(Agence Ecofin) - Le gouvernement camerounais par le biais de la presse publique nationale prépare l’opinion à une augmentation des prix du carburant. Depuis plus d’une semaine, une campagne de communication est lancée pour montrer aux Camerounais les effets néfastes de la subvention de l’Etat aux produits pétroliers. La Crtv, le Poste national, Cameroon Tribune et certains médias privés sont mis à contribution. Des universitaires aussi. C’est le cas du Pr Tsafack Nanfosso, agrégé en économie, qui a récemment accordé une interview à Cameroon Tribune pour expliquer que 74% des subventions au super profitent aux riches et non aux couches défavorisées.
Cette campagne a précédé une annonce officielle du Premier ministre, Philemon Yang, faite hier, 24 juillet 2012. Il venait de tenir, sur «très hautes instructions du président de la République», une concertation avec des syndicats et associations des consommateurs. Dans le communiqué qui sanctionne cette rencontre, Philemon Yang relève le caractère inéluctable de l’augmentation des prix à la pompe.
«Le chef du gouvernement a fait part à ses interlocuteurs de l’inéluctabilité d’une réduction de cette subvention (au carburant, ndlr), avant de présenter le train de mesures d’accompagnement destinées à amortir l’impact d’une éventuelle diminution des crédits destinés au soutien des prix de certains produits pétroliers à la pompe», lit-on dans le communiqué du cabinet du Premier ministre.
Selon Philemon Yang, les propositions des partenaires sociaux sur lesdites mesures d’accompagnement seront prises en compte.
Subventions
D’après la Caisse de stabilisation des prix des hydrocarbures (Csph), de 2008 à 2011, l'Etat a dépensé près 700 milliards de FCfa dans le cadre de la subvention des produits pétroliers. «Cet argent pouvait permette de construire l'axe lourd Douala -Yaoundé ou être investi dans un secteur structurant», expliquait Boniface Zé, directeur technique de la Csph en décembre 2011.
Jean Tchoffo, le SG du ministère des Finances, qui présidait un atelier à ce sujet en juin dernier à Yaoundé, avait affirmé qu’en 2011 le budget de l’Etat avait supporté à hauteur de 321 milliards de FCfa les subventions au carburant. «Cette année 2012, compte tenu de la flambée des prix du pétrole sur le marché international, on pourrait dépenser 400 milliards de FCfa», estimait-il.
Pour lui, «400 milliards de FCFA, c’est quand même la moitié du budget d’investissement du Cameroun. Si vous continuer avec une telle politique vous allez forcément créer un effet d’éviction sur la réalisation des grands projets d’investissement». «La question aujourd’hui est de savoir ’’est-ce qu’on peut, à travers un meilleur ciblage des populations les plus nécessiteuses, maintenir ces subventions et progressivement relever les prix pour les consommateurs les plus nantis ? », affirmait-il.
Riches et pauvres
Récemment dans Cameroon Tribune, l’économiste Tsafack Nanfosso indiquait que l’objectif recherché des subventions était de résoudre un problème de vie chère surtout pour les populations pauvres et/ou défavorisées. «Or, note-t-il, il y a des études de plus en plus disponibles qui montrent que 70% des subventions au carburant Super étaient captées par les 40% des revenus les plus élevés, et que les 20% des revenus les plus faibles ne tiraient même pas 1% de ces montants. Les pauvres bénéficiaient de 13% des subventions sur le pétrole lampant, ce qui n’est guère brillant. Plus récemment, une étude dont on a beaucoup parlé a montré qu’on est maintenant à 74% des subventions captées par les riches sur le Super».
Le FMI et la Banque mondiale, de leur côté, incitent davantage l’Etat du Cameroun à supprimer les subventions au carburant. Ils ont d’ailleurs financé la réalisation d’une étude pour démontrer que la subvention actuelle profite aux riches.
Consommateurs
Côté consommateurs, la colère monte progressivement face à la campagne en cours. Selon Paul Gérémie Bikidik, président du Réseau associatif des consommateurs de l’Energie (Race) : «La Csph et le gouvernement sont engagés dans une insidieuse propagande destinée à préparer l’opinion publique à accepter le projet inique de suppression des subventions de l’Etat sur les produits pétroliers. Mettre pour cela les médias publics à contribution en ajoute au cynisme des autorités. Après son lamentable échec dans la lutte contre la vie chère, au lieu d’un nouveau bras de fer avec les consommateurs, le gouvernement devrait plutôt faire profil bas», affirme-t-il.
Pour le président du Race, l’inflation dans les marchés a atteint en ce moment des sommets. «Le moindre relèvement des tarifs du carburant entrainera automatiquement un renchérissement généralisé des prix des denrées et services de première nécessité. Vu le degré d’impopularité de cette mesure qui se profile, cette campagne de désinformation ne passera assurément pas. Quoiqu’il en soit, si cette décision venait à se confirmer, ce sera une véritable provocation à l’endroit des consommateurs. Nous allons énergiquement protester contre ce nouveau front et les pouvoirs publics seront seuls responsables des troubles sociaux qui en découleront», prévient-il.
Reste toutefois à connaître les mesures précises qui seront prises pour permettre aux moins favorisés de supporter cette augmentation.
Beaugas-Orain Djoyum