(Agence Ecofin) - Autrefois pourvoyeur marginal de recettes aux entreprises pétrolières, l’industrie pétrochimique s’est imposée depuis quelques mois comme le plus important générateur de devises pour certaines majors. Les besoins sont sans cesse grandissants sur un marché solide avec de bonnes perspectives, tout le contraire des systèmes traditionnels du secteur.
Une demande robuste
Avant la crise de 2014, lorsque les prix du baril de pétrole frôlaient les 100 dollars, l’industrie faisait suffisamment de profits pour considérer ses revenus pétrochimiques comme marginaux. Depuis, les choses ont bien changé. Les prix du pétrole ont faibli et la demande en produits pétroliers n’est plus aussi forte. Par contre, celle pour les produits pétrochimiques augmente à mesure que l’économie se redresse, et elle n’a jamais été aussi forte à l’échelle globale. Actuellement, elle est amplifiée à cause des campagnes mondiales de vaccination et des plans de relance économique qui stimulent le moral des consommateurs.
Le PVC a atteint un niveau record de 1625 dollars par tonne.
Un paradoxe particulier illustre bien la situation. En Inde, la demande de pétrole devrait reculer de plus de 600 000 barils par jour au second semestre, à cause d’une recrudescence des contaminations au coronavirus. Cependant, la demande en polymères et en polyesters est particulièrement forte, ce depuis plusieurs mois. C’est actuellement l’une des plus fortes au monde.
En Inde, la demande de pétrole devrait reculer de plus de 600 000 barils par jour au second semestre, à cause d’une recrudescence des contaminations au coronavirus. Cependant, la demande en polymères et en polyesters est particulièrement forte, ce depuis plusieurs mois.
Cette demande provient notamment du secteur médical qui tourne à plein régime, de l’alimentation, de l’emballage, du textile, de la construction, des équipements de protection, etc. L'AIE a récemment indiqué que les produits pétrochimiques deviendront un jour la principale source de demande de pétrole, dépassant même les transports.
IEA recently reported that it will be those very same petrochemicals that will someday become the largest source of new oil demand, even surpassing transport in the years ahead:
— Joe (@ANHEDONISM) May 11, 2021
Il faut souligner que si le pétrole est le produit le plus utilisé par l’industrie pétrochimique, cette dernière se tourne de plus en plus vers le gaz liquide qui est meilleur marché. Ceci explique aussi la faible demande pour le pétrole.
Une offre limitée
Si la demande pétrochimique est aussi forte, on ne peut pas dire que l’offre est au rendez-vous, ce qui fait particulièrement gonfler les prix. Une bonne nouvelle pour les producteurs qui se frottent les mains et une mauvaise nouvelle pour les consommateurs.
Le polyéthylène téréphtalate (PET) atteint 1250 euros la tonne.
La semaine dernière, le prix du polyéthylène téréphtalate (PET) a atteint son plus haut niveau depuis dix ans dans le nord-ouest de l'Europe, à savoir 1250 € la tonne selon S&P Global Platts. Selon ICIS, un fournisseur de données et d'analyses, le prix de l'éthylène (composante chimique de base des plastiques et des solvants) a atteint son plus haut niveau en sept ans, se plaçant à 59,5 cents de dollars la livre en mars. Le PVC a atteint un niveau record de 1625 dollars par tonne. Le prix du monomère de styrène, utilisé dans les appareils médicaux et le latex a dépassé 1000 dollars la tonne au premier trimestre 2021. Le prix moyen de ce produit était d'environ 700 dollars la tonne en 2020.
Actuellement, l’industrie se remet à peine de plusieurs mois de perturbations de l'approvisionnement, notamment aux États-Unis. Il faut rappeler que le pays est l’un des plus gros producteurs de produits pétrochimiques, notamment grâce au gaz liquide obtenu avec le boom du schiste.
L’année dernière, les ouragans qui se sont succédé sur la côte américaine du Golfe du Mexique ont été suivis d'un temps exceptionnellement froid en février, qui a mis hors service une grande partie du réseau électrique texan. Cela a contraint les grandes usines pétrochimiques à fermer leurs portes. Aujourd’hui, nombre d'entre elles ne fonctionnent toujours pas à plein régime.
« Le grand gel a envoyé une onde de choc sur les marchés pétrochimiques mondiaux. Bien que la quasi-totalité des usines qui avaient été mises hors service par les intempéries ont repris, les stocks de nombreux produits chimiques sont encore faibles, ce qui maintient les prix élevés. » a déclaré le consultant autrichien JBC Energy.
Des recettes record
Pour des majors comme Shell et Exxon Mobil qui ont une importante activité pétrochimique, l’embellie du segment est une bonne nouvelle côté finances. Les bénéfices de leurs unités pétrochimiques ont atteint des sommets et ont fait mieux que tous les autres segments de la chaine de valeurs. En avril dernier, l'unité pétrochimique d'Exxon Mobil a annoncé des bénéfices de 1,4 milliard de dollars au premier trimestre. C’est plus que n’importe quel trimestre depuis 2014.
En Chine, PetroChina a annoncé son plus gros bénéfice trimestriel depuis sept ans, porté par la pétrochimie. À Taïwan, les ventes affichées en avril par les 4 principales filiales du conglomérat Formosa Plastics Group (FPG) ont augmenté de plus de 80% par rapport à l'année précédente.
Petrochemicals titan Sinopec has posted net profits of $2.8 billion in the first quarter, joining a growing list of Chinese state-owned firms bouncing back big from the economic shock of the Covid-19 pandemic. https://t.co/TFesNYMVWP
— Caixin Global (@caixin) April 29, 2021
Neuf entreprises pétrochimiques d'Arabie saoudite sont passées de pertes à bénéfices entre le quatrième trimestre 2020 et le premier trimestre 2021, grâce à l'amélioration des conditions du marché pétrochimique.
Parmi les autres gagnants de ce boom figurent le brésilien Braskem, le thaïlandais Indorama Ventures, Celanese Corporation, Dow et LyondellBasell Industries aux États-Unis, ainsi que Saudi Basic Industries, indique Jason Miner, analyste des produits chimiques chez Bloomberg Intelligence.
De belles perspectives
Aujourd’hui, tous les analystes et experts du secteur s’accordent à dire que les perspectives pour la pétrochimie sont reluisantes. Aux États-Unis par exemple, on estime qu’afin de fabriquer suffisamment de produits chimiques pour satisfaire la demande et commencer à reconstituer leurs stocks, les producteurs ont besoin de quatre mois au moins sans aucune perturbation.
En l’état, toute la production est immédiatement écoulée. Les producteurs Dow et LyondellBasell ont ainsi déclaré qu'ils commercialisent tout ce qu'ils produisent et qu’ils ne pensent pas pouvoir reconstituer leurs stocks avant le 3e ou le 4e trimestre de l’année.
« L'équilibre serré entre l'offre et la demande pour de nombreux produits chimiques semble devoir se poursuivre au deuxième trimestre. », a déclaré Darren Woods, PDG d'Exxon Mobil, lors d'une conférence avec les analystes.
« L'équilibre serré entre l'offre et la demande pour de nombreux produits chimiques semble devoir se poursuivre au deuxième trimestre. », a déclaré Darren Woods, PDG d'Exxon Mobil, lors d'une conférence avec les analystes.
Au pays de l’oncle Sam, on craint d’ailleurs que l’offre ne soit pas à la hauteur de la demande dans les prochains mois, certains producteurs ayant du mal à se remettre des conditions climatiques difficiles du début de l'année, alors que la saison des ouragans approche. Pour la société d’analyses FGE, la seule résurgence des cas de contamination au coronavirus est un argument marketing de taille pour l’industrie pétrochimique, car il est peu probable que la demande d'équipements médicaux et de protection s'estompe bientôt.
Le monomère de styrène a dépassé 1000 dollars la tonne.
D’après Business Day, la demande ne devrait pas ralentir de sitôt, car les équipements médicaux continuent d'être vitaux pour l'usage public et privé, ce qui signifie que les entreprises pétrochimiques devraient réaliser de nombreux profits à l'avenir. En outre, en Irak, le ministère du Pétrole s’est engagé à développer un vaste complexe pétrochimique d'une valeur de 8 milliards de dollars, qui produira 1,8 million de tonnes métriques de divers produits pétrochimiques par an. En Afrique, l’Egypte, l’Algérie et le Nigéria s’apprêtent eux aussi à lancer des unités de production d’ici les cinq prochaines années.
En Afrique, l’Egypte, l’Algérie et le Nigéria s’apprêtent eux aussi à lancer des unités de production d’ici les cinq prochaines années.
L’APICORP (Banque multilatérale de développement de l’Organisation des pays arabes exportateurs de pétrole) a récemment déclaré que la pétrochimie et l’électricité seront plus attractives pour les investisseurs sur les cinq prochaines années, dans l’espace MENA. Ainsi, les projets pétrochimiques devraient totaliser 121 milliards de dollars sur la période, contre 115 milliards de dollars sur les 5 dernières années.
Olivier de Souza