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«A ma surprise, l’écrasante majorité des Camerounais n’aspire pas au changement. Au contraire, ils le craignent!»

  • Date de création: 03 octobre 2011 22:21

(Agence Ecofin) - Moussa Seye couvre sur le terrain la campagne électorale des présidentielles camerounaises. Du centre de Yaoundé jusqu’au cœur du royaume des Bamoun, il parle aux Camerounais, assiste à leurs meetings, analyse les médias locaux. A mi-parcours, il nous livre ses premières impressions de campagne.

Depuis combien de temps suivez-vous la campagne électorale camerounaise ?
Moussa Seye : Je suis en reportage sur la campagne depuis le début, c’est-à-dire le 24 septembre. Après deux jours à Yaoundé, je me suis rendu dans différentes villes de l’ouest. Je suis allé à Mbouda, Foumban, Bandjoun, Bafoussam… J’ai assisté à des meetings, rencontré des sultans et des rois, tout comme des gens de la rue, de toutes conditions. Je dois me rendre prochainement à Douala et à Kribi.

La campagne semble largement dominée par le RDPC. Quelle place a l’opposition ?
MS : Dans la rue, on note une omniprésence du candidat Paul Biya à travers son équipe et ses affiches. Lui-même se fait plutôt discret pour le moment, avec seulement trois déplacements prévus. On peut d’ailleurs se demander s’il est absent parce qu’il a une bonne équipe autour de lui, qu’il a confiance en ses hommes, ou bien parce qu’il sait parfaitement qu’il me sera pas inquiété par ses adversaires.

L’opposition, elle, est inexistante dans la rue. On compte neuf affiches de Biya pour une de l’opposition, généralement de John Fru Ndi. Par exemple, en 10 jours, je n’ai pas encore vu une seule affiche de Kah Walla, dont on dit pourtant qu’elle mène une campagne dynamique.  

Il y a aussi les meetings, les médias ?
MS : En voyageant de villes en villes, je n’ai vu que des meetings du RDPC. Il y en existe sans doute d’autres, mais pas encore sur mon chemin… En  revanche, dans les médias, l’opposition est davantage présente, tant dans la presse écrite qu’à la télévision.

Mais pour la plupart des Camerounais, l’opposition n’existe pas. Elle n’a aucune crédibilité à leurs yeux. Les gens pensent qu’elle ne pourra pas faire mieux que Biya, ni apporter de meilleures solutions à leurs problèmes. Ils sont également persuadés qu’un nouveau président mettrait en avant ses propres intérêts au détriment du peuple, alors que Paul Biya n’a plus besoin de cela. Il ne le fait pas ou, au moins, il ne le fait plus…

Avez-vous relevé une différence significative entre l’électorat de la capitale et celui des campagnes ?
MS : Non, je n’ai pas noté de différence entre ces deux électorats. Pas entre la capitale et l’ouest du pays. Ils partagent le même sentiment vis-à-vis de ces élections. Mais à Douala, ça sera peut être différent car c’est une ville plutôt contestataire.

Dans cette tournée en province avez-vous rencontré des journalistes ?
MS : Je n’ai rencontré à ce jour aucun journaliste étranger. Par contre je croise régulièrement des journalistes camerounais. Leur accueil est agréable. Certains participent aux meetings du RDPC dans le cadre de leurs vies privées. D’autres, par contre, ne portent pas dans leur cœur le plus grand parti du pays…

C’est votre premier reportage au Cameroun, qu’avez-vous découvert de différent par rapport à ce que vous en saviez ou pensiez en savoir ?
MS : Je pensais que le Cameroun était un pays relativement rebelle, contestataire, qu’après presque 30 ans de pouvoir du même homme, les Camerounais aspiraient au changement. Je pensais qu’il y aurait un sentiment de lassitude, que les gens de ma génération, qui n’ont connu que Biya, souhaiteraient tourner la page. Mais à ma surprise, l’écrasante majorité se satisfait ou s’accommode de cette situation. Ils n’aspirent pas du tout au changement. Au contraire, ils le craignent !

Que craignent-ils exactement ?
MS : Ils ne veulent pas d’instabilité. Pour eux, il faut garder Biya à la tête du pays pour que le Cameroun reste en paix. D’ailleurs, c’est le discours tenu par Biya, il se présente comme étant le candidat de la paix et de la stabilité du pays. Il leur dit « Regardez ce qui se passe dans les autres pays, ils sont en guerre, avec moi, ça n’arrivera pas au Cameroun ». Et ce discours fait mouche. Même des intellectuels que j’ai rencontrés sont prêts à voter Biya pour conserver ce climat de paix.

Mais il y a tout de même eu ces derniers temps de vives expressions de mécontentement, des émeutes de la faim, même ?
MS : Bien-sûr. Sur un marché de Yaoundé, un soir, j’interviewais un chômeur. Très vite, des gens sont venus à une dizaine autour de moi. Ils avaient envie d’exprimer leur colère.  Ils ont imputé tous les maux de la planète à Biya et à son gouvernement. Ils les tenaient pour responsables de leur misère. Ils étaient furieux. Je pensais naturellement qu’ils voulaient le changement. Eh bien non…  au final, après une demi-heure de discussions, ils m’ont confié qu’ils voteront quand même pour Biya car personne en face ne leur inspire suffisamment confiance...

On rencontre aussi des gens un peu désabusés qui ne voteront pas parce qu’ils estiment qu’il n’y a pas d’enjeu. Ils sont convaincus qu’il ne peut y avoir d’autre gagnant que Biya.

Quel est le pouvoir des rois et des chefs traditionnels par rapport au pouvoir de l’Etat ?
MS : Ils sont très écoutés et respectés. Leurs avis comptent ! Ce sont des chefs d’Etat dans leurs chefferies. Ils règlent toutes les questions relatives à la vie de leurs administrés. Les peuples accordent autant d’importance aux rois qu’au président.

Un chef traditionnel peut-il se positionner dans l’opposition ? Aurait-il le même pouvoir ?
MS : Il est sans doute plus facile pour eux d’être avec le RDPC qui domine totalement la vie politique du pays. Mais je pense qu’un roi dans l’opposition serait suivi par son peuple, sans doute avec un pouvoir amoindri. Par contre, si les différents chefs se concertent et décident de soutenir tous ensemble un candidat de l’opposition, cela peut changer la donne.

Sentez-vous les personnes que vous interrogez parlent librement ?
MS : Les gens parlent tout à fait librement. Mais vu tous les problèmes que rencontrent les Camerounais dans leur vie courante, la santé, l’éducation, le chômage… on a parfois l’impression que leur choix est essentiellement conditionné par la peur d’un lendemain qui pourrait être encore pire.

Vous sentez-vous libre d’aller et venir, d’interroger qui vous voulez ?
MS : Oui, en ce qui me concerne, je suis totalement libre d’aller et venir, comme bon me semble. On ne m’impose aucune contrainte.