Algérie: le patient hollandais

(Ecofin Hebdo) - En Afrique, Algérie rime avec pétro-Etat. Premier producteur de gaz et 3ème producteur de pétrole du continent, le pays s’est bâti sur la manne pétrolière. Avec la crise qu’a connue le secteur pétrolier, depuis 2014, réapparaissent les symptômes d’une maladie dont souffrent nombre de pays basant leur économie sur une ressource naturelle: la maladie hollandaise. Face à une chute drastique de ses ressources monétaires, l’Algérie est désormais sur le point de s’engager sur un chemin risqué: celui du financement non conventionnel (entendez, faire tourner la planche à billets). Comment le pays en est-il arrivé là et quels sont les dangers liés à cette option dans laquelle beaucoup voient un saut de l’ange?

 

D’une genèse au futur prémonitoire

A l’indépendance de l’Algérie, les bonnes fées qui s’étaient penchées sur le berceau du pays lui avait conféré tous les atouts pour s’imposer dans le concert des nations. Les revenus pétroliers devaient permettre au pays de prendre le train de la prospérité et, de fait, il s’est lancé dans de grands projets visant à assurer sa modernisation.

Mais, en raison de sa défaillance structurelle, liée à une trop grande dépendance aux hydrocarbures, le pays vit mal le choc pétrolier de 1986 qui porte un coup d’arrêt à sa trajectoire rectiligne. En effet, la chute brutale de plus de 40% des cours du brut, entre 1985 et 87,  dévoile au grand jour, la dépendance et la fragilité d'un système construit sur la seule performance du secteur des hydrocarbures ainsi que l’incapacité du pays à mettre en place une industrialisation compétitive au niveau international.

En effet, la chute brutale de plus de 40% des cours du brut entre 1985 et 87,  dévoile au grand jour, la dépendance et la fragilité d'un système construit sur la seule performance du secteur des hydrocarbures.

En 1988, l’Algérie se voit contrainte de réaliser des emprunts auprès des institutions internationales et respecter leurs exigences. S’en suit un programme d’ajustement structurel (PAS) dont le pays traine encore les séquelles. En 1993, le service de la dette extérieure atteint le taux record de 86% des exportations et l’année suivante marque  la dévaluation du dinar algérien qui a réduit considérablement le pouvoir d’achat de la classe moyenne.

Face à la crise, le pays table sur des mesures visant à lui assurer la diversification de son économie et la réduction de sa trop grande dépendance. Mais, le salut pour Alger viendra de la remontée des cours de l’or noir au début des années 2000. Dans ce contexte, le renforcement des mesures visant à encourager et soutenir les exportations hors hydrocarbures, dans un souci d’équilibre de la dépense publique, devient superflu. La rente pétrolière permet de faire passer l’essentiel des indicateurs macro-économiques au vert,  masquant de fait une véritable léthargie industrielle.

Mais le calme ne dure qu’un moment et dès 2014, revient la tourmente. Les cours du pétrole dévissent et bientôt se profile le spectre des années 1985-1987.

Mais le calme ne dure qu’un moment et dès 2014, revient la tourmente. Les cours du pétrole dévissent et bientôt se profile le spectre des années 1985-1987. En 2015, le pays  doit redresser sa balance commerciale confrontée à une forte chute de revenus pétroliers (–43,71 %). Mais il dispose d’une marge de manœuvre assez limitée à court terme. La Balance des paiements se détériore et les réserves de change commencent  à s’étioler. La dégringolade continue fin 2016 et, en 2017, les avoirs en devises et en or passent sous la barre des 100 milliards $, une baisse de moitié par rapport à 2012, avec des perspectives négatives pour les 3 prochaines années.

Selon les analystes, les réserves de change devraient continuer à fondre et plus rapidement que prévu, entamant la position extérieure commerciale du pays qui, durant les 9 premiers mois de cette année, a mobilisé 95% de ses recettes d’exportations à partir des hydrocarbures. En 2017, les déséquilibres qui affectent le budget de l’Etat prennent une dimension réellement inquiétante. L’Algérie vit une crise chronique qui s’installe lentement. Il faut agir, mais que faire?

 

Le rejet des institutions de Bretton Woods

Face à la crise, le pays pourrait recourir aux institutions de Bretton Woods. Néanmoins, au vu de l’amertume de son expérience précédente,  l’Algerie exclut le recours à la dette extérieure, essentiellement pour éviter les très désagréables immixtions du FMI. Le pays traîne encore le traumatisme du Programme d’Ajustement Structurel exécuté par  Ahmed Ouyahia, alors (déjà) Premier ministre du président Liamine Zeroual.

Le pays traîne encore la traumatisme du Programme d’Ajustement Structurel exécuté par Ahmed Ouyahia, alors Premier ministre du président Liamine Zeroual.

Tellement marquée par cette expérience, l’Algérie a anticipé sur le remboursement de sa dette extérieure au milieu des années 2000.

Selon la CIA World Factbook, la dette extérieure passe très rapidement de 30 milliards $ en 2000 à 4 milliards en 2011. Le ratio d’endettement extérieur du pays est l’un des plus faibles de la planète et ne représente que 2% du PIB en 2016, selon les données de la BAD. Le service de la dette extérieure ne pesant que 0,2% des exportations, bien que la dette intérieure ait augmenté durant toute cette période. Il est clair que le tandem Bouteflika-Ouyahia ne veut rendre compte de sa gestion du pays et encore moins à une institution extérieure. Aussi, fera-t-il l’autre option, celle du recours à la planche à billets.

 

Planche à billets et saut de l’ange

L’Algérie veut faire financer ses déficits publics par sa Banque centrale. Pour y parvenir, le pays adopte un projet de loi portant amendement de la loi sur la Monnaie et le crédit, introduisant le recours au « financement non conventionnel ». Selon les nouvelles modalités de ce texte, la Banque d’Algérie pourra prêter directement au Trésor public « afin de permettre à ce dernier de financer les déficits du budget de l’Etat, de financer la dette publique interne et d’allouer des ressources au Fonds national de l’investissement ». Si les experts s’accordent, dans leur grande majorité, à reconnaître la dangerosité de  cette manœuvre, Alger semble bien convaincu de jouer la dernière carte d’un jeu aux conséquences hypothétiques.

Dans un discours fleuve devant le Senat, le Premier ministre algérien, Ahmed Ouyahia, dresse un tableau quasi-apocalyptique de l’économie et justifie le recours au financement non conventionnel, convaincu de son efficacité.

Dans un discours fleuve devant le Sénat, le Premier ministre algérien, Ahmed Ouyahia, dresse un tableau quasi apocalyptique de l’économie et justifie le recours au financement non conventionnel, convaincu de son efficacité. « Sans intervention de la Banque centrale, d’ici le mois de novembre, l’Etat ne pourra plus payer les salaires », déclare le premier ministre avant d’ajouter: « Il faut être franc en disant que, d’ici novembre, sans financement non conventionnel, toute l’économie algérienne s’arrêtera brutalement ». Pour beaucoup d’analystes,  la réponse de court terme de l’exécutif souligne l’incapacité de l’Etat à payer le salaire des fonctionnaires, à assurer dans l’immédiat la bonne marche de la commande publique et garantir des perspectives de croissance pour l’ensemble de l’économie algérienne, au cours des prochaines années.

 

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Ahmed Ouyahia : « Sans intervention de la Banque centrale d’ici le mois de novembre, l’État ne pourra plus payer les salaires »

 

Quels sont les risques ?

Si le recours à la planche à billets effraie, c’est parce que des Etats souverains, amis et alliés de l’Algérie qui y avaient recouru, font encore les frais d’une telle politique. Les conséquences ont été désastreuses pour le Zimbabwe. Le Venezuela continue d’être frappé de plein fouet par les affres de l’hyperinflation. L’Etat au bord du précipice, la faillite s’annonce.

Les conséquences ont été désastreuses pour le Zimbabwe. Le Venezuela continue d’être frappé de plein fouet par les affres de l’hyperinflation.

La vraie question aujourd’hui est de savoir si l’Algérie, fortement dépendante des hydrocarbures, pourra échapper au risque de crash inhérent à cette réforme. En outre, elle est vue comme une dilution de responsabilité de la part de l’exécutif et qui aura pour effet de faire subir à toute l’économie les conséquences de son incapacité à la diversifier.

Selon les spécialistes de la question financière et monétaire,  recourir à la planche à billets, soit créer de la monnaie de façon artificielle sans contrepartie économique réelle, pourrait entraîner le pays dans une spirale dangereuse qui aura tout d’abord pour effet l'explosion des prix, puis une incontrôlable dépréciation du dinar et une inflation galopante.  Tant que le redressement des prix du brut se fera attendre, le recours à cette politique de fuite en avant prendra à coup sûr une ampleur immodérée. L’Etat devra faire tourner plus souvent la planche à billets pour financer ses dépenses, augmentant la masse monétaire. La situation pourrait fortement  se dégrader,  d’autant plus que la nouvelle réforme ne fixe plus aucune limite légale au financement des besoins du Trésor par la Banque centrale.

Certaines sources tablent sur des injections moyennes de l’ordre de plus de 15 milliards de dinars par an. Le problème que pose un tel laxisme monétaire et budgétaire est que, le mécanisme étant sans contrepartie économique réelle, ne contribuera qu’à  gonfler artificiellement la masse monétaire. Cette dernière aura peu d’efficacité sur le Produit intérieur brut et alimentera la pression inflationniste qui commence déjà à être visible dans le pays. Le drame est que l’inflation, également artificielle, impactera réellement les populations pauvres et les épargnants. En outre, cette solution augmentera le risque de surendettement  public et privé. L’augmentation de la masse monétaire dans ce contexte ne profitera qu’aux oligarques, aux grandes entreprises et, dans une certaine mesure, au système bancaire.

 

Tollé et soutiens

Les déclarations de M. Ouyahia déclenchent un tollé général et une vague de réactions au sein de l’opinion publique. Néanmoins, quelques soutiens de poids se révèlent également. Selon le magazine français Le Point qui cite des sources algéroises, la nouvelle orientation du gouvernement est inspirée de trois économistes de haut rang. Raouf Boucekkine, professeur d'économie à Aix-Marseille (School of Economics) et directeur général de l'Institut d'études avancées d'Aix-Marseille, Elies Chitour, consultant installé à Dubaï, et Nour Meddahi, professeur d'économie à la Toulouse School of Economics, un autre auteur d'un document de référence : « L'emprunt national est une urgence économique ». Nour Meddahi, recommande à Alger de manœuvrer un ensemble de leviers de façon modérée en étroite collaboration avec la Banque d’Algérie, pour contrer la crise : « Maintien de la trajectoire budgétaire, baisse du dinar, création monétaire par la Banque d'Algérie et réformes structurelles, à commencer par l'augmentation des prix de l'énergie ».

De leur côté, les chefs d’entreprises apportent leur soutien à l’option de l’exécutif. « Nous appuyons la décision du Conseil des ministres de réviser la loi sur la monnaie et le crédit et le recours au financement interne non conventionnel », affirme Ali Haddad, président du Forum des chefs d'entreprises (FCE).

Il faut néanmoins noter que cette position n’est pas partagée par le Cercle d’Action et de Réflexion autour de l’Entreprise (CARE) qui critique vivement les choix du gouvernement algérien et estime qu’il se dirige vers le gouffre car incapable de tenir l’engagement de rationaliser la dépense publique. «Ce qui est plus surprenant encore, c’est que non seulement les choix qu’il (gouvernement) vient d’opérer dans le Projet de Loi des Finances 2018 confirment ce constat, mais il va encore plus loin dans la mesure où, dans une conjoncture financière aussi dégradée, le budget global augmente de plus de 26%, le budget d’équipement enregistrant pour sa part une croissance supérieure à 76% »

 

Des initiatives qui auraient pu mitiger les effets de la crise

Le Fonds de régulation des recettes, créé en 2000, visait normalement à garantir les besoins des générations futures. Mais depuis 2006, il s’est détourné de cette mission et n’a consacré ses ressources qu’au financement du déficit du Trésor public. Il a vu ses ressources s’épuiser en février dernier. Le CARE juge la gestion qui en a été faite, «inapproprié».

Quant au Fonds souverain algérien, c’est l’histoire d’un rendez-vous manqué. Durant les périodes de vaches grasses, plusieurs voix ont appelé à la création d’un fonds souverain. Mais sa naissance sera avortée par «le manque d’expertise et les risques de mauvais placement» sur lesquels se cristallisent les débats. L’exemple de la Libye a longtemps servi de repoussoir, brandi à l’encontre de ceux qui étaient en faveur de la création de ce fonds. Mais reconnaître, après toutes ces décennies de recettes pétrolières abondantes, que l’Algérie ne dispose toujours pas des compétences nécessaires pour mettre en œuvre un gestionnaire d’actifs compétent, sonne comme un aveu.

 

Fiacre E. Kakpo

 

NB : La maladie hollandaise (ou mal hollandais ou encore malédiction des matières premières) est un phénomène économique qui relie l'exploitation de ressources naturelles au déclin de l'industrie manufacturière locale. Ce phénomène est suscité par l'accroissement des recettes d'exportations, qui à son tour provoque l'appréciation de la devise. Le résultat est que dans les autres secteurs, les exportations deviennent moins favorables que les importations. Inspiré du cas des Pays-Bas des années 1960, le terme maladie hollandaise est utilisé par extension pour désigner les conséquences nuisibles provoquées par une augmentation importante des exportations de ressources naturelles par un pays (Wikipedia)

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