé il y a quelques semaines, sa volonté d’appliquer une taxe de 50 euros sur la tonne de blé exporté à partir du 1er mars prochain jusqu’au 30 juin, soit le double du tarif de 25 $ prévu entre le 1er février et le 1er mars 2021. Cette mesure est censée permettre aux autorités russes de réduire l’inflation alimentaire qui a déjà atteint en novembre dernier, son plus haut niveau depuis mi-2019. Elle a suscité une vague de réactions aussi bien dans le cercle des analystes des marchés que dans le milieu des négociants qui s’attendent à d’importants remous sur le marché du blé dans les prochains mois. Décryptage.
La Russie occupe une position névralgique dans l’approvisionnement mondial en blé depuis déjà quelques saisons. Grâce à son abondante récolte de plus de 85 millions de tonnes en 2017/2018 ainsi qu’à une moindre production aux USA et dans l’Union européenne (UE), la Russie est devenue le premier exportateur mondial de la céréale.
La Russie souffle le chaud et le froid sur le marché mondial du blé.
L’ex-URSS devrait ainsi demeurer malgré les restrictions, le premier fournisseur mondial durant la campagne 2020/2021 s’achevant en juin prochain avec près de 20 % des expéditions selon les dernières estimations du Département américain de l’agriculture (USDA). Il faut noter que ladite décision a déjà eu pour effet de pousser le prix du boisseau de blé (25 kg) à 6,93 $, le 15 janvier sur la Bourse de Chicago (CBoT), soit son plus haut niveau depuis mai 2014.
Ce n’est pas la première fois que la Russie souffle le chaud et le froid sur le marché mondial du blé. Le pays impose en effet depuis près d’une décennie d’importantes mesures de contrôle à l’exportation au moyen de quotas, de taxes, voire de prohibitions. Le cas le plus frappant est sans doute celui de 2010, où le pays a imposé un embargo sur ses exportations après l’effondrement de la récolte liée à une grave sécheresse.
« Les exportateurs russes essaient d’accroitre leurs livraisons avant l’instauration du prélèvement, mais il reste improbable que le pays exporte les 38 millions de tonnes prévues par les analystes en 2020/2021.»
Cet épisode a eu pour impact d’augmenter les prix sur le CBoT de près de 75 %, rien que pour le mois de juillet, et les prix mondiaux de la céréale ont doublé sur l’ensemble de l’année. L’imposition de taxes à l’export d’ici le 1er mars prochain devrait notamment réduire ses volumes exportés. « Les exportateurs russes essaient d’accroitre leurs livraisons avant l’instauration du prélèvement, mais il reste improbable que le pays exporte les 38 millions de tonnes prévues par les analystes en 2020/2021 et il reste même peu certain qu’il parvienne à franchir le cap des 34 millions de tonnes comme durant les années précédentes », confie à l’Agence Ecofin, Stefan Vogel, analyste du marché céréalier à la Rabobank.
Il faut d’abord noter que la décision de la Russie intervient dans un contexte de hausse en décembre dernier, de l’indice FAO des prix des produits alimentaires pour le 7e mois consécutif. Elle survient en outre alors que la pandémie de coronavirus continue d’alimenter les incertitudes sur les marchés. Toutefois, l’impact de cette décision sur le marché mondial du blé ne devrait être que limité.
Par ailleurs, l’ampleur des stocks mondiaux disponibles devrait dissiper les craintes sur les marchés.
Selon les dernières données du Conseil international des céréales (IGC) datant du 14 janvier dernier, le commerce mondial (exportations) de blé devrait atteindre 187 millions de tonnes en 2020/2021 soit 3 millions de tonnes de plus qu’en 2019/2020. Par ailleurs, l’ampleur des stocks mondiaux disponibles devrait dissiper les craintes sur les marchés. Les stocks en fin de campagne sont prévus pour atteindre leur plus haut niveau depuis trois ans à plus de 290 millions de tonnes.
En Afrique, le principal marché pour le blé russe reste l’Egypte. Le pays des pharaons a profité pendant ces 5 dernières années, du blé russe bon marché dont le rapport qualité-prix était meilleur comparativement à la céréale acheminée depuis la France ou autres fournisseurs de la mer Noire.
La Russie fournit l’essentiel du blé consommé en Egypte.
Selon les données de l’USDA, la Russie a exporté de 2014/2015 à 2018/2019, un total d’environ 32,4 millions de tonnes de blé vers l’Egypte. Ce volume représente l’équivalent de 40 % de la consommation totale du pays sur ladite période et dépasse le stock envoyé par tous les autres fournisseurs réunis comme l’Ukraine, la France, la Roumanie, les USA et l’Australie.
S’il est encore trop tôt pour prévoir l’impact de cette décision sur l’approvisionnement de l’Egypte, il est déjà clair que l’Egypte connaîtra une réduction de ses volumes livrés en 2020/2021 avec un blé russe plus cher.
Selon Bloomberg, la GASC (autorité égyptienne en charge de l’approvisionnement en céréales) a annulé il y a une semaine un appel d’offres en raison des prix élevés proposés et du peu de participants. Si cet évènement est assez rare pour être souligné, l’heure n’est pas non plus à la panique. Déjà à court terme, il n’y a pas d’inquiétudes sur la situation alimentaire de l’Egypte, plus gros importateur de blé du monde. Et pour cause, les stocks en blé du pays sont actuellement confortables et peuvent tenir selon les autorités pendant les 5 prochains mois. Ce temps peut ainsi permettre aux autorités d’explorer d’autres pistes pour un approvisionnement bon marché. Dans cette logique, plusieurs possibilités s’offrent au pays.
D’après Stefan Vogel, la décision ouvre d’abord une fenêtre d’opportunité à l’Australie et aux USA qui pourraient émerger comme des fournisseurs potentiels vers l’Egypte. En effet, le premier pays a récolté 30 millions de tonnes de blé en 2020/2021, un niveau proche du record de 2016/2017 et disposera de stocks exportables abondants relativement moins chers comparativement à la Russie. De leur côté, les USA exportateur traditionnel vers l’Egypte devraient augmenter leurs livraisons durant la saison. En dehors de ces deux pays, l’Egypte pourrait aussi compter dans une moindre mesure sur l’Union européenne, l’Argentine ou encore l’Ukraine, même si les volumes disponibles à l’export sont plus limités en raison de mauvaises récoltes. Ces trois fournisseurs devraient ainsi tous voir leurs exportations décliner en 2020/2021 selon l’USDA. D’après M. Vogel, les volumes de l’UE seront notamment réduits jusqu’à la récolte de juillet prochain.
Espoir Olodo
Meknès, Maroc.