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Ibrahim Boubacar Keïta : l’histoire d’un homme qui voulait devenir président

  • Date de création: 21 janvier 2022 16:03

(Agence Ecofin) - Ibrahim Boubacar Keita a, selon un adage commun à plusieurs cultures africaines, rejoint ses ancêtres. Peu de gens connaissent qui était véritablement celui qui a dirigé le Mali comme président pendant 6 ans 11 mois et 14 jours. Au-delà de l’homme d’Etat, l’histoire d’IBK est celle d’un homme qui a voulu changer son monde, mais qui a fini par le subir.

L’histoire de l’ancien président malien Ibrahim Boubacar Keïta, disparu le dimanche 16 janvier, est celle d’un héroïsme et d’un élitisme innés. Peu de gens le savent, mais il était le petit-fils d’un des héros africains de la Première Guerre mondiale. Né en 1945 à Koutiala, dans l'ancien Soudan français, personne n’aurait parié sur son avenir politique. Il y étudie jusqu’en 1958.

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Né en 1945 à Koutiala, dans l'ancien Soudan français.

Cette année-là, alors qu’il n’a que 13 ans, Ibrahim Boubacar Keïta remporte le concours général organisé par la France dans chacune de ses colonies. Il gagne alors le droit de voyager pour poursuivre ses études secondaires au prestigieux lycée Janson de Sailly. Il revient au Mali pour terminer ses études secondaires au lycée Askia Mohamed de Bamako. Il y obtient son baccalauréat en 1965. Il s’inscrit ensuite à la faculté de lettres de l’université de Dakar, puis à la Sorbonne, à Paris, où il obtient une maitrise en Histoire. Il étudie également à l’Institut d'histoire des relations internationales contemporaines (IHRIC), où il obtient un DEA en politique et relations internationales. Les systèmes politiques du tiers-monde, il les connaissait à priori. Il les a enseignés à l’université de Paris Tolbiac, en même temps qu’il occupait un poste de chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), en France.

Comme plusieurs autres, au sein de l’élite africaine, il est séduit à ses débuts en politique par les idées socialistes qui sont plus proches du principe de solidarité prévalant sur son continent d’origine. 

Comme plusieurs autres, au sein de l’élite africaine, il est séduit à ses débuts en politique par les idées socialistes qui sont plus proches du principe de solidarité prévalant sur son continent d’origine.

Affûtant ses armes, au sein de la Fédération des étudiants d’Afrique Noire en France, notamment. De retour sur sa terre natale, il devient conseiller technique principal du Fonds européen de développement (FED), chargé de la mise en œuvre du premier programme de microréalisations par la Communauté économique européenne au Mali. Il est ensuite directeur-représentant de Terre des Hommes France (TDHF), ONG française et internationale pour le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Ce poste lui permet d’être en contact avec différentes administrations de son pays et le rôde pour son vrai projet : donner un nouveau ton à l’évolution du Mali, son pays, selon sa propre vision.

Un homme de culture, un amoureux de la plume et des lettres

En dehors d’un cercle très fermé de proches collaborateurs et amis, peu nombreux sont ceux qui peuvent se rappeler les traits d’esprit d’Ibrahim Boubacar Keïta. En public, l’homme décrit comme aimable et amateur de lyrisme, par ses proches, incarnait plutôt le président. Il était souvent question, quand il s’exprimait, de droiture, de grandeur, de fierté malienne et de victoire. 

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« Pour l’honneur du Mali, je veux construire une République exemplaire.» 

Selon le chercheur Nanourougo Coulibaly, dans un article disponible sur la plateforme Open Editions Journal, « IBK a su adapter son discours à un auditoire en quête de gloire, à la fois en lui renvoyant l’image de sa fragilité, de son humiliation en contraste avec le passé glorieux que chantent encore les griots traditionnels, et en construisant une image de sa propre personne susceptible de répondre aux attentes de l’auditoire ». Le choix des mots pour l’un de ses discours de campagne présidentielle en 2013 confirme cette perception. « Pour l’honneur du Mali, je ramènerai la paix et la sécurité. Je renouerai le dialogue entre tous les fils de notre nation. Je rassemblerai notre peuple autour des valeurs qui ont construit notre histoire : la dignité, l’intégrité, le courage, le travail. Pour l’honneur du Mali, je veux construire une République exemplaire. Je rétablirai l’autorité de l’Etat. Je renforcerai nos institutions. Je moderniserai notre fonction publique. Je combattrai la corruption », avait-il déclaré. Ces mots solennels et austères ne reflètent pas l’amour de l’ancien président malien pour la poésie, la langue et la culture françaises qu’il côtoie dès son plus jeune âge. « C'était un amoureux de la langue française. Il était un homme de culture, il avait une très belle connaissance des auteurs africains et français, il était capable de déclamer des poèmes », confie, à son propos, François Hollande, ancien chef d’Etat français. Mais, très vite, la culture et l’amour des belles lettres ont fait place au froid réalisme qui caractérise l’arène politique. 

Rencontre avec Alpha Oumar Konaré, la passerelle

Lorsqu’il retourne au Mali, IBK est proche d’Alpha Oumar Konaré (AOK), dont il devient le directeur de campagne adjoint pour l’élection présidentielle de 1992. Une fois élu, celui-ci le nomme porte-parole du président de la République. Au mois de novembre de la même année, il devient ambassadeur du Mali près la Côte d'Ivoire, le Gabon, le Burkina Faso et le Niger. Un an plus tard, il est nommé ministre des Affaires étrangères. Mais l’environnement politique malien n’est pas facile pour Alpha Oumar Konaré. Il doit changer deux fois de Premier ministre, subit la rébellion touarègue, et vit des moments difficiles au sein de son propre parti. IBK qui a la réputation d’être un « dur », est rappelé pour régler tous les problèmes et obtient le poste de Premier ministre. Dans la même période, il prendra la présidence de l’ADEMA, le parti qui a porté AOK au pouvoir. En retour, il garantit à ce dernier une présidence tranquille et une certaine stabilité. Ces nouvelles responsabilités le confortent sur sa capacité à devenir lui-même un jour, le chef à la place du chef. L’ordre constitutionnel le lui permet, car le mandat présidentiel n’est renouvelable qu’une seule fois. Selon des sources médiatiques maliennes, IBK aurait eu la possibilité de devenir Secrétaire général des Nations unies, mais conseillé par son mentor et président, il aurait décliné, en espérant rapidement atteindre le sommet dans son pays.

Une nouvelle voie s’ouvre pour IBK, lorsque celui dont il a été le bouclier pendant de nombreuses années décide de modifier les textes pour faire un troisième mandat et sollicite une fois de plus son appui. Peu enclin à suivre AOK dans cette voie, il retourne sa rigueur contre ce dernier. Commence une longue période de batailles internes qui se soldent par sa déchéance à la tête du parti au pouvoir et de sa démission du poste de Premier ministre en 2000. Il doit même quitter son pays pour vivre ce que des médias maliens vont qualifier de semi-exil, mais l’histoire révèle qu’à distance, il pilote la création d’un nouveau parti, grâce à des alliés qu'il a conservés au sein de la classe politique malienne.

Lors de l’élection présidentielle de 2002, il est le candidat du Rassemblement pour le Mali (RPM). Malgré toute sa science politique, son positionnement international et son expérience des institutions, il n’arrive pas à faire mieux que 21,15% des suffrages exprimés, lors du premier tour de l'élection présidentielle. Arrivé troisième, il soutient Amadou Toumani Touré (28,87%) qui bat Soumaïla Cissé (21,44%) au second tour. Tenace, il n’abandonne rien de ses ambitions présidentielles qui ont fait de lui le politique réaliste dans ses discours, que connaît le grand public. Sa quête présidentielle échoua les 10 années qui suivent et la hargne pour devenir président augmentant, l’homme de culture évoqué par ses proches, s’affiche de moins en moins.

L’heure de gloire 

Avant l’élection présidentielle de 2012, un coup d’Etat militaire renverse le président en exercice Amadou Toumani Touré (ATT), en mars. Le nord du Mali fait face à une insurrection armée, menée par des organisations qui se réclament du djihadisme. L’armée proteste contre la gestion de la guerre par les autorités et condamne le peu de moyens alloués aux soldats. ATT est renversé.

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IBK réussit à se présenter comme le candidat du changement. 

Le 12 avril, Dioncounda Traoré, président de l'Assemblée nationale, devient président par intérim. Les élections sont reportées à 2013. IBK réussit à se présenter comme le candidat du changement. Il promet de redonner au Mali « le respect qui lui est dû », notamment en réglant les problèmes sécuritaires et en luttant contre la corruption. Mais surtout, il parvient à séduire la très influente classe des élites religieuses. Une fois élu, il doit toutefois faire face aux mêmes démons que ses prédécesseurs. 

Il promet de redonner au Mali « le respect qui lui est dû », notamment en réglant les problèmes sécuritaires et en luttant contre la corruption. Une fois élu, il doit toutefois faire face aux mêmes démons que ses prédécesseurs.

Trois ans après le début de son mandat, le président a déjà changé 2 fois de Premier ministre. Le secrétariat général de la présidence de la République, un des postes les plus proches du chef de l’Etat, en était à son troisième titulaire, en août 2016. Celui que ses partisans ont baptisé « Kankeletigui » (l’homme qui n’a qu’une parole, en bambara), ne réussit pas non plus à tenir ses promesses sur la lutte contre la corruption.

Une sortie beaucoup plus discrète et sobre

Lors de ses apparitions publiques, IBK a les traits de plus en plus fatigués. Bientôt, la contestation sourde devient une série de manifestations durant lesquelles l’imam Mahmoud Dicko prend une nouvelle dimension. Finalement, le 18 août 2020, un coup d’Etat militaire porte le colonel Assimi Goïta au pouvoir. Critiqué lui aussi pour l’incapacité du gouvernement à rétablir la sécurité au nord du Mali envahi par les terroristes, IBK est finalement déposé par la même armée qui avait déjà évincé son prédécesseur.

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« Surtout, c’était quelqu’un qui était très sympathique et très direct.»

L’ex-président malien se retire alors de la vie publique et s’enferme dans sa villa située dans le quartier de Sébénikoro, à Bamako. Héritée de son père, elle a la réputation de porter malheur, un présage qu’IBK pensait avoir vaincu en y étant élu président. Finalement, il y décède. 

L’ex-président malien se retire alors de la vie publique et s’enferme dans sa villa située dans le quartier de Sébénikoro, à Bamako. Héritée de son père, elle a la réputation de porter malheur, un présage qu’IBK pensait avoir vaincu en y étant élu président. Finalement, il y décède.

« Travailler avec lui était assez agréable puisque la personne elle-même était de commerce agréable, d’une très grande culture évidemment. Surtout, c’était quelqu’un qui était très sympathique et très direct. De manière générale, c’était quelqu’un de très humain », confie à RFI Moussa Mara, ancien ministre d’IBK.  « Le président IBK avait une façon de gérer. Il prenait de la distance avec les choses. Il déléguait énormément de responsabilités, il ne suivait pas beaucoup. Donc, évidemment, cela laissait de la marge à toute personne indélicate, proche de lui, pour se donner à des pratiques qui pouvaient être répréhensibles. C’était quelqu’un qui était assez à cheval sur les relations familiales, les relations humaines, sans doute d’autres personnes ont su aussi en profiter », ajoute-t-il pour expliquer les accusations de corruption.

Pour lui, « le président IBK était arrivé à illustrer ce à quoi aspiraient les Maliens en 2013, de l’autorité pour redresser le pays ». Les nombreux hommages consécutifs au décès du président laissent penser que dans une certaine mesure, IBK qui avait tant voulu façonner un Mali à son image, a vu son visage façonné par ce pays dont la complexité sociopolitique recèle des secrets que seuls les hommes forts l’ayant éprouvée peuvent mesurer. 

Servan Ahougnon

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