(Agence Ecofin) - Afin de permettre aux producteurs de recevoir une part équitable de la manne que génère le marché mondial du cacao, le Ghana et la Côte d’Ivoire ont annoncé récemment la fixation d’un prix plancher de 2 600 $ la tonne et suspendu leur vente de cacao pour la saison 2020/2021.
Dernier acte en date de la collaboration entre les deux pays voisins, cette manœuvre n’est pas sans risques pour les deux pays et plus largement pour le marché global du cacao. Analyse des enjeux de cette initiative avec Casper Burgering (photo), responsable des métaux industriels et des matières premières agricoles chez la banque néerlandaise ABN Amro.
Agence Ecofin : En tant que spécialiste, que pensez-vous des annonces du Ghana et de la Côte d’Ivoire ?
Casper Burgering : La Côte d’Ivoire a une part de marché de 42% alors que le Ghana détient 17% de la production mondiale. Ensemble, ces deux pays fournissent près de 60% de la récolte mondiale de fèves. Cela leur donne un pouvoir de marché important contre les puissants acheteurs.
Le prix minimum est un effort mené par les deux pays pour obtenir un prix équitable pour les producteurs. Il s’agit d’un moyen pour améliorer leurs revenus. Je pense qu’en agissant de la sorte, le Ghana et la Côte d’Ivoire pourront protéger le secteur du cacao dans le futur. Il s’agit d’une bonne nouvelle pour les producteurs ivoiriens et ghanéens dans une certaine mesure, mais les effets sur le long terme peuvent déstabiliser le marché du cacao.
AE : Cette initiative des deux pays a-t-elle des chances d’aboutir ? Les acheteurs internationaux suivront-ils ?
CB : Déjà, plusieurs transformateurs, négociants et fabricants internationaux sont convaincus et comprennent le principe d’un prix plancher. Le fait que le Ghana et la Côte d’Ivoire fournissent 60% de la récolte mondiale, rend légitime leur demande d’un prix élevé et équitable sur le marché. La question est de savoir ce que les autres pays producteurs qui disposent de 40% du marché comme le Brésil, le Nigeria et l’Indonésie, vont faire.
La volonté des grands acheteurs est aussi forte du point de vue de la durabilité. Plusieurs fabricants ont envie d’améliorer la transparence en augmentant la traçabilité de la chaîne d’approvisionnement. De plus, le renforcement des capacités des producteurs joue un rôle important dans l’amélioration de l’industrie. C’est une manière pour les fabricants de montrer qu’ils prennent les questions de durabilité au sérieux. Dans tous les cas, la discussion prévue le 3 juillet prochain, sera intéressante, et révélera quel acteur est le plus puissant sur le marché du cacao.
AE : Quelles peuvent être les conséquences de cette mesure à court et à long terme?
CB : Sur le court terme, les revenus des producteurs seront garantis dans une certaine mesure. Un prix minimum de 2600 $ est certainement un puissant incitatif pour que de nombreux producteurs augmentent leur production durant les prochaines campagnes. Quel exploitant ne veut pas bénéficier de prix élevés ? A long terme, les chances de surproduction sont fortes et la compétition pourrait être exacerbée.
La croissance de la demande ne suivra pas le rythme. Il y a de bonne chance que le marché connaisse structurellement un trop plein. Cela augmente les chances de dumping. Par ailleurs, si les autres pays producteurs n’adhèrent pas à cette initiative, ils peuvent vendre le cacao en dessous de 2 600 $ la tonne et gagner des parts de marché au détriment du Ghana et de la Côte d’Ivoire.
AE : Comment le Ghana et la Côte d’Ivoire pourraient-ils améliorer les chances de réussite de cette stratégie ?
CB : Afin de rendre cette initiative viable à long terme, cela aiderait énormément si les autres pays y participaient également. En outre, il faudrait avoir un soutien le long de la chaîne du cacao afin d’améliorer la transparence et la traçabilité sur le marché. Cela permettrait aussi de bannir les opérations illégales de vente de cacao.
Propos recueillis par Espoir Olodo
Meknès, Maroc.