(Agence Ecofin) - Dans la filière cacao ivoirienne, la réussite d’un système de traçabilité dans la filière cacao dépendra de l’étroite collaboration entre le Conseil du Café-Cacao (CCC), les entreprises transnationales engagées dans l’exportation de la fève ainsi que des coopératives.
C’est ce qu’a confié à l’Agence Ecofin, Cécile Renier, coauteure de l’étude « Transparency, traceability and deforestation in the Ivorian cocoa supply chain » publiée le 31 janvier dernier dans la revue scientifique Environmental Research Letters.
Dans l’industrie cacaoyère, la pression s’est intensifiée depuis quelques années pour une réduction de l’empreinte sur les surfaces forestières et plus récemment le 6 décembre dernier, l’Union européenne (UE) a adopté un accord entre ses États membres pour interdire l’accès au marché commun aux produits agricoles issus de la déforestation, dont le cacao.
Face à cette dernière évolution réglementaire, la chercheure de l’Université de Louvain (Belgique) estime que la bonne volonté affichée par les entreprises et se manifestant par des programmes à l’échelle de chaque acteur ne suffira pas à stopper la déforestation.
« La traçabilité, si elle est effectuée par les entreprises elles-mêmes, indépendamment les unes des autres, laisse trop de possibilités de contourner le système. Le cacao qu’il vienne d’une aire protégée ou d’ailleurs a la même couleur : c’est difficile de réellement contrôler sa provenance. C’est comme si chaque entreprise regardait dans une longue-vue, avec une bonne visibilité de sa propre filière, mais sans prendre du recul et avoir une vue d’ensemble, on ne peut pas se rendre compte que peut-être que l’entreprise d’à côté regarde aussi le même point avec sa propre longue vue. On peut avoir des chevauchements entre les entreprises, et personne ne peut s’en rendre compte à moins d’agréger les données », explique-t-elle.
Et d’ajouter : « Si le système de traçabilité ne couvre pas toute la filière, au niveau national, ça laisse des brèches dans le système qui ne sont pas suivies et par lesquelles le cacao associé à de la déforestation peut s’infiltrer dans le marché ».
Alors que le système de traçabilité à travers la distribution de cartes électroniques aux producteurs lancée par le régulateur fait naître beaucoup d’attentes, car offrant la possibilité d’avoir une meilleure vue d’ensemble, Mme Renier estime que cela risque de mettre beaucoup de pression sur les coopératives.
En effet, celles-ci jouent un rôle crucial dans l’agglomération des stocks de cacao auprès de leurs membres à destination des multinationales et par conséquent sont au cœur de la fiabilité de la traçabilité du cacao.
« Les liens entre coopératives et planteurs sont assez fluides, avec des planteurs qui vendent à plusieurs acheteurs pour faire face aux retards de paiements, et des coopératives qui peuvent acheter à des non-membres pour pouvoir atteindre leurs objectifs de volumes pour leurs clients. C’est aussi difficile de s’assurer que les sacs qui sont vendus par un planteur proviennent bien de son champ, parce que c’est difficile de savoir exactement combien une parcelle peut produire », détaille la chercheure.
Dans un tel contexte, Mme Renier estime que les autorités ainsi que les multinationales devraient accompagner les coopératives.
« L’État et les exportateurs doivent soutenir la structuration de ces coopératives, et ne doivent en tout cas pas leur laisser la charge de mettre en place le système de traçabilité. Il faut mettre en place dès à présent des procédures qui permettront de les soutenir. Plus globalement, la mise en place par la Côte d’Ivoire d’un système national de traçabilité est une bonne nouvelle, mais il faut d’une part que ce système soit transparent et vérifiable par des acteurs externes, et d’autre part, il faut que d’autres mesures soient mises en place ou renforcées pour assurer la préservation des dernières forêts du pays. Le gouvernement doit s’assurer de la mise en place effective des politiques d’usage des terres, et que les entreprises soutiennent des projets à l’échelle de territoires entiers plutôt que de se focaliser sur leur filière », recommande-t-elle.
Pour rappel, selon l’étude de l’UCLouvain, 2,4 millions d’hectares de forêts ont été défrichés et dégradés pour l’installation des plantations de cacao entre 2000 et 2019, ce qui représente chaque année, la perte de 125 000 hectares de terres boisées.
Espoir Olodo
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UMA Fairs Ground, Kampala, Ouganda.