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Roch Marc Christian Kaboré : le bilan de cinq années à la tête du Burkina Faso

  • Date de création: 19 novembre 2020 16:40

(Agence Ecofin) - Elu en 2015, après la révolution populaire qui a chassé le président Blaise Compaoré du pouvoir, Roch Marc Christian Kaboré s’apprête à briguer un nouveau mandat. Cependant, de nombreux observateurs estiment que, si le scrutin vise à permettre aux Burkinabés de désigner leur président, pour les cinq prochaines années, il devrait également sonner comme un référendum populaire sur la gestion du chef d’Etat sortant. Et sur ce terrain, le bilan des cinq premières années de Roch Marc Christian Kaboré à la tête du Burkina Faso est est très contrasté.

Des performances macroéconomiques honorables…

Lorsqu’il arrive au pouvoir en 2015, Roch Marc Christian Kaboré hérite d’un pays plutôt bon élève en matière de croissance économique. Légèrement en recul vers la fin du règne de Compaoré, la croissance économique du pays des hommes intègres était en moyenne de 5,8% entre 2010 et 2015.

1 presidentDès 2016, le nouveau président a remis la croissance sur une courbe ascendante.

En reprenant les rênes de l’économie, le nouveau président remet la croissance sur une courbe ascendante. Elle passe de 3,9% à 5,9% en 2016 puis grimpe à 6,1% et 6,8% en 2017 et 2018, avant de retomber légèrement à 5,6% en 2019. Hormis l’année 2020 où l’économie devrait se contracter de 2%, à cause de la pandémie de Covid-19, le Burkina Faso a été l’un des meilleurs élèves ouest-africains.

Ces performances se sont accompagnées d’une gestion globale saine des finances publiques. Ainsi, le déficit budgétaire s’est progressivement réduit, passant de 7,8 % du PIB en 2017 à 3 % en 2019, selon la BAD.

Ces performances se sont accompagnées d’une gestion globale saine des finances publiques. Ainsi, le déficit budgétaire s’est progressivement réduit, passant de 7,8 % du PIB en 2017 à 3 % en 2019, selon la BAD, sous « l’effet principalement d’une réduction des investissements financés sur les ressources propres de l’Etat, qui semblent être la principale variable d’ajustement », et ce, malgré une hausse des dépenses sécuritaires. L’inflation, elle aussi, est restée à un niveau plus ou moins stable.

D’après la Banque mondiale, « la dette publique est globalement soutenable et le Burkina Faso reste exposé à un risque modéré de surendettement global et extérieur ».

Des investissements accrus

Pour rattraper le retard du pays, le chef de l’Etat a également multiplié les investissements dans plusieurs secteurs. Energie, transport, agriculture, éducation… l’accent a été mis dès le début du mandat du président Kaboré sur les secteurs clés de l’économie burkinabè.

A cet effet, un Plan national de développement économique et social (PNDES) a été adopté pour faciliter la réalisation de projets de développement dans tout le pays, sur la période 2016-2020. Estimé à 15 395 milliards FCFA (27,8 milliards $), il vise à atteindre un taux de croissance économique annuel moyen de 7,7%, créer au moins 50 000 emplois décents par an, tout en réduisant le taux de pauvreté à moins de 35% en 2020.

Si les principaux indicateurs économiques et sociaux montrent que ces objectifs n’ont pas été atteints, il faut néanmoins souligner que de nombreux efforts ont été fournis par les autorités.

Pour réduire le déficit en énergie électrique, les autorités ont fortement misé sur le solaire, en inaugurant notamment la ferme solaire de Zagtouli fin 2017, la plus grande d’Afrique de l’Ouest, qui devrait être suivie dans les prochains mois d’une nouvelle centrale en cours de construction dans la ville de Pâ. On estime qu’entre 2015 et 2020, la production énergétique du pays a doublé pour s’établir à 630 mégawatts. D’après la Banque africaine de développement (BAD), « la construction de nouvelles centrales solaires photovoltaïques devrait fournir 155 MW d’électricité ».

Pour réduire le déficit en énergie électrique, les autorités ont fortement misé sur le solaire, en inaugurant notamment la ferme solaire de Zagtouli fin 2017, la plus grande d’Afrique de l’Ouest.

 

A ceci s’ajoute l’aménagement de pistes rurales pour faciliter l’accès aux zones de production agricole, ainsi que la construction d’infrastructures routières, à l’instar du gigantesque projet de l’échangeur nord de Ouagadougou, pour un montant de 70 milliards FCFA (126 millions $). Selon les autorités, l’Etat a bitumé 771 km de routes entre 2016 et 2019 et 960 autres km sont en travaux sur l’étendue du territoire national. De plus, au cours de la même période, sur 2323 km de pistes rurales, dont les travaux ont été engagés, 1928 km sont achevés.

Sur fond de crise sécuritaire…

Malheureusement, ces investissements n’ont pas réussi à améliorer le climat social et sécuritaire qui a continué de se dégrader au fil des ans. En effet, l’arrivée au pouvoir du président Kaboré, après la transition mouvementée des années 2014-2015, a coïncidé avec l’apparition d’une crise sécuritaire et humanitaire sans commune mesure avec les périodes d’instabilité traversées par le pays jusque-là.

2 securitaireMalheureusement, ces investissements n’ont pas réussi à améliorer le climat social et sécuritaire.

Depuis 2015, le Burkina Faso est ainsi confronté à des enlèvements, attaques et attentats djihadistes, à l’instar de ses voisins malien et nigérien. En octobre 2017, soit moins de deux ans après la prise de fonction du nouveau président, le ministre burkinabé des Affaires étrangères, Alpha Barry, a indiqué devant l’ONU que depuis 2016, le pays avait déjà subi 80 attaques menées par des groupes armés, qui avaient fait 133 morts. De janvier à octobre 2019, plus de 800 incidents sécuritaires ont été rapportés, qui ont fait plusieurs centaines de morts et de blessés, dont la plupart sont des civils.

Au total, on estime que les violences au Burkina ont fait plus d’un million de déplacés et plus de 1600 morts en cinq ans. L’année 2019 a d’ailleurs été l’une des plus difficiles pour le pays qui a vu le nombre de personnes déplacées internes, passer de 50 000 en janvier à 765 000 en mars. Ces violences sont essentiellement alimentées par les groupes djihadistes présents dans le Sahel.

Au total, on estime que les violences au Burkina ont fait plus d’un million de déplacés et plus de 1600 morts en cinq ans. L’année 2019 a d’ailleurs été l’une des plus difficiles pour le pays qui a vu le nombre de personnes déplacées internes, passer de 50 000 en janvier à 765 000 en mars.

Face à l’incapacité du régime Kaboré à résorber cette nouvelle menace encore inconnue des Burkinabés, il y a quelques années, les milices d’autodéfense se sont multipliées dans le pays, soulevant également des inquiétudes quant à de potentiels abus. Comme un aveu de faiblesse, le chef de l’Etat finit par faire adopter en janvier 2020, une loi sur les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), qui vise à armer des civils volontaires pour lutter contre l’insécurité dans le pays.

3 djihadistePendant ce temps, les attaques des groupes djihadistes continuent.

Malheureusement, les résultats de cette mesure tardent à se concrétiser et les craintes concernant un effet pervers de cette loi ne sont toujours pas dissipées. Pendant ce temps, les attaques des groupes djihadistes continuent. Les 29 et 30 mai derniers, des attaques ont fait plusieurs dizaines de morts à Kompeinbiga, dans l’est du pays. Plus récemment, le 11 novembre dernier, quatorze militaires ont été tués dans l’attaque de leur convoi, sur la route de Tin-Akoff, dans la zone dite des « trois frontières » avec le Mali et le Niger.

« Aujourd'hui, on peut dire que sur 274 200 km², il y a des territoires qui ne sont plus la propriété du Burkina Faso, car occupé par les groupes terroristes. La réponse au terrorisme a été une réponse, non seulement molle, mais une réponse qui arrive en retard ».

« Sur les aspects comme la sécurité, on a une gouvernance qui reste non seulement timide, mais molle », commentait Zinaba Rasmané, l'un des responsables du mouvement « Balai citoyen ». « Aujourd'hui, on peut dire que sur 274 200 km², il y a des territoires qui ne sont plus la propriété du Burkina Faso, car occupé par les groupes terroristes. La réponse au terrorisme a été une réponse, non seulement molle, mais une réponse qui arrive en retard », ajoute-t-il.

… Et humanitaire

A cette situation, s’ajoutent les défis liés au changement climatique qui plongent une grande partie de la population dans l’insécurité alimentaire, tandis que la pandémie de Covid-19 qui touche le pays a déjà déclenché une crise sanitaire. A ce jour, plus de 2652 personnes ont été touchées par la pandémie pour 68 morts et 2461 guérisons. On estime aujourd’hui que 2,2 millions de Burkinabés ont besoin d’une aide humanitaire.

Entre janvier et mars 2019, plus de 2000 écoles étaient fermées en raison des conflits, privant ainsi quelque 300 000 enfants d'éducation et affectant plus de 11 000 enseignants. A fin 2019, plus de 1,2 million d’entre eux étaient directement privés d’un accès aux soins de santé et à l’éducation (une situation aggravée depuis lors par les mesures de fermeture des écoles dues au coronavirus). Plus de 1,2 million de Burkinabés ont également besoin d’assistance alimentaire immédiate.

4 criseA la crise sécuritaire et climatique, est venue s’ajouter la crise sanitaire.

Cette situation se reflète d’ailleurs dans les positions occupées par le pays dans les classements internationaux sur le développement humain. Selon le dernier classement du PNUD sur l’indice de développement humain (IDH), le Burkina Faso occupe la huitième place des dix pires élèves africains en la matière, et pointe à une piètre 182e place mondiale sur 189 pays, pour un IDH catégorisé faible. Selon un classement établi par la Banque mondiale, le pays est classé 144e sur 157 pour ce qui est de l’indice du capital humain. 

Consolider les acquis démocratiques

A la lecture de ces chiffres, le principal constat qui se dégage est que le bilan de Roch Marc Christian Kaboré, loin d’être tout blanc ou tout noir, est plutôt mitigé.

Le Burkina Faso roule littéralement sur l’or et fait partie du Top 5 des producteurs ouest-africains de la matière, mais 40,1% de sa population vit toujours sous le seuil de pauvreté. Si ce chiffre est le résultat d’une tendance à la baisse entamée ces dernières années, la Banque mondiale estime que « près de 500 000 personnes pourraient sombrer dans l’extrême pauvreté, d’ici la fin de l’année 2020 du fait de la crise de COVID-19, et ce nombre pourrait atteindre 1 million, d’ici fin 2021 ». Même si le pays est aussi le troisième producteur africain de coton, son économie est très peu diversifiée et 80% de la population active est employée par le secteur alors que le taux de chômage reste une inquiétude chez les jeunes et chez les femmes.

La Banque mondiale estime que « près de 500 000 personnes pourraient sombrer dans l’extrême pauvreté, d’ici la fin de l’année 2020 du fait de la crise de COVID-19, et ce nombre pourrait atteindre 1 million, d’ici fin 2021 »

S’il s’agit là d’autant de sujets sur lesquels sera jugé le président sortant, c’est également sa capacité à consolider les acquis démocratiques issus de la révolution populaire de 2014 qui sera scrutée par le peuple burkinabé. Dans un contexte ouest-africain marqué par des tensions politiques dues à des élections contestées, l’ancien poids lourd du régime Compaoré passé à l’opposition avant de devenir président, devra faire en sorte que la prochaine élection soit exempte de tout reproche.

D’ailleurs, même s’il vise une réélection dès le premier tour, l’homme de 63 ans semble tout à fait conscient de l’enjeu démocratique du scrutin. Le 22 novembre dernier, tous les candidats ont ainsi signé un « pacte de bonne conduite » afin d’« œuvrer pour une campagne électorale et des élections apaisées ».

Il ne reste plus qu’à espérer que la crise sécuritaire n’entache pas le vote de dimanche prochain, qui s’annonce très ouvert entre 13 candidats dont l’un d’entre eux aura fort à faire pour définitivement mettre fin aux tourments du pays des hommes intègres.

Moutiou Adjibi Nourou   

Moutiou Adjibi

  

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