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Mamady Doumbouya, l’homme en armes qui veut « faire l’amour » à la Guinée

  • Date de création: 10 septembre 2021 18:11

(Agence Ecofin) - A la tête des forces spéciales, le colonel Mamady Doumbouya, pourtant considéré comme le rempart d’Alpha Condé contre les coups d’Etat, a pris le pouvoir au président guinéen. Le militaire écrit ainsi les premiers mots d’une page d’incertitude de la très riche et très imprévisible histoire politique de la Guinée.

Beret rouge vissé sur la tête et lunettes noires devant des yeux qu’on se plait à imaginer malicieux, le Colonel Mamady Doumbouya est devenu la cible des projecteurs des médias de la planète, ce 05 septembre. Tout commence par des posts laconiques sur les réseaux sociaux annonçant un putsch qui aurait arraché le pouvoir au président Alpha Condé. Puis suivent les photos et vidéos, allant du surprenant au cocasse, affichant un groupe de jeunes militaires en compagnie d’un président plus désemparé qu’autre chose.

 

Et comme dans tous les coups d’Etats, tout le monde attendait le visage qui incarnerait dans les prochains jours le pouvoir guinéen. Une responsabilité qui semble ne pas avoir effrayé le colonel Mamady Doumbouya, chef de la junte au pouvoir en Guinée depuis quelques jours. Peu impressionné par le contexte et les caméras, le militaire a même prononcé, avec une diction que ne renieraient pas certains rappeurs locaux, une phrase qui passera certainement à la postérité : « nous n'avons plus besoin de violer la Guinée, on a juste besoin de lui faire l'amour, tout simplement ».

Le gardien de son frère Malinké

Jamais, sans doute, Alpha Condé n’avait imaginé pareille fin de parcours. Sans les évènements du 5 septembre dernier, toute personne imaginant un détachement militaire, conduit par le colonel Mamady Doumbouya, déposer le président guinéen pouvait, à raison, être soupçonné de folie.

1 PresidentLe président s’est fait déposer par son gardien.

Effectivement, le militaire, né le 4 mars 1980 dans la zone de Kankan, une région frontalière proche de la Côte d'Ivoire et du Mali, issu du même groupe ethnique -les Malinkés- que le chef d’Etat, était son dernier rempart contre ce genre d’évènements.

Le militaire, né le 4 mars 1980 dans la zone de Kankan, une région frontalière proche de la Côte d'Ivoire et du Mali, issu du même groupe ethnique -les Malinkés- que le chef d’Etat, était son dernier rempart contre ce genre d’évènements.

Pourtant, dans la matinée du 5 septembre, les hommes de Mamady Doumbouya ont ouvert le feu sur une garde républicaine qui ne peut protéger bien longtemps le palais présidentiel de Sékhoutouréya. Ils s’emparent rapidement du président Alpha Condé, dont le flegme apparent n’arrive pas, sur les vidéos diffusées par les putschistes, à masquer totalement la stupeur. Compréhensible quand on sait que c’est lui qui a créé l’unité de forces spéciales dirigée par Mamady Dombouya. Le président s’est fait déposer par son gardien.

L’ascension d’un génie des forces armées  

Pourtant, Mamady Doumbouya n’est connu des Guinéens que depuis 3 ans. Il apparait sous le feu des projecteurs à l’occasion de la fête nationale, le 2 octobre 2018, pour le 60e anniversaire de l’indépendance guinéenne. Très peu de personnes savent à ce moment-là que ce nouveau visage appartient à l’un des hommes en armes les mieux formés du pays. « Le colonel Doumbouya est capable d’identifier et de désamorcer des situations à risque en restant calme face à un environnement hostile et une pression extrême. Il s’adapte et improvise face à toute situation qui demande une maîtrise de soi, une évaluation du risque et une prise de décision rapide», confie Aladji Cellou, le porte-parole du ministère de la défense aux médias.

Effectivement, l’intéressé a un CV très impressionnant. Déjà, ce n’est pas étonnant que l’intéressé soit inconnu dans le pays où il n’est pas resté longtemps. Il a rejoint la légion étrangère française en 2004 et y passe 5 années au sein du 2e REI (régiment étranger d’infanterie).

Déjà, ce n’est pas étonnant que l’intéressé soit inconnu dans le pays où il n’est pas resté longtemps. Il a rejoint la légion étrangère française en 2004 et y passe 5 années au sein du 2e REI.

Finalement, il rentre en Guinée pour devenir instructeur commando en 2011. Il enchaîne ensuite les stages. Entre 2012 et 2013, il part à l’Ecole d’Application de l’infanterie, à Thiès, au Sénégal, pour suivre la formation des futurs commandants d’unité.  À son retour en Guinée, il est promu lieutenant. Suivent ensuite des formations au Gabon, en 2014, en Israel, puis à Paris, en 2017. Il y est notamment auditeur à l’École de guerre. Titulaire d’un Master 2 en défense et dynamiques industrielles à l’Université Panthéon Assas Paris II, expert de la défense en management, commandement et stratégie, il est promu lieutenant-colonel et obtient le commandement d’un bataillon de forces spéciales ayant pour but de lutter contre le terrorisme. Il participe ensuite à une formation organisée au Burkina Faso par l’armée américaine pour les commandants des forces spéciales de la région.

 

Le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya y rencontre notamment l’actuel chef de la junte malienne, le colonel Assimi Goïta, avec qui il devient ami. C’est après cette formation qu’il crée le bataillon des forces spéciales qui obtient les meilleurs soldats du pays, mais également le meilleur matériel.

Chef de garde prétorienne devenu putschiste

Un an après avoir pris le commandement des forces spéciales, les hommes de Mamady Doumbouya voient leur mission initiale changer. Le président Alpha Condé modifie la Constitution pour briguer un troisième mandat consécutif. Pour réprimer la protestation, il envoie les forces spéciales dans les rues de Conakry. Au fil des mois, le bataillon des forces spéciales prend de plus en plus d’importance.

Le président Alpha Condé modifie la Constitution pour briguer un troisième mandat consécutif. Pour réprimer la protestation, il envoie les forces spéciales dans les rues de Conakry. Au fil des mois, le bataillon des forces spéciales prend de plus en plus d’importance.

Bouclier personnel du président, il commence peu à peu à s’émanciper de l’armée, à l’instar de son chef qui affiche de plus en plus clairement un désir d’autonomie par rapport à l’armée guinéenne. Les ambitions de Mamady Doumbouya dérangent Mohamed Diané, le ministre de la Défense, qui demande sa tête au Président. Ce dernier, craignant un putsch, commence à penser à démettre le chef des forces spéciales. Finalement, Mamady Dombouya décide, une fois averti de devancer les deux hommes. Il prend le palais présidentiel et dépose Alpha Condé.

 

Souhaitant visiblement avoir le peuple de son côté, il l’assure de son désir d’impliquer tout le pays. « Il y a déjà eu beaucoup de morts pour rien, beaucoup de blessés, beaucoup de larmes. Nous allons réécrire une Constitution ensemble, cette fois-ci, toute la Guinée ». Mais, son CV, fait de formations auprès de nations occidentales suscite des interrogations. On lui prête des intentions d’exécution d’un programme tracé par des chancelleries étrangères. Pourtant, s’il a suivi de nombreux stages dans des pays occidentaux, Mamady Doumbouya ne semble pas non plus du genre à exécuter des agendas étrangers. Les médias retrouvent rapidement des déclarations de l’intéressé allant dans le sens de cette hypothèse. « Les Blancs détiennent un pouvoir inaccessible pour nous. Par exemple, j’ai demandé l’année dernière des munitions pour entraîner mes troupes au tir, mais ne les ai jamais reçues. En revanche, le Français qui viendra dispenser une formation à notre attention recevra immédiatement tout ce dont il a besoin de la part de notre gouvernement », critique-t-il notamment lors d’une formation en France. 

 

Mais rassurer la population ne suffit pas. Ce 8 septembre, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a suspendu la Guinée à la suite du coup d'État militaire. Pour décanter cette situation, le nouvel homme fort du pays risque d’avoir fort à faire.

Servan Ahougnon

 servan ahougnon

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