(Agence Ecofin) - Après un brillant parcours en France qui la conduira à la vice-présidence de Duff & Phelps, Carole Ramella a décidé en 2011 de s’installer au Ghana où elle a lancé GFA Consulting, une société de conseil financier qui accompagne les fonds de private equity dans leurs opérations en Afrique. L’Agence Ecofin a sollicité son regard de professionnelle sur cette multitude d’investisseurs directs s’intéressent au continent, beaucoup pour la première fois.
Agence Ecofin : L’industrie du private equity justifiait, pour l’essentiel, sa retenue à l’égard de l’Afrique par le manque d’options de sorties. Existe-t-il aujourd’hui davantage de possibilités de sortie ?
Carole Ramella : Les options de sorties ne sont pas multiples car elles consistent pour l'essentiel en la vente ou en la cession de capital à des investisseurs ou à des sociétés qui souhaitent s’implanter ou se développer en Afrique. En revanche nous assisterons de plus en plus à des sorties par le secondaire (vente par de « petits » fonds à des fonds de taille plus importante), et nous verrons également de plus en plus de sociétés africaines ou étrangères rechercher des opportunités d’acquisition compte tenu des taux de croissance économiques relativement élevés observés dans la plupart des pays africains, allant de pair avec la croissance de la classe moyenne dont le pouvoir d'achat augmente de manière significative, et dont les experts estiment le nombre à environ 300 millions de personnes à l'horizon 2020. Par ailleurs, des initiatives telles que le lancement de bourses pour les PME, sur le modèle du Ghana Alternative Market (GAX) lancé en 2013, permettront à de plus en plus de fonds de sortir via les marchés financiers.
Agence Ecofin : Les capital-risqueurs regrettaient également le déficit de compétences sur place pour assurer un suivi rigoureux des investissements. Le problème est-il également résolu ?
Carole Ramella : Beaucoup reste encore à faire pour que les compétences soient largement disponibles localement pour les équipes de gestion. Néanmoins, il faut reconnaître que de plus en plus de jeunes Africains sont bien formés, y compris les jeunes de la diaspora formés à l’étranger (notamment en Europe et aux Etats-Unis) dont beaucoup sont attirées par un retour en Afrique et surtout par un métier (le capital investissement) qui offre des opportunités professionnelles très intéressantes. C’est une opportunité pour les firmes de capital investissement, mais c’est également un challenge puisqu’il faut que ces personnes s’adaptent à un environnement qui reste spécifique et qui ne permet pas forcément la réplication de « recettes » venues d’ailleurs.
Agence Ecofin : De votre point de vue, le risque pour les investisseurs en Afrique a-t-il diminué ou bien est-ce la perception du risque qui a changé ?
Carole Ramella : Je pense que c’est une combinaison des deux. De manière générale la gouvernance des pays africains s'améliore, et de nombreux États affichent une volonté de développer le secteur privé. Dans le même temps, les perspectives de croissance soutenue dans de nombreux pays africains encouragent les investisseurs qui acceptent maintenant de s’adapter à l’environnement local et de développer des solutions locales, à l’instar de success stories de type Ecobank, MTN ou M-Pesa. De plus, on observe un décloisonnement entre les régions africaines, avec les pays du Maghreb (notamment le Maroc) ou l’Afrique du Sud qui ont une stratégie de déploiement en Afrique de l’Ouest ou de l’Est.
Je dirais en revanche que la perception du risque reste négative pour certains secteurs (notamment l’industrie) compte tenu des forts déficits en infrastructure, mais surtout pour certains types de sociétés, notamment les PME qui, même lorsqu'elles acceptent d'adopter et mettre en œuvre les règles de bonne gouvernance, peinent toujours à attirer les investisseurs alors même qu’elles sont le vrai moteur de la croissance africaine.
Il est important de faire évoluer les mentalités sur l’investissement dans les PME pour pouvoir donner la possibilité à de belles entreprises d’avoir les moyens de financer leur croissance.
Agence Ecofin : Les plus grands fonds de pension internationaux ont récemment déclaré leur intention de doubler leurs investissements en Afrique. Les économies africaines ont-elles la capacité d’absorber de tels capitaux, sachant que bon nombre de pays africains ne parviennent toujours pas à consommer l’essentiel des financements publics qui leurs sont réservés pour des projets ?
Carole Ramella : Dans l’absolu, les pays africains peuvent absorber ces investissements : il existe énormément de besoins dans les infrastructures, dans l’agriculture ou dans la transformation industrielle des produits agricoles ou miniers. Le problème n’est pas tellement la capacité d'absorption des financements mais plutôt le mauvais ciblage et/ou la mauvaise gestion des fonds. Ceux-ci ne sont pas toujours alloués aux meilleurs projets ou aux projets les plus créateurs de richesse et d’emplois.
Mon inquiétude par rapport à la volonté des fonds de pension internationaux de doubler leurs investissements en Afrique a plutôt trait aux types de véhicules dans lesquels ces fonds de pension investiront leur argent. Je constate que les fonds de pension sont essentiellement attirés par les gros fonds d’investissement qui ont en gestion plusieurs centaines de millions de dollars et dont les niveaux d’investissement unitaire sont de l’ordre de plusieurs dizaines de millions de dollars. Je ne crois pas qu’il y ait assez de transactions en Afrique pour absorber de tels montants. Je pense que ces fonds de pension devraient plutôt allouer une partie de leurs investissements à des véhicules de plus petite taille (entre $50m et $200m) ciblant particulièrement les PME qui ont plus d’impact en termes de croissance et d’emploi tout en proposant des retours sur investissement tout à fait acceptables.
Agence Ecofin : Le fonds de private equity Citadel Capital a adopté une stratégie de prise de contrôle des entreprises de son portefeuille et de transformation en holding. Pensez-vous qu’il fera école ?
Carole Ramella : Je pense effectivement que c’est un modèle qui est bien adapté à l’Afrique en ce sens qu’il permet d’apporter une valeur ajoutée sur le long terme (grâce à la spécialisation par secteur et à l’absence de pression pour la sortie des investissements) tout en contribuant à faire émerger de vrais champions continentaux. A cet égard, il faudrait que les investisseurs africains soient plus étroitement associés à de telles initiatives. De ce point de vue, un modèle de holding d’investissement tel que développé par Citadel Capital est peut-être plus simple à appréhender pour des personnes physiques qui ne sont pas forcément familières du capital investissement classique, mais dont certaines ont une surface financière suffisante pour participer à des opérations d'investissement d'une certaine importance.
Agence Ecofin : On a vu l’an dernier Finagestion, qui contrôle la Sénégalaise des Eaux, en grande difficulté technique sur la gestion de l’eau à Dakar. Pensez-vous qu’un fonds d’investissement peut facilement se substituer à des spécialistes de métiers aussi complexes ?
Carole Ramella : Le problème n’est pas qu’un fonds d’investissement soit actionnaire majoritaire d’une société proposant des services publics, mais plutôt que chacun se concentre sur son métier. Le fonds est là pour assurer l’accompagnement stratégique et financier, mais la gestion au quotidien doit être assurée par des personnes expérimentées qui maîtrise le fonctionnement du secteur d'activité. Il ne faut pas oublier que l’entreprise et son activité doivent rester au cœur des préoccupations. De mon point de vue, le capital investissement n’est pas uniquement une opération financièrere, il s’agit d’un outil très efficace pour que les sociétés réalisent leur plein potentiel, grâce certes à un apport financier, mais surtout à un accompagnement stratégique, qui peut prendre plusieurs formes telles que, par exemple, l’accès à de nouveaux marchés ou à de nouveaux fournisseurs, la rationalisation des processus de production et de gestion, l'organisation du marketing, etc. Cela passe nécessairement par la recherche et le recrutement des meilleures compétences possibles pour l’entreprise.
Agence Ecofin : Qu’offre précisément votre société GFA Consulting aux fonds de private equity ?
Carole Ramella : GFA Consulting est une société de conseil financier qui peut accompagner les fonds de private equity à toutes les étapes de l’investissement. Au moment de l’acquisition, pour rechercher des cibles correspondant aux critères des fonds et procéder à des due diligences stratégiques et commerciales ; Pendant la durée d’investissement, pour assister les sociétés de portefeuille des fonds dans leurs problématiques stratégiques et financières : acquisitions, valorisation d’entreprises, études de marchés, développement d'outils d'analyse financière ou de suivi de la trésorerie, etc. Et également au moment de la sortie, pour travailler avec le fonds à l’identification d’acquéreurs potentiels.
Abidjan, Côte d'Ivoire. Une plateforme de mise en relation entre les entreprises allemandes et leurs homologues de l’Afrique francophone.