(Agence Ecofin) - Après l’Afrique du Sud, le Ghana, le Kenya, l’ICANN organise sa 42ème conférence en Afrique subsaharienne à Dakar (23-28 octobre 2011). Chargée, entre autres, d’allouer l’espace des adresses de protocole Internet (IP) et de gérer le système de nom de domaine, l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN) est une organisation de droit privé à but non lucratif, son personnel et ses participants viennent du monde entier.
Dans cet entretien, Sébastien Bachollet, membre du Conseil d’administration de l’ICANN, élu en décembre 2010 par les représentants des utilisateurs individuels, explique les enjeux de cette conférence pour l’Afrique ainsi que des problématiques globales liées à Internet.
RTN : Le Sénégal va abriter la 42ème conférence mondiale de l’ICANN en octobre 2011. Quels sont les enjeux de cette conférence pour l’Afrique ?
Sébastien Bachollet : Les enjeux sont multiples pour l’Afrique en ce sens que la conférence se tient sur le continent une fois tous les deux ans. Le Sénégal a donc un important défi à relever. C’est d’abord celui de la participation. La dernière conférence de l’ICANN en Afrique s’est tenue à Nairobi (Kenya). Il y avait eu des difficultés liées à la participation du fait des problèmes perçus de sécurité. Cette année, nous espérons que ce sera un succès d’autant plus que c’est la première fois de l’histoire de l’ICANN que nous organisons une conférence dans un pays d’Afrique subsaharienne francophone.
Plusieurs dossiers correspondant à l’évolution et au fonctionnement de l’Internet vont y être abordés. Il s’agit, entre autre, du programme de nouveaux gTLDs qui consiste dans le cadre de la gestion du système de nom de domaine de premier niveau pour les codes génériques. Il est prévu d’importants développements en 2012. En effet, l’ICANN a introduit en 2000, sept nouveaux gTLDs : .aero, .biz, .coop, .info, .museum, .name, et .pro. Puis à partir de 2005 : .travel, .job, .mobi, .tel, .post, .asia, .cat et dernièrement .xxx (pour du contenu adulte).
Après la décision prise à Singapour le 20 juin 2011 d’ouvrir du 12/01/12 au 12/04/12 la phase de candidature pour les nouvelles extensions. La communauté ICANN étudie actuellement les possibilités d’aider la réalisation de certains projets dans des pays qui n’en auraient pas les moyens.
Auparavant, au mois de septembre, il y a la réunion du forum sur la gouvernance de l’Internet qui se tiendra à Nairobi au Kenya. Vous remarquerez que sur le dernier trimestre de l’année, l’Afrique va abriter deux importantes réunions internationales liées à la gouvernance de l’Internet.
RTN : On remet en question la tutelle des USA sur l’Internet et sur l’ICANN qui est aussi une organisation de droit américain. Pensez-vous que ces questions seront débattues lors de la 42ème conférence à Dakar ?
SB : La question ne se pose pas dans ces termes. Il y a des gens qui rêvent depuis longtemps d’un transfert de la gestion vers des organisations comme l’ONU. Il faut se rendre bien compte qu’il n y a pas de structure intergouvernementale capable de remplacer l’ICANN. Dans la structure de l’ICANN, les gouvernements et les organisations de traité international travaillent en partenariat avec les entreprises, les associations, les utilisateurs (business et individuels) et les spécialistes techniques. Ils contribuent à bâtir et maintenir le réseau mondial Internet. L’ICANN est animé par un conseil d’administration de composition internationale qui supervise le processus d’élaboration des politiques et avec une équipe internationale de permanents qui veillent à ce que l’ICANN honore ses engagements opérationnels à l’égard de la communauté Internet et permettent un véritable engagement des volontaires. L’ICANN ouvre la porte à toutes les bonnes volontés de tous les pays. Ce serait un retour en arrière que de penser qu’une structure intergouvernementale au sein de l’ONU puisse s’occuper de la gestion des noms de domaine et des adresses IP au niveau mondial.
RTN : Est-ce que l’Afrique est suffisamment représentée ?
SB : Personne n’est jamais assez représenté ! L’Afrique est un des continents qui contribue énormément, surtout dans pour la partie des représentants des utilisateurs individuels (At-Large / ALAC) et des gouvernements aussi (GAC).
RTN : Comment analysez-vous l’évolution de l’Internet en Afrique, dans un contexte où l’Afrique est perçue comme un continent en retard ?
SB : Loin s’en faut, l’Afrique n’est pas un continent en marge des développements liés à Internet. Si l’on en juge aux nouveaux usages innovants autour de l’Internet mobile, l’Afrique a beaucoup à apprendre au reste du monde. Il y a des vrais usages qui émergent avec l’internet mobile en provenance de l’Afrique. De plus, avec l’arrivée de tous ces câbles sous-marins en fibre optique qui ceinture l’Afrique sur ces façades Ouest et Est, ces usages innovants continueront à s’accélérer dans les prochaines années avec l’augmentation de la bande passante. Tous ces projets en cours sont très encourageants mais encore faudrait-il que l’Afrique gère elle-même ses propres ressources au niveau local.
RTN : Dans les nouveaux dossiers de l’ICANN, il y a également, l’arrivée de l’IPv6. Quels sont les enjeux liés au déploiement de ce protocole ?
SB : Il n y a pas d’incidence directe sur l’utilisateur final et fort heureusement. Avec IPv6, nous espérons voir apparaitre des usages innovants au niveau des utilisateurs individuels. Au niveau international, il n y a plus de distribution possible de blocs d’adresses IPv4 ainsi qu’en Asie Pacifique. Quant à l’Afrique, ce sera un peu plus long car la demande est moins forte que dans les autres régions. L’Afrique doit mettre à profit cette opportunité pour organiser en douceur la transition entre IPv4 et IPv6 mais il faut s’en préoccuper maintenant. C’est également une des questions que nous allons aborder lors de cette réunion de l’ICANN à Dakar.
RTN : Peut-on réguler Internet ? Faut-il réguler Internet ?
SB : Il y a certainement des interventions à faire comme quand un fournisseur disparait. Il faudra bien que ces clients continuent à être servis. Quand on passe d’IPv4 à IPv6, il y a bien évidemment des éléments de régulation qui entrent en ligne de compte. Il en est de même quand on aborde des nouvelles extensions de noms de domaines ou encore du programme du gTLD sans parler des IDN (Noms de domaine internationalisés). L’ICANN joue un rôle très important dans ce dispositif.
Pour se renforcer, l’Afrique devrait davantage s’organiser. Il faudrait que toute la chaine de production des noms de domaines soit organisée localement en Afrique. A ce jour, il n’existe que deux registraires - bureau d'enregistrement de nom de domaines (« registrar » en anglais)- accrédité ICANN disponibles en Afrique (en Afrique du Sud et au Sénégal depuis très peu) sur les 53 pays que compte le continent. Ce qui est très peu à côté des revendeurs de noms de domaines. A titre de comparaison, il existe près de 900 registraires dans le monde. Les Etats-Unis en abritent 502 à eux-seuls contre 11 pour l’Amérique latine.
Article publié dans le magazine Réseau Télécom No49
Palais du Pharo, Marseille, France - Explorer, Investir, Réussir.