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Les enjeux stratégiques de l'exploitation des gaz de schiste

  • Date de création: 08 août 2011 12:02

La révolution des gaz de schiste démontre bien comment une innovation peut avoir des répercussions mondiales et remettre en cause l’ordre économique d’un secteur énergétique.

En déboursant 41 milliards de dollars l’année dernière pour le rachat de XTO, l'entreprise spécialisée dans l’exploitation des gaz de schiste, Exxon Mobil a mis en exergue tout l’intérêt pour cette source d’énergie. En plus du numéro un mondial du pétrole, de Total à BP en passant Shell, toutes les majors pétrolières rachètent ou prennent des positions importantes dans les PME qui exploitent les « schales gas ». Malgré leur important budget de R&D, les grands groupes ne sont pas à l’origine du saut technologique qui est en passe de redéfinir les frontières du business mondial du gaz et des autres sources d’énergie.

D’après l’IFP Energies nouvelles, les réserves mondiales de gaz sont estimées à 175 Tm3 (mille milliards de mètres cubes). Il s’agit d’environ 60 ans de consommation. Et les réserves des nouvelles découvertes sont estimées à 261 Tm3. Pour l’avenir, il faudra surtout compter sur les immenses réserves de gaz non conventionnels (gaz de schiste, gaz de réservoir compact et gaz de houille). « Sur la base d’un taux de récupération de 15 à 20%, les réserves prouvées atteignent 170 000 milliards de m3 dans le monde. Cela revient à doubler les réserves de gaz », observe Guy Maisonnier de l’IFP Energies nouvelles, cité par Enjeux Les Echos de septembre 2010.

Exploitation des gaz de schiste et problèmes environnementaux

Par contre, l’exploitation des gaz de schiste emprisonnés dans la roche n’est pas simple. Les start-up, qui ont volé la vedette aux majors qui les rachètent aujourd’hui, ont innové pour y arriver. Après avoir creusé des puits horizontaux, il faut injecter sous pression de grandes quantités d’eau dans les réservoirs pour fracturer la roche et libérer le gaz. L’avantage du process est son coût très bas par rapport à celui des méthodes conventionnelles. Selon les gisements, il est compris entre 4 et 6 dollars/MBtu.

L’inconvénient de cette technique est qu’il faut multiplier les zones de forage. En plus de l’impact sur le paysage, ce sont les conséquences environnementales qui font l’objet de toutes les critiques en Occident, et notamment en France où les associations bataillent fermement pour l’interdiction de l’exploitation des gaz de schiste. La pression des ONG est fondée.

En effet, pour éviter l’obstruction des fractures, des produits chimiques sont mélangés à l’eau qui est injectée sous pression dans les failles. Le problème est le traitement et l’élimination de cette eau polluée qui s’infiltre dans la nappe phréatique.

Si les raisons écologiques sont principalement évoquées pour un refus des gaz de schiste en France, au Canada la polémique se concentre plutôt sur les fuites. Même si le ministre des Ressources naturelles et de la Faune du Québec évalue à deux milliards de dollars d’importations d’hydrocarbures les économies réalisables par la province, les associations d’utilisateurs ont récemment demandé un moratoire sur l’exploration des gaz de schiste. Cette requête fait suite à une enquête du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) indiquant que des fuites de gaz ont été identifiées dans onze sites sur les trente et un puits en exploitation au Québec. En France, même si elle est symbolique, les écologistes viennent également de remporter une première bataille législative. En attendant le vote par le Sénat, l’Assemblée nationale vient d’adopter une proposition de loi imposant des restrictions pour l’exploitation des gaz de schistes dans l’Hexagone. Ainsi la fracturation hydraulique est désormais interdite. Les industriels sont dés lors contraints de publier les techniques utilisées et envisagées. Ceux qui auraient recours à la fracturation hydraulique sans autorisation administrative risquent une peine d’un an d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Dans un contexte de flambée des cours des énergies fossiles qui aggrave les déficits dans les pays importateurs, la véritable question est de savoir combien de temps les pays riches en gaz de schistes comme la France vont résister à la tentation de l’exploiter ?

La possible indépendance énergétique des USA perturbe le marché du gaz

En 2009, les Etats-Unis sont devenus autosuffisants grâce aux gaz non conventionnels. Ils ont, par la même occasion, arraché le titre de premier producteur mondial de gaz à la Russie... Et c’est toute la planète énergie qui s’affole. Face à la flambée des cours des énergies et aux risques géopolitiques dans les pays producteurs, les autorités américaines ont favorisé et encouragé dès 2006 l’exploration des gaz non conventionnels. Stratégie payante puisqu’en moins de cinq ans la consommation de gaz de schiste représente 50% de la demande nationale. Dans ce pays très vorace en énergie, la production de gaz non conventionnels est passée de 45% (environ 300 Gm3) en 2008 à 59% en 2009.

Les perspectives pour les années à venir sont très prometteuses. « Les gaz non conventionnels (gaz de schiste, gaz de réservoir compact et gaz de houille) devraient représenter 64% en 2020, contre 42% en 2007 », selon un consultant ICF cité par Le Figaro le 31 mai 2010.

Pour l’instant, grâce aux gaz non conventionnels, la quasi-autosuffisance en gaz des Etats-Unis a des répercussions sur le marché mondial, car elle contribue à la baisse des prix du gaz par le jeu d’un déséquilibre de l’offre par rapport à la demande.

Les conséquences s’étendent également aux énergies renouvelables et au nucléaire, dont les coûts de production ne sont plus compétitifs. L’explosion de la production des gaz non conventionnels aux Etats-Unis a aussi des conséquences géostratégiques et politiques. Récemment encore, l’Amérique était un importateur important. Aujourd’hui, le géant russe ne peut plus réaliser ses objectifs sur le marché américain, alors qu’il prévoyait, il y a encore cinq ans, d’exporter en 2010 du gaz naturel liquéfié aux Etats-Unis et de fournir jusqu’à 20% du marché américain. Comme la Russie, d’autres pays producteurs comme l’Australie et le Qatar avaient réalisé d’importants investissements dans le gaz naturel liquéfié en prévision de l’augmentation de la demande. La rentabilité de ces projets est largement remise en question à cause de l’indépendance énergétique américaine.

Les conséquences pour l’Afrique

D’après les données 2009 de l'Agence internationale de l’énergie, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord possèdent des réserves de gaz non conventionnels de 95 Tm3, contre 31 pour l’Afrique subsaharienne. En attendant d’exploiter ce potentiel, l’essor des gaz de schistes pose un sérieux problème aux pays africains exportateurs de gaz comme l’Algérie. En effet, la diminution de la demande américaine a pour corollaire un surplus de gaz naturel liquéfié sur le marché, qui engendre également la baisse des prix du gaz. Les pays producteurs font donc face à une baisse des devises, causée aussi bien par la chute du cours du gaz que par celle de la demande mondiale. Mais l’exploitation des gaz de schistes suscite également des polémiques en Afrique.

Suspension en Afrique du Sud

Alors qu’elle avait obtenu en fin d’année une autorisation pour explorer l’immense région semi-désertique de Karoo de 90 000 km2, très riche en gaz de schistes, la compagnie anglo-néerlandaise Royal Dutch Shell a été contrainte de reporter son projet à 2013. Dans la foulée, le gouvernement sud-africain a annoncé un moratoire sur les permis d’exploration des gaz de schistes. Comme en Europe, la pression des écologistes a été très forte car la technique utilisée est aussi celle de la fracturation hydraulique, tant décriée. Jonathan Deal, coordinateur du Treasure the Karoo Action Group (TKAG), rapporte dans Le Monde daté du 17 mai « qu’il y a un risque de pollution des nappes phréatiques, alors que la plupart de l'eau potable du Karoo provient du sous-sol ». Mais même si elle a reporté temporairement son projet, le temps de laisser retomber la pression, la multinationale n’est pas prête à y renoncer. Ainsi, dans le quotidien français, Kim Bruun, porte-parole de Shell, juge la polémique « émotionnelle et personnelle ». Pour lui, « la fracturation hydraulique est dotée d'un bon bilan en termes de sécurité, et seule l'eau de mer sera utilisée », mais il assure que « Shell a conscience des inquiétudes, que le groupe adoptera les meilleures pratiques internationales et indemnisera en cas de dommages ». L’entreprise va donc lancer les consultations auprès des parties prenantes, notamment les populations locales.

Intérêt algérien

En plus de l’Afrique du Sud, l’Algérie suit également de très près les différentes mutations qui se produisent autour des gaz de schistes. Mais, contrairement à la polémique sur ce sujet dans le pays de Nelson Mandela, les Algériens cherchent plutôt des investisseurs. Le ministre de l’Energie et des Mines, Youcef Yousni, a saisi l’opportunité offerte par la CERA Week Conference, qui s’est déroulée du 7 au 11 mars à Houston, aux Etats-Unis, pour attirer les industriels. Marchés Tropicaux & Méditerranéens du mois d’avril 2011 cite les propos du ministre tenus lors de cette importante manifestation où se bousculent les majors pétrolières et gazières : « Le pays (Algérie, ndlr) ne dispose pas de la technologie complexe nécessaire pour réaliser ce type d’exploitation (de gaz de schistes, ndlr), mais aussi souhaite partager les coûts d’exploitation élévés de ce type de ressources. » Le mensuel panafricain précise également que Total et BP ont immédiatement fait part de leur intérêt pour cet appel.

La « bataille des gaz de schistes » ne fait donc que commencer. En plus de la pression des écologistes, l’exploitation progressive de cette énergie fossile va modifier profondément le marché du gaz et, par ricochet, celui de l’énergie. Quand on sait que l’Europe regorge d’immenses gisements de gaz non conventionnels, comment ne pas se poser certaines questions ? Et si demain la France et d’autres pays européens n’achetaient plus ou diminuaient considérablement l’achat de gaz algérien ?  

Thierry Téné, directeur A2D Conseil

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