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Pascal Lissouba : brillant technocrate, piètre politicien

  • Date de création: 28 août 2020 18:09

(Agence Ecofin) - Au Congo, seulement quelques semaines après le décès de Joachim Yhombi-Opango, on pleure la mort d’un autre ancien président : Pascal Lissouba. Némésis de l’actuel président du Congo qu’il aura finalement affronté toute son existence durant, celui qui restera dans l’histoire comme le premier président démocratiquement élu du pays n’arrivera jamais à saisir toutes les nuances de sa nation si particulière.

« Avec un cœur lourd et meurtri, je vous annonce le décès, ce lundi 24 août 2020, de mon père, le professeur Pascal Lissouba, ancien président de la République du Congo, à son domicile en France ». C’est par ce post Facebook que Jérémie Lissouba, fils de l'ancien chef d'Etat défunt, a annoncé au monde le décès de son père qui a dirigé le Congo de 1992 à 1997.

L’annonce de la mort de l’homme politique de 88 ans a provoqué un déferlement d’hommages, notamment du côté de l’opposition congolaise qui a loué la place occupée dans l’histoire par le premier président démocratiquement élu de l’histoire du pays. Toutefois, outre les opposants et autres personnalités proches de l’ancien président sur le plan politique, son décès a suscité un hommage de la part du gouvernement congolais.

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Pascal Lissouba : « En 1977 Bongo m’a sauvé la vie et en 1997 le même Bongo m’a tué ».

Pour Thierry Moungalla, le ministre de la Communication, il était « un homme d’Etat dont la place dans l’histoire du Congo est assurée puisqu’il a joué un grand rôle dans l’histoire et la vie politique du pays. Il a été le premier président élu de l’ère post-conférence nationale, l’ère dite du multipartisme ». Cette déclaration issue du gouvernement de Denis Sassou Nguesso, est-elle la dernière leçon de realpolitik pour Pascal Lissouba, son meilleur ennemi ? On peut le penser, car après des années de rivalité, le réalisme froid de l’actuel président survit à l’idéalisme cru de Pascal Lissouba à la tête du Congo.

Un idéaliste dans un monde truqué

D’une manière générale, l’histoire entre le Congo et Pascal Lissouba a tout du drame romantique qui voit un amoureux transi échouer à garder sa dulcinée. Alors même que ce dernier ne lui est pas indifférent, elle finit par convoler en justes noces avec un homme moins aimant qui, s’il la rend plus malheureuse, est indéniablement plus réaliste.

D’une manière générale, l’histoire entre le Congo et Pascal Lissouba a tout du drame romantique qui voit un amoureux transi échouer à garder sa dulcinée.

Cette situation laisse l’amoureux déçu amer, plein de remords et accusateur envers tout le monde, sauf lui. Pascal Lissouba semblait être assuré que les choses auraient été significativement différentes sans la trahison de son ami Omar Bongo. Ce dernier aidera finalement Denis Sassou Nguesso, (son beau-père), dans la guerre l’opposant à Pascal Lissouba. « En 1977 Bongo m’a sauvé la vie et en 1997 le même Bongo m’a tué », confie le président éconduit à Marc Mapingou, son ancien directeur de campagne pour l'élection présidentielle de 1992.

Effectivement, en 1977, quelques heures après l’assassinat du président Marien Ngouabi, Pascal Lissouba est arrêté sur ordre du ministre de la Défense qui n’est autre que Denis Sassou Nguesso. Condamné à mort pour complicité dans la conspiration ayant conduit à la mort de Marien Ngouabi, il ne doit sa survie qu’à l’intervention d’Omar Bongo Ondimba auprès de Denis Sassou Nguesso. Dans la guerre qui oppose, en 1997, Pascal Lissouba aux miliciens Cobras de Denis Sassou Nguesso, le premier est convaincu que les armes du second transitent par le territoire contrôlé par son ami gabonais. Pendant des années, l’ancien président congolais en a également voulu à Jacques Chirac, son allié, ainsi qu’au président angolais José Eduardo dos Santos qui a aidé la conquête de Denis Sassou Nguesso.

Pendant des années, l’ancien président congolais en a également voulu à Jacques Chirac, son allié, ainsi qu’au président angolais José Eduardo dos Santos qui a aidé la conquête de Denis Sassou Nguesso.

Longtemps, Pascal Lissouba a été amer. Il était convaincu, et à raison, que le Congo, en tout cas une grande partie, l’aimait et ce sentiment était plus que réciproque de son côté. Pour le constater, il suffit de considérer l’aura qu’a conservée le président, ainsi que les déclarations sur sa période à la tête du pays : « Il gardera l’image d’un président volontariste, intellectuel. Son instruction lui a à la fois valu une image de président froid, rigoureux, et aussi éloigné, parfois, des réalités locales. C’était un personnage détaché des biens matériels, ce qui tranche avec la réputation de son tombeur et de bien des dirigeants d’Afrique centrale, souvent associés au népotisme et à la prédation », déclare dans Libération, le géographe gabonais Serge Loungou.

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« C’était un personnage détaché des biens matériels, ce qui tranche avec la réputation de son tombeur »

« Je me souviens de son grand amour pour notre pays. Sa grande foi dans les Congolais pour faire de ce pays, comme il le disait lui-même une petite Suisse. Il disait que nous avions et les moyens et les qualités pour y parvenir. Il suffisait d’y mettre de la volonté et de l’amour et nous y parviendrions avec la science et la technologie », se rappelle, dans des propos repris par RFI, Claudine Munari, son ancienne directrice de cabinet qui dirige actuellement la fédération de l'opposition congolaise.

« Sa grande foi dans les Congolais pour faire de ce pays, comme il le disait lui-même une petite Suisse. Il disait que nous avions et les moyens et les qualités pour y parvenir. Il suffisait d’y mettre de la volonté et de l’amour et nous y parviendrions avec la science et la technologie »

« Il avait les mots qui touchent. Quand il disait par exemple ‘’Je comprends les femmes. C’est parce qu’elles donnent la vie qu’elles sont les plus promptes à la défendre’’. Vous savez, quand on parle comme ça devant les mamans, ça les touche. Ce sont des choses qui ont beaucoup marqué et je crois que son succès en 1992 dépend de tout cela. Il a fédéré les gens autour de son projet, les femmes se sont levées », complète-t-elle. Dans ce registre, on peut aussi classer la première phrase prononcée lors de son tout premier meeting politique. « Je suis venu pour vous servir, et non pas pour me servir ».

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« Je comprends les femmes. C’est parce qu’elles donnent la vie qu’elles sont les plus promptes à la défendre ».

Malgré tout, Pascal Lissouba perdra la présidence du Congo aux dépens de Denis Sassou Nguesso. Son amour pour le pays n’a pas suffi. Il faut dire que si le cœur y était, les actes eux étaient presque lunatiques. En 1993, Pascal Lissouba veut s’attirer les bonnes grâces des Etats-Unis parce que le marxisme, dont il était un défenseur, s’essouffle. Il décide de vendre la majorité des ressources pétrolières du pays à la compagnie américaine Occidental Petroleum (Oxy). La convention signée, le 28 avril 1993, entre son gouvernement et le pétrolier stipule que 85 millions de barils seront livrés à Oxy pour un prix de 150 millions de dollars. Cela revient pour la compagnie américaine à acheter un baril de pétrole à 1,76 dollar, pendant qu’il coûte au moins 14 dollars sur le marché. A ce niveau, ce n’est plus un cadeau… La Banque mondiale et le FMI ordonnent au Congo de résilier ce contrat inique. Oxy dit n’accepter une résiliation qu’à condition que l'Etat congolais lui verse une indemnité de 215 millions de dollars.

La Banque mondiale et le FMI ordonnent au Congo de résilier ce contrat inique. Oxy dit n’accepter une résiliation qu’à condition que l'Etat congolais lui verse une indemnité de 215 millions de dollars.

Le président Pascal Lissouba accepte, même s’il n’a pas les fonds. Finalement, il empruntera les 215 millions de dollars. Au final, avec capital et intérêts le Congo paie 400 millions de dollars pour résilier un contrat qui n'a jamais été exécuté. Peu réaliste, le président congolais s’est simplement fait berner. N’en déplaise à son amour débordant pour le pays, certaines de ses décisions n’ont pas profité au Congo. Et pourtant Pascal Lissouba reste l’un des plus grands intellectuels de l’histoire de ce pays…

Un homme d’exception

« Le président Lissouba a très certainement, dans les conditions qui étaient les siennes, fait honneur à la République du Congo. Il reste cette personne que la République respectera, parce que, ne l'oublions pas, au-delà de son statut d’homme politique, Pascal Lissouba a été un scientifique mondialement reconnu », rappelle Christian Bouanga, un juriste congolais.

« Il reste cette personne que la République respectera, parce que, ne l'oublions pas, au-delà de son statut d’homme politique, Pascal Lissouba a été un scientifique mondialement reconnu »

Effectivement, l’homme politique né le 15 novembre 1931 à Tsinguidi et décédé le 24 août dernier était un homme d’exception. C’est dans cette petite localité située à 70 km au nord de Mossendjo, dans le département du Niari qu’il est élevé par des parents appartenant à l'ethnie Nzebi, une communauté à cheval sur le Congo et le Gabon. Elève assidu et considéré comme une véritable pépite par ses enseignants, Pascal Lissouba affiche un parcours scolaire classique chez les intellectuels africains de cette époque. Après avoir fait ses études primaires près de sa région natale, il commence ses études secondaires à Brazzaville avant de les poursuivre à Nice, en France, où il obtient son baccalauréat en 1952 au lycée Félix Faure. Il devient ensuite l’un des rares intellectuels de sa région, à l’époque, à accéder à des études universitaires. Il fait des études d’agronomie à l'Ecole supérieure d'agriculture de Tunis et obtient en 1956 un diplôme d’ingénieur agronome. Il retourne alors en France où il obtient une licence en sciences naturelles puis un doctorat. En 1961, il est chargé de recherches à l'ORSTOM (aujourd'hui Institut de recherche pour le développement) avant d’être promu maître de conférences en biologie végétale. Il rentre au Congo l’année suivante et est nommé directeur général des services agricoles.

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Le 16 août 1963, Alphonse Massamba-Débat, désigné chef du gouvernement provisoire par l’armée, après le renversement de Fulbert Youlou, le nomme ministre de l’Agriculture. Candidat unique, Alphonse Massamba-Débat est élu durant le mois de décembre suivant. Il nomme Pascal Lissouba Premier ministre alors que ce dernier n’a que 32 ans. Le jeune premier ministre forme alors un gouvernement de 9 membres et garde le portefeuille du département de l’agriculture. D’obédience socialiste, le gouvernement de Pascal Lissouba souhaite réduire la dépendance de l’économie congolaise vis-à-vis des capitaux étrangers en nationalisant les entreprises phares de plusieurs secteurs de l’économie. Le Congo s’éloigne des pays occidentaux et se rapproche des communistes.

Il nomme Pascal Lissouba Premier ministre alors que ce dernier n’a que 32 ans. Le jeune premier ministre forme alors un gouvernement de 9 membres et garde le portefeuille du département de l’agriculture.

En 1966, des divergences avec le président Massamba-Débat poussent Pascal Lissouba à présenter sa démission. Sous la pression de l’armée, le président finira par démissionner. Il est remplacé par Marien Ngouabi. Durant la présidence de ce dernier, Pascal Lissouba, retourné à l’enseignement, est arrêté à de nombreuses reprises puis relâché pour complicité dans des tentatives de putsch ou des mouvements contre l’autorité. En 1977, après l’assassinat de Ngouabi, il est arrêté sur ordre de Denis Sassou-Nguesso. Ce dernier est par nature le rival de Pascal Lissouba. En plus de l’antagonisme sous-jacent entre militaires et intellectuels, les deux hommes sont opposés par leurs ethnies. Denis Sassou Nguesso a son fief dans le nord du pays tandis que Pascal Lissouba représente le sud, plus précisément le Nibolek, formé du trio Niari-Bouenza-Lékoumou. Condamné à mort, Pascal Lissouba ne doit la vie qu’à l’intervention d’Omar Bongo. Il promet alors de se retirer de la vie politique. Il devient ensuite professeur de génétique à l'université de Paris, puis directeur du secteur des sciences exactes et naturelles de l'Unesco, avant de devenir, à Nairobi, directeur du Bureau africain pour la science et la technologie de cette organisation.

Faux départ, présidence et tourments

La promesse de Pascal Lissouba tient pendant 14 ans. En 1991, le vent de démocratie qui souffle sur l’Afrique pousse Denis Sassou Nguesso à organiser une conférence nationale. Pascal Lissouba doit rentrer à Brazzaville. Mais avant, il fait un détour par Libreville pour rencontrer son ami Omar Bongo. Lui a-t-il expliqué qu’il souhaitait renoncer à sa promesse ? Quoi qu’il en soit, à la faveur de la conférence nationale qui a fait briller certains intellectuels congolais, Pascal Lissouba devient très populaire. Durant la conférence, il présente sa candidature pour être Premier ministre de la transition démocratique du Congo. En tête aux deux premiers tours, il est finalement battu au quatrième tour par André Milongo. Pas de problèmes, ce n’est que partie remise. En juillet 1991, Pascal Lissouba fonde l'Union panafricaine pour la démocratie sociale (UPADS) et s’allie avec le Parti congolais du travail (PCT), au pouvoir jusque-là, qui a pris ses distances avec Denis Sassou Nguesso.

Le 16 août 1992, Pascal Lissouba est élu président au grand dam de son rival. Seulement, entre déboires économiques et divisions ethniques, le mandat de Pascal Lissouba ne se passe pas aussi bien que prévu. Sur le plan politique, le PCT fait sécession lorsque ses cadres n’obtiennent pas le nombre de postes souhaité au sein du gouvernement. En représailles, le président dissout l'Assemblée où le PCT est majoritaire. De 1993 à 1994, la contestation se transforme en un premier conflit qui fait plus de 2000 morts.

Le 16 août 1992, Pascal Lissouba est élu président au grand dam de son rival. Seulement, entre déboires économiques et divisions ethniques, le mandat de Pascal Lissouba ne se passe pas aussi bien que prévu.

Un accord de paix vient améliorer le climat jusqu’en 1997, lorsqu’à l’approche des élections, Denis Sassou Nguesso revient au Congo. L’affrontement entre les milices fidèles à ce dernier, appuyées par des troupes angolaises, et les hommes de Pascal Lissouba, appuyés par les mouvements armés de son dernier Premier ministre Bernard Kolélas fera entre 5000 et 10 000 morts en à peine 5 mois. Denis Sassou Nguesso gagne la guerre. Pascal Lissouba part en exil. Il accusera Jacques Chirac et le pétrolier Elf d’avoir aidé son ennemi intime. En 1999, Pascal Lissouba est condamné par contumace à Brazzaville pour crimes de guerre. En décembre 2001, il est poursuivi pour avoir bradé le pétrole congolais à OXY. Pour cette accusation, il est condamné, toujours par contumace, à 30 ans de travaux forcés et à une amende de 25 milliards FCFA, par la Haute Cour de justice de Brazzaville, pour « crime de haute trahison ».

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Denis Sassou Nguesso lui est toujours vivant et à la tête du Congo.

L’exil de Pascal Lissouba le ramène en France où il ruminera longtemps sa défaite face à Denis Sassou Nguesso. Dans le désespoir, il maudit alors ses faux amis et ses ennemis. « Je partirai après Omar, Edith Lucie [Bongo, Ndlr], Chirac et Sassou », aurait-il confié en 2009 à Marc Mapingou, d’après des propos de ce dernier repris par RFI. La jettatura ne sera pas complète. Si effectivement Omar Bongo, son épouse et Jacques Chirac sont bien décédés avant Pacal Lissouba, Denis Sassou Nguesso lui est toujours vivant et à la tête du Congo.

Servan Ahougnon

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