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Ghana : après un premier mandat de 4 ans, Nana Akufo-Addo face au bilan de sa « révolution économique »

  • Date de création: 27 novembre 2020 15:48

(Agence Ecofin) - Le 7 décembre prochain, les Ghanéens seront appelés à élire leur président pour les quatre prochaines années. Comme en 2016, un match entre deux hommes monopolisera le feu des projecteurs : Nana Akufo-Addo vs John Dramani Mahama. Cependant, le contexte est cette fois différent. S’il avait été élu avec une étiquette d’opposant venu changer la donne, le président sortant âgé de 76 ans doit désormais défendre son bilan. Il avait promis au Ghanéens une révolution économique. Elle a bien été lancée, avec un réel succès. Mais maintenant il va falloir en payer l’addition.

Une croissance économique revitalisée

Lorsque Nana Akufo-Addo arrive au pouvoir début 2017, le Ghana fait face à un essoufflement de son économie. En effet, alors qu’entre 2000 et 2013 le pays affiche une croissance moyenne de 6,6%, celle-ci s’effondre brutalement. D’après les données du FMI, la croissance passe ainsi de 7,1% en 2013, à 2,8% en 2014, puis à 2,1% en 2015, avant de remonter légèrement à 3,4% en 2016. Pendant ce temps, les difficultés fiscales et macroéconomiques s’accumulent. Le déficit budgétaire peine à être contrôlé et l’inflation atteint des niveaux records alors que la dette continue de s’accroître.

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La croissance bondit à 8,1%, dès la première année d’Akufo-Addo à la tête du pays.

Promettant de donner un second souffle à l’économie, Nana Akufo-Addo prend les choses en main et décide, dès le début de son mandat, d’opter pour la rigueur. Grâce à cette stratégie, l’Etat réduit grandement son déficit budgétaire qui passe de plus de 9% en 2016, à 5,3% en 2017, et se maintient au tour des 4,5% jusqu’en 2019. Afin de mieux gérer les finances publiques, le chef de l’Etat fait adopter le « Fiscal Responsibility Act », dont l’un des objectifs est de maintenir le déficit budgétaire en dessous des 5% du PIB.

Grâce à cette économie dynamisée, le Ghana figure très vite parmi les dix pays ayant la croissance la plus rapide au monde.

Grâce à cette stratégie qui s’accompagne d’un plan d’investissement, dans les infrastructures et les hydrocarbures notamment, la croissance bondit à 8,1%, dès la première année du président Akufo-Addo à la tête du pays, avant de se stabiliser à un peu plus de 6% en 2018 et 2019. Après des années de déficit, la balance commerciale redevient positive dès 2017. Grâce à cette économie dynamisée, le Ghana figure très vite parmi les dix pays ayant la croissance la plus rapide au monde.

Cette amélioration s’accompagne d’une baisse progressive du niveau de l’inflation que les nouvelles autorités décident de maintenir entre 6% et 10%. De 17% en 2015 et 2016, la tendance à la hausse des prix a ainsi ralenti à 12,5% en 2017, puis à 9,8 et 7,1% en 2018 et 2019, selon le FMI.

Des investissements pour accélérer la relance du secteur industriel

Si les chiffres de la croissance sont effectivement favorables au président Nana Akufo-Addo, excepté l’année 2020 marquée par la pandémie de Covid-19, le président sortant a surtout souhaité placer son mandat sous le signe de l’industrialisation. Pour accélérer la relance du secteur industriel ghanéen, le chef de l’Etat a établi un plan en 10 points, baptisé « The 10 Point Agenda ».

Celui-ci s’articule autour d’un programme national de dynamisation industrielle (consistant à accorder des financements à certaines entreprises en difficulté) ; un programme concernant les industries stratégiques et un programme de construction de parcs industriels et de zones économiques spéciales. Il se base également sur une stratégie de développement des PME, un plan de développement des exportations, un programme d’amélioration de l'infrastructure nationale du commerce de détail. A ceci s’ajoutent des réformes sur la réglementation du secteur des affaires, une stratégie sur le développement de la sous-traitance industrielle et enfin un plan d’amélioration du dialogue entre les secteurs public et privé grâce à la mise en œuvre d’un « Business Summit » annuel.

Cependant, c’est le programme « One District-One Factory » (1D1F) qui est l’initiative phare de ce projet. Dans le cadre de ce programme, le président Akufo-Addo s’est en effet engagé à doter chacun des 260 districts du pays d’une usine. L’objectif est de transformer les nombreuses matières premières dont dispose le pays, mais qu’il exporte de façon brute, sans valeur ajoutée, ce qui engendre un manque à gagner important pour l’économie nationale.

Pour financer ce programme, les autorités ont mis en place un partenariat public-privé, en mobilisant des fonds auprès de leurs partenaires financiers. Ainsi, en avril 2019, les Etats-Unis ont débloqué 300 millions $ en faveur du projet.

Dans le cadre de ce programme, le président Akufo-Addo s’est en effet engagé à doter chacun des 260 districts du pays d’une usine.

Si les objectifs sont aujourd’hui encore loin d’être atteints, les chiffres annoncés par les autorités sont plutôt encourageants pour la suite. En effet, en juillet dernier, le ministre ghanéen des Finances Ken Ofori-Atta avait annoncé, devant le parlement, que sur 232 usines d’abord prévues, 76 sont déjà construites et opérationnelles. 156 unités de production sont en cours de réalisation, dont 36 sont financées par la Banque africaine de développement (BAD). Et ces chantiers s’accompagnent de la création de centaines de milliers d’emplois, si l’on en croit l’exécutif.

Ainsi, même si elle n’a pas encore porté ses fruits, la stratégie d’industrialisation de l’économie ghanéenne mise en place par Nana Akufo-Addo a le mérite d’avoir été initiée et semble lentement mais sûrement se concrétiser. Selon la BAD, entre 2016 et 2019, le secteur industriel du Ghana a enregistré une croissance de plus de 10% en moyenne.

Le plan « Ghana Beyond Aid » et la question épineuse de la dette

Dès 2017, Nana Akufo-Addo se présente aux yeux des Ghanéens et du monde comme un chantre de l’autodétermination africaine en matière de développement. Comme il le confirmera dans un célèbre discours prononcé lors d’une visite à Accra du président Emmanuel Macron, le chef de l’Etat pense que l’Afrique n’a plus à compter sur l’aide des pays étrangers pour financer son développement. Dès lors, le principal leitmotiv de son mandat sera « Ghana Beyond Aid », traduisible en français par « le Ghana au-delà de l’aide ».

Lire aussi : 08/12/2017 - Nana Akufu-Addo : les gènes de l’héroïsme

Dans cette optique, le chef de l’Etat annonce, dès mars 2018, qu’il ne renouvellera pas le programme de réformes initialement signé en 2016 par son prédécesseur avec le Fonds monétaire international (FMI) pour relancer l’économie qui était alors à bout de souffle.

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L’argument No 1 des adversaires de Nana Akufo-Addo.

« Je suis heureux d'annoncer que le dur labeur donne des résultats positifs. Les fondamentaux macroéconomiques ont connu des améliorations grâce à une meilleure discipline budgétaire et monétaire. L'aspect important et la pierre angulaire de notre gouvernement, à l'avenir, est de demeurer engagé à l'égard de la discipline financière afin de ne plus jamais avoir recours au FMI ou à un plan de sauvetage de ce genre », déclare-t-il. Dès le mois de novembre de la même année, le chef de l’Etat soumet son premier budget hors programme avec le FMI. Face aux inquiétudes grandissantes par rapport aux contraintes de cette décision, les autorités s’engagent à maintenir la discipline budgétaire et insuffler une nouvelle dynamique à l'économie nationale, afin de booster la croissance. Deux ans après, cette discipline budgétaire semble s’effriter, notamment en ce qui concerne la gestion de la dette publique.

« L'aspect important et la pierre angulaire de notre gouvernement, à l'avenir, est de demeurer engagé à l'égard de la discipline financière afin de ne plus jamais avoir recours au FMI ou à un plan de sauvetage de ce genre »

En effet, en remplacement de l’aide du FMI ou des pays étrangers, le Ghana de Nana Akufo-Addo a adopté une stratégie d’endettement massif, non seulement auprès de ses partenaires, mais également sur le marché international des capitaux. En février dernier, le pays a émis 3 milliards $ d’eurobonds sursouscrits près de cinq fois et prévoit déjà de lever 5 milliards $ l’année prochaine (2021) pour financer ses plans de dépenses. En 2018, le pays a obtenu un financement de 2 milliards $ de la part de la Chine, mais en échange, il a dû lui garantir l’accès à 5% de ses réserves totales de bauxite.

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Le principal leitmotiv de son mandat sera « Ghana Beyond Aid ».

En 4 ans, la stratégie du président Akufo-Addo aura fait exploser la dette publique du pays et exacerbé les risques sur la viabilité extérieure de l’économie, en raison de la part importante des investisseurs étrangers dans cette dette. En juillet 2018, on estimait la dette publique du Ghana à 53,1% du PIB. En juillet 2019, elle passe à 59,4%, puis à 64% début 2020 et à 71% au 30 septembre 2020, son niveau le plus élevé en quatre ans. Et selon les statistiques, plus du tiers de cette dette est aujourd’hui détenu par des investisseurs étrangers, exposant ainsi le pays aux fluctuations des marchés mondiaux et aux risques du marché des changes.

En 4 ans, la stratégie du président Akufo-Addo aura fait exploser la dette publique du pays et exacerbé les risques sur la viabilité extérieure de l’économie, en raison de la part importante des investisseurs étrangers dans cette dette.

S’il ne veut plus dépendre de l’aide étrangère pour financer ses programmes de développement, Nana Akufo-Addo semble avoir engagé son pays dans un cycle de la dette qui soulève des craintes de la part de nombreux économistes. Pendant ce temps, le ratio de mobilisation des recettes fiscales, qui aurait pu offrir une alternative moins dangereuse au gouvernement est toujours faible et se situe autour des 15% du PIB soit moins que les 18,5% de moyenne estimée pour l’Afrique subsaharienne, qui est déjà l’une des pires élèves en la matière.

Quatre ans de plus pour poursuivre le grand bond en avant

A la lumière de tout ceci, difficile de dire si Nana Akufo-Addo a réussi son premier mandat, ou si au contraire, ses promesses d’un Ghana nouveau n’ont été qu’illusion.

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« Je suis heureux d'annoncer que le dur labeur donne des résultats positifs.»

La balance commerciale a montré des signes encourageants et la stratégie d’industrialisation du pays offre des perspectives intéressantes, en ce qui concerne le renforcement des bases de la croissance économique. Les réserves de change du pays se portent bien et le Ghana a capté plus du tiers des investissements directs étrangers (IDE) de l’Afrique de l’ouest en 2018. D’après la BAD, « le nouveau programme de réforme de la réglementation commerciale du gouvernement devrait améliorer l’environnement des affaires et mobiliser les revenus intérieurs. L’investissement numérique, surtout dans le secteur financier, permettra un gain en efficience. Avec l’Accord de libre-échange continental africain, l’industrie ghanéenne traitera une quantité grandissante de matières premières issues de la région, augmentera sa production et pourra faire commerce des produits transformés et des produits de l’industrie légère ». De plus, le pays a conservé une véritable aura de nation démocratique et continue d’afficher de bonnes performances en matière de gouvernance, avec une 8e place au classement Mo Ibrahim 2020.

Cependant, le Ghana dépend toujours fortement de ses exportations de matières premières (cacao, pétrole, or) et la stratégie d’endettement des autorités pour financer les projets nationaux n’est pas de nature à rassurer les experts. Même s’il est passé de 11,9% à 7,1% entre 2015 et 2019, le chômage touche encore une grande partie de la jeunesse. L’ancienne Gold Coast reste dans la catégorie des pays ayant un indice de développement humain moyen et occupe la 142e place mondiale au classement 2019.

Mais surtout, le recours du gouvernement au FMI pour obtenir un financement d’un milliard de dollars en avril dernier, a sonné aux oreilles de certains observateurs comme un retour en arrière, par rapport aux promesses de Nana Akufo-Addo de ne plus solliciter l’aide de l’institution de Bretton Woods, même si la pandémie de Covid-19 a considérablement changé la donne.

Aujourd’hui, quatre ans après sa venue au pouvoir, les avis sur la gestion du chef de l’Etat sortant divergent, selon que l’on soit partisan ou détracteur des réformes entreprises, ou que l’on soit d’un bord économique ou de l’autre. Néanmoins, le 7 décembre prochain, ce sera aux Ghanéens de décider s’ils souhaitent accorder quatre ans de plus à l’actuel locataire du Jubilee House, pour poursuivre son « grand bond en avant », ou au contraire, mettre fin à cette révolution économique qui aura (quel que soit le résultat) beaucoup fait parler d’elle sur le continent africain.

Moutiou Adjibi Nourou

Moutiou Adjibi

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