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Jean-Jacques Muyembe : combattre Ebola pendant 40 ans et au final, gagner la bataille

  • Date de création: 01 octobre 2021 17:05

(Agence Ecofin) - Après avoir fait partie de l’équipe ayant découvert Ebola, le virologue congolais a dédié sa vie à combattre cette maladie. Désormais, il est convaincu d’y être arrivé grâce au médicament qu’il a élaboré au bout d’une recherche de plusieurs décennies.

« Ebola est vaincue ». Dans la bouche de n’importe quel médecin de la planète, cette affirmation aurait pu passer pour une folie. Pas dans celle de Jean-Jacques Muyembe. Co-découvreur du virus en 1976, le virologue a passé 40 ans à chercher des moyens de lutter contre le virus. Sa réponse se concrétise en « Ebanga », un traitement approuvé par les autorités américaines et qui semble montrer le bout du tunnel aux nombreuses populations africaines vivant sous la hantise d’Ebola.

Yakumbu et le début de l’horreur

Ce 16 septembre, la joie était palpable sur le visage de Jean-Jacques Muyembe. « Je suis le plus heureux des Congolais. Pendant quarante ans j'ai été témoin et acteur de la lutte contre cette maladie terrifiante et meurtrière et je peux dire aujourd'hui: elle est vaincue, elle est évitable et guérissable », a exulté le virologue de 78 ans. 

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Comme dans beaucoup de familles, on attribuait une carrière à chaque enfant. Mon père m’a dit : “Toi, tu seras médecin”. Ce que j’ai fait » 

Effectivement, sans Ebola, la vie de ce médecin de RDC aurait peut-être été moins mouvementée. Avant cela, la vie du virologue était aussi tranquille que pouvait l’être celle d’un médecin respecté. 

« Pendant quarante ans j'ai été témoin et acteur de la lutte contre cette maladie terrifiante et meurtrière et je peux dire aujourd'hui: elle est vaincue, elle est évitable et guérissable.»

Né en 1942 en RDC, dans l'ancienne province de Bandundu (actuelle province du Kwilu), Jean-Jacques Muyembe-Tamfum est issu d’une famille paysanne. En grandissant, il étudie chez les Jésuites jusqu’au baccalauréat. « Je n’ai pas décidé de devenir médecin. Comme dans beaucoup de familles, on attribuait une carrière à chaque enfant. Mon père m’a dit : “Toi, tu seras médecin”. Ce que j’ai fait », explique Jean-Jacques Muyembe. Il s’oriente alors vers des études  de médecine à l’Université Lovanium (actuelle université de Kinshasa) en RDC. Il y obtient son diplôme en 1969. Il rejoint ensuite la Belgique. Il s’y spécialise en virologie et soutient en 1973 sa thèse en virologie à l’Université de Louvain KUL. L’établissement propose ensuite un travail à son nouveau virologue qui l’accepte. Il y étudie les infections virales en utilisant des rongeurs comme cobayes. Il rentre en République démocratique du Congo en 1973 pour travailler avec les services chargés de la lutte contre les épidémies. 

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« Si je ne m'étais pas lavé les mains, je serais mort » 

En 1974, sous la dictature du président Mobutu, il fait son baptême du feu avec une épidémie de choléra à Matadi. Il doit ensuite affronter une épidémie de méningite qui décime l’armée locale. Il ne le sait pas encore mais sa prochaine mission durera 40 ans. Elle commence lorsqu’en 1976, le virologue est envoyé dans le village de Yambuku, au Nord du Zaïre. Des religieuses et du personnel médical y tombent malades et meurent pour une raison inconnue.

Un tueur nommé Ebola

Sur place, Jean-Jacques Muyembe est perplexe. « Les symptômes étaient assez banals, j’ai d’abord pensé à la fièvre typhoïde. Mais le taux de mortalité était vraiment élevé. Et puis, lorsque je faisais mes prélèvements et que je retirais l’aiguille, le sang coulait abondamment », explique-t-il. Entre les malades et les cadavres, le virologue, débordé, ne sait plus où donner de la tête. « Nous travaillions à mains nues, sans vêtements de protection. J'ai prélevé des échantillons de foie sur deux cadavres, à l'aide d'une tige métallique. Si je ne m'étais pas lavé les mains, je serais mort », se souvient-il. 

Il ne le sait pas encore mais sa prochaine mission durera 40 ans. Elle commence lorsqu’en 1976, le virologue est envoyé  dans le village de Yambuku, au Nord du Zaïre. 

Après avoir multiplié les prélèvements, Jean-Jacques Muembe n’arrive toujours pas à cerner le mal. Il rentre à Kinshasa avec une religieuse malade, et ne parvient toujours pas à identifier le micro-organisme causant la maladie. Il décide alors d’envoyer un échantillon de sang à l’Institut de médecine tropicale d’Anvers, où le virus sera finalement identifié par Peter Piot. La maladie est baptisée  « Ebola », du nom d’une rivière qui coule à côté de Yambuku. Elle ne se manifestera plus jusqu’en 1995. 

Un combat long de 40 ans

A partir de 1995, les épidémies se succèdent par vagues. « La population recourt de plus en plus à la viande de brousse, les chasseurs s’aventurent de plus en plus en profondeur dans la forêt. Or c’est un animal (non-identifié, NDLR) qui transmet Ebola », s’inquiète Jean-Jacques Muyembe. Durant l’épidémie de 1995 qui se déclare dans la ville de Kikwit, le virologue à l'idée de traiter huit malades par transfusion de sang de personnes convalescentes. Sept malades survivent. Même si l’échantillon n’est pas représentatif, l’idée de guérir les malades avec les anticorps de personnes ayant résisté au virus commence à traverser l’esprit de Jean-Jacques Muyembe. Malgré tout, le médecin ne peut que circonscrire les dégâts en attendant. Pendant ce temps, Ebola tue plus de 15 000 personnes dont 11 000 entre 2013 et 2016. La découverte d’un vaccin vient permettre à Jean-Jacques Muyembe de lutter plus efficacement contre la maladie. « Lorsque la maladie survient, on interrompt la chaîne de transmission en vaccinant par ceinture, c'est-à-dire autour d'un cas positif, et on traite les malades. Si l'épidémie est déclarée à temps, elle peut être terminée en une semaine», explique le docteur Muyembe. 

« Lorsque la maladie survient, on interrompt la chaîne de transmission en vaccinant par ceinture, c'est-à-dire autour d'un cas positif, et on traite les malades. Si l'épidémie est déclarée à temps, elle peut être terminée en une semaine.» 

En 2015, il reçoit le prix Christophe Mérieux pour ses recherches approfondies dans le bassin du Congo, puis le prix Royal Society Africa Prize pour son travail sur les fièvres hémorragiques virales. Le virologue poursuit son travail dans le but d’aider son pays à mieux gérer le virus qui survient sans crier gare. En 2018, lorsque le virus refait surface, il rencontre un nouvel adversaire, en plus du vaccin, le médicament. L’idée de soigner les malades avec des anticorps de convalescent a fait son chemin. 

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“Vous savez, je suis comme le whisky Johnny Walker : Born 1820. Still going strong !” 

Grâce à l’aide de laboratoires occidentaux, l’équipe de Jean-Jacques Muyembe produit un remède qui s’avère efficace. Ce sera la première version d’Ebanga. Il s’agit d’un traitement monoclonal (substances produites en laboratoire ayant la capacité de reconnaître une molécule cible particulière et de s’y fixer) qui donne de formidables résultats dès ses premières utilisations. « Maintenant, on peut contrôler parfaitement cette maladie, comme n’importe quelle autre », se réjouit le docteur qui déclarera 3 années plus tard, après qu’Ebanga a reçu les autorisations en tant que traitement efficace contre la maladie, qu’Ebola était vaincu. Ce n’est pourtant pas aussi péremptoire. De 60% de mortalité, Ebanga fait passer le virus à 30% de mortalité. La guerre n’est pas encore terminée, surtout quand on prend en compte que l’animal qui transmet le virus n’a pas encore été identifié avec exactitude.

D’un virus à l’autre

En 2020, le gouvernement de la RDC confie sa riposte contre la Covid-19 à Jean-Jacques Muyembe. La longue expérience du virologue force le respect. Seulement, il va déclencher un tollé en se déclarant favorable à ce que les vaccins créés en Europe soient testés en Afrique. « Mon intention n'était pas d'affirmer que nous allons commencer la vaccination en RDC, sans qu'il soit testé en Amérique ou ailleurs. Je suis moi-même congolais et je ne permettrais jamais qu'on utilise les Congolais comme cobayes », explique le docteur Muyembe. Et pour le moment, la Covid-19 est loin d’être vaincue. Epuisé, le virologue de 78 ans a déjà déclaré que ce serait sa dernière épidémie. « Si on réussit à gagner ce défi, ce sera une fin de carrière glorieuse, et ça légitimera tous les prix scientifiques que j’ai reçus. Que ferais-je après la Covid-19 ? Me reposer, voyager, et jouer avec mes petits-enfants. Vous savez, je suis comme le whisky Johnny Walker : Born 1820. Still going strong ! (né en 1820, toujours en pleine forme)», déclare en riant Jean-Jacques Muyembe. Et on aimerait tant que la pandémie actuelle soit également « vaincue ». 

Servan Ahougnon

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