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Yambo Ouologuem : la réhabilitation du paria

  • Date de création: 05 novembre 2021 17:12

(Agence Ecofin) - Pour son chef-d’œuvre « Le devoir de violence », publié en 1968, il méritait de siéger, comme les premiers grands écrivains de la période des indépendances, au panthéon de la littérature africaine et mondiale. Pourtant, le nom de Yambo Ouologuem, premier Africain à remporter le prestigieux prix Renaudot, a presque disparu de ceux cités en exemple dans la littérature continentale.

Le 04 novembre, à l’annonce du prix Goncourt 2021, c’est le Sénégal, d’abord, puis toute l’Afrique francophone, qui fait écho à la joie de l’auteur récompensé : Mohamed Mbouga Sarr. « La plus secrète mémoire des hommes », le livre du Sénégalais, fait de lui le premier auteur d’Afrique subsaharienne, et le plus jeune de l’histoire de la récompense, à remporter un Goncourt. Son roman raconte l’histoire d’un jeune écrivain Sénégalais installé à Paris, qui se lance dans une enquête sur un livre : Le Labyrinthe de l’inhumain. Fait étonnant avec l’œuvre, son auteur est d’abord célébré par le gotha de la littérature française avant d’être cloué au pilori et livré à un lynchage public après des accusations de plagiat. L’histoire fictive de ce livre ressemble beaucoup à celle, bien réelle, du « Le devoir de violence », écrit par le Malien Yambo Ouologuem, à qui le nouveau lauréat du Goncourt a dédié son livre.

 1 PRIX

A l’époque de la parution de son livre, Yambo Ouologuem avait été célébré par les cercles littéraires français, avant que ces derniers ne l’accablent ensuite d'accusations de plagiat. S’ensuit une descente aux enfers pour l’écrivain dont la carrière littéraire décède, à peine le premier cri poussé.

Goncourt pour Mbouga Sarr, réhabilitation pour Ouologuem ?

A première vue, à la lecture du prix Goncourt 2021, un profane de la littérature africaine des indépendances n’aurait pas forcément fait la remarque. Seulement, dans le forum Whatsapp d’une des rédactions de l’Agence Ecofin, c’est une autre histoire. Une page du livre, photographiée et envoyée dans le groupe, y avait suscité l’intérêt de plusieurs journalistes. Ce n’est en soi pas la danse de l’amour qui y est décrite qui attire l’attention, mais plutôt les mots utilisés par Mohamed Mbouga Sarr pour narrer ces amourettes. « Ils me font penser à un livre que j’ai lu. " Le devoir de violence" de Yambo Ouologuem », réagit un membre de la rédaction.

2 YAMBO« Ils me font penser à un livre que j’ai lu. " Le devoir de violence" de Yambo Ouologuem », 

Le titre du roman attire mon attention et le nom de l’auteur me dit vaguement quelque chose.  Je décide alors de faire quelques recherches. Je découvre d’abord que Mohamed Mbouga Sarr a dédié son livre à ce Yambo Ouologuem. Ensuite, je découvre ce que je considère comme l’une des grandes injustices de l’histoire littéraire : l’irritable récit de la trajectoire de Yambo Ouologuem.

Grandeur et décadence du premier Africain à remporter le prix Renaudot

L’histoire débute le 22 août 1940 à Bandiagara, au centre du pays dogon, où Yambo Ouologuem voit le jour. Brillant élève, ses premières années ne sont agitées que par sa passion pour la lecture et l’écriture durant ses études secondaires à Bamako. Ses résultats scolaires lui permettent en 1960, durant la tempête des indépendances, de partir poursuivre ses études universitaires en France. Il y fait des classes préparatoires avant de rejoindre l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud, où il étudie les lettres et l’anglais. Après l’obtention de ses diplômes, dont un doctorat de sociologie, il devient professeur de lycée à Charenton. Parallèlement, il continue d’écrire. Surfant sur la vague de la fin des indépendances et de l’abandon de la négritude, il rédige un roman qu’il intitule « Le devoir de violence ». Il s’agit de l’histoire de l’empire imaginaire de Nakem, représentation de l’Afrique face à ses défis de l’époque. Yambo Ouologuem présente son manuscrit aux éditions du Seuil en 1963. Il sera rejeté. « Aucun sens de la composition romanesque, aucune véracité psychologique, aucune véracité tout court », reproche le lecteur du manuscrit au jeune auteur de 23 ans.

Il sera rejeté. « Aucun sens de la composition romanesque, aucune véracité psychologique, aucune véracité tout court », reproche le lecteur du manuscrit au jeune auteur de 23 ans.

Ce dernier tente à plusieurs reprises de soumettre un manuscrit à la maison d’édition qui en accepte finalement un en 1967. Après de multiples corrections, l'œuvre « Le devoir de violence » est publié en juillet 1968 et est très bien accueilli par les lecteurs. Si bien, qu’il remporte cette année-là - et c’est une première pour un Africain- le prestigieux prix Renaudot.

3 Le monde« A vingt-huit ans, cela tient du prodige », écrit à nouveau Le Monde.

Son roman, qui décrit sur 8 siècles la vie d’un empire africain, n’épargne pas les dirigeants de l’époque coloniale et se mue même en satire iconoclaste des chefs spirituels, traditionnels et monarques de l’époque. Pour beaucoup, « Le devoir de violence » est juste hors du commun. « Voici peut-être le premier roman africain digne de ce nom. Et un roman tout court comme on n’a pas souvent le bonheur d’en découvrir dans le fatras d’une rentrée », peut-on lire dans Le Monde, après sa publication.

« Voici peut-être le premier roman africain digne de ce nom. Et un roman tout court comme on n’a pas souvent le bonheur d’en découvrir dans le fatras d’une rentrée ».

Une fois le prix Renaudot annoncé, Yambo Ouologuem est demandé partout en France. « Voilà un être d’élite, et sans doute, après Léopold Sédar Senghor, l’un des rares intellectuels d’envergure internationale que l’Afrique noire ait donnés au monde. A vingt-huit ans, cela tient du prodige », écrit à nouveau Le Monde.

Pour Le Figaro littéraire, pourtant sceptique à la publication du livre, « Yambo Ouologuem a uni le français le plus pur et l’Afrique la plus noire dans Le Devoir de violence ». Le livre est alors traduit et commercialisé hors de France. Son arrivée sur le marché anglais marque le début de l’affaire Ouologuem. Le 5 mai 1972, le Times Literary Supplement publie un article incendiaire sur « Le devoir de violence ». Il accuse l'auteur d’avoir plagié des phrases de l’écrivain britannique Graham Greene dans son roman « It’s a Battlefield ». Le magazine publie sur deux colonnes des extraits en français du prix Renaudot et ceux, en anglais, du roman de Graham Greene dont ils seraient inspirés. Dans la foulée, alors même que l’affaire commence à s’ébruiter en France, la presse fait écho à un article d’Eric Sellin, un chercheur américain, qui accusait quelques semaines plus tôt « Le devoir de violence » de n’être qu’une imitation du « Le Dernier des justes », d’André Schwarz-Bart. Ce livre sur l’antisémitisme en Europe a été publié en 1959 et remporte le prix Goncourt la même année. Tout d’un coup, pour la presse littéraire française, le génie Yambo Ouologuem, n’est qu’un imposteur.

La descente aux enfers

Le livre d’André Schwartz-Bart est sorti aux éditions Seuil comme « Le devoir de violence », ce qui met la maison sous le feu des critiques. On l’accuse d’avoir publié le livre de Yambo Ouologuem en ayant eu conscience des plagiats. Pour se défendre, la maison d'édition ne tarde pas à jeter le Malien sous le train et plaide coupable en son nom, évoquant dans des correspondances « la jeunesse de l’écrivain malien ».

Pour se défendre, la maison d'édition ne tarde pas à jeter le Malien sous le train et plaide coupable en son nom, évoquant dans des correspondances « la jeunesse de l’écrivain malien ».

Yambo Ouologuem est pourtant catégorique. Il n’a plagié personne. Tous les passages qui viennent d’autres auteurs sont placés dans des guillemets et mentionnés dans le manuscrit. Ces mentions auraient été supprimées par sa maison d’édition. Le Figaro Littéraire tire sur le Malien à boulets rouges dans deux textes intitulés « Le devoir d’exactitude » et « Le devoir de vérité ». Alors que l’affaire fait déjà couler beaucoup d’encre, on reproche également à Yambo Ouologuem des emprunts à plusieurs nouvelles de Maupassant. « A première vue, on ne peut qu’être frappé par ces ressemblances entre Maupassant et Ouologuem. Toutefois, si vous connaissiez notre auteur, vous sauriez qu’il est, comme un grand nombre de jeunes universitaires africains, doué d’une mémoire d’éléphant. Il peut réciter les poésies qu’il apprenait quand il avait dix ans, des passages entiers de Bergson, des passages entiers de Flaubert. L’enseignement français en Afrique a beaucoup utilisé la mémoire des Africains pour leur fourrer dans le crâne des cadences de phrases, du matériel verbal, car on savait très bien que, rentrés chez eux, ils n’entendraient plus parler que leur dialecte. C’est pourquoi je n’ai pas été étonné du tout par ces similitudes, même frappantes. Il est probable tout simplement que Ouologuem a dû apprendre par cœur une « dictée » de Maupassant. Il ne l’oubliera jamais », réagissent les éditions du Seuil. Dans le même temps, l’auteur du prix Goncourt 1959 réagit dans une correspondance où il accable sa maison d’édition. « Quant à l’utilisation faite du Dernier des Justes, elle ne me gêne en aucune manière. J’ai toujours vu mes livres comme des pommiers, content qu’on mange de mes pommes, et content qu’on en prenne une, à l’occasion, pour la planter dans un autre sol. A plus forte raison, suis-je profondément touché, bouleversé, même, qu’un écrivain noir ait pu prendre appui sur le Dernier des Justes pour faire un livre tel que Le devoir de violence. Ainsi donc, monsieur Ouologuem n’est pas mon débiteur, mais moi, le sien. Tout ce que je regrette, c’est qu’il n’ait pas jugé utile de m’adresser jamais le moindre mot.

Mais je ne connais pas Ouologuem, il n’est pas mon ami. Et tout serait parfait si son livre avait paru n’importe où, sauf au Seuil », écrit André Schwartz-Bart. Décrédibilisé par la presse française et à bout de nerfs, Yambo Ouologuem finit par se prononcer. Il explique que son livre « cite » les auteurs qu’on l’accuse d’avoir plagié tout comme il a « cité, comme Ki Zerbo, comme Leo Frobénius, comme Okba ben Nafi el Fitri, comme le Tarik, divers griots, chroniqueurs noirs ». « L’architecture initiale de mon roman était en clins d’œil, références, guillemets, narrations, analyses », explique Yambo Ouologuem. Seulement, cette sortie ne calme pas l’affaire. Critiqué et désormais en guerre ouverte contre son propre éditeur, Yambo Ouologuem rentre au Mali, dans son village natal.

Après quelques tentatives infructueuses de relancer sa carrière d’écrivain (Lettre à la France nègre, Les mille et une bibles du sexe), Yambo Ouologuem ne reviendra pas sur le devant de la scène littéraire. Il se tient loin des médias et du petit monde des lettres françaises, jusqu’à son décès, en 2017.

Timide réhabilitation

Dans les années 2000, on ne retrouve plus de traces du livre « Le devoir de violence ». Son auteur quant à lui a trouvé la paix dans sa nouvelle vie qu’il dédie à la piété musulmane et refuse de se rapprocher de son passé d’écrivain.

4 sowIl se tient loin des médias et du petit monde des lettres françaises, jusqu’à son décès, en 2017. (photo Aayouba Sow).

Enfin, c’est ce qu’il laisse paraître. En 2005, au Mali, il se serait rendu à un évènement qui lui était dédié et aurait renversé la pile de livres qui y était exposée. Malgré tout, sous la pression d’amateurs du travail de Yambo Ouologuem, notamment en Afrique, son livre sera réédité en 2003 par la maison Le Serpent à Plumes.

En plus, le pôle pour les études africaines de la faculté de lettres de l’université de Lausanne organise, en collaboration avec l’université de Strasbourg, un colloque international de deux jours sur l’œuvre de l’écrivain malien. En 2015, l'éditeur Jean-Pierre Orban, dont l'importante enquête publiée sur la plateforme Open Édition Journals a permis d'accéder aux correspondances inédites entre les différents acteurs de l'affaire Ouologuem, réédite « les Mille et une bibles du sexe ». En 2018, les éditions du Seuil ressortent le roman.

Seulement, il semble que ce ne soit qu’avec le Goncourt remporté par Mohamed Mbouga Sarr que Yambo Ouologuem pourrait être totalement réhabilité devant l’histoire, lui dont la carrière avait été poignardée par un autre Goncourt.

Seulement, il semble que ce ne soit qu’avec le Goncourt remporté par Mohamed Mbouga Sarr que Yambo Ouologuem pourrait être totalement réhabilité devant l’histoire, lui dont la carrière avait été poignardée par un autre Goncourt.

On peut se consoler en se disant que la précocité du Malien a pavé la voie pour de jeunes génies de la plume comme Mohamed Mbouga Sarr, dont le livre, il faut le dire, ne parle pas seulement de Yambo Ouologuem.

Servan Ahougnon

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