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Afrique : la France veut changer de stratégie

  • dimanche, 20 octobre 2013 03:40

A la première question – pourquoi l'Afrique anglophone est-elle bien plus dynamique que l'Afrique francophone ? – répond une littérature à la fois abondante et unanime. C'est aux questions suivantes que les choses se compliquent : que fait la France ? Pourquoi est-elle si dramatiquement absente des pays anglophones ? S'est-elle "trompée d'Afrique"?

Le sujet semble délicat, voire tabou. Du côté de l'exécutif, c'est même le déni. "La France est présente partout et nous avons des relations tout aussi fortes côté anglophone", entend-on dans l'entourage de François Hollande, qui revient d'Afrique du Sud. Le président français entretient les meilleures relations avec son homologue nigérian, Goodluck Jonathan, au point de songer, dit-on, à Abuja et à Lagos pour un prochain déplacement africain. Cela, pourtant, ne convainc pas une poignée de diplomates qui tentent depuis des décennies d'élargir la présence française au-delà du pré carré francophone, les "pays du champ" – selon l'expression gaullienne –, qu'ils qualifient aujourd'hui encore de "marigot pour les combines de la Françafrique", de territoire "arriéré" ayant vécu de sa proximité politique avec les élites françaises et de l'aide au développement obtenue à force de "jérémiades".

"Il ne faut pas confondre notre héritage colonial et nos relations sentimentales avec les exigences stratégiques de la France au XXIe siècle, dit l'un d'eux. Il faut que la France se branche sur les économies qui fonctionnent, principalement l'Afrique du Sud, le Nigeria, le Ghana et l'Ethiopie. Des pays qui ont de l'argent et des besoins."

De fait, les pions français en Afrique semblent particulièrement mal placés : présence massive dans les pays francophones à la croissance atone et dont le marché est insignifiant (plus de 30 % de part de marché au Gabon, 1,5 million d'habitants) et absence flagrante dans les pays anglophones ou lusophones qui décollent (moins de 3,5 % de part de marché au Nigeria, 160 millions d'habitants).

Les diplomates interrogés pour cet article ont préféré s'exprimer anonymement. Un indice, pourtant, aide à les reconnaître : la plupart ont étudié le swahili à l'Inalco (Langues' O), langue acceptée depuis trois décennies au concours du ministère des affaires étrangères pour les cadres d'Orient. En 2013, ce dernier invitait par exemple les "swahilistes" à disserter durant cinq heures sur la question : "Des solutions africaines aux problèmes africains : un slogan ou un impératif ?"

Détestation de la "coop" d'Afrique de l'Ouest

Au Quai d'Orsay, ils seraient désormais une trentaine de swahilistes, dont certains à des postes-clés autour de Laurent Fabius et sur le terrain. Cette confrérie informelle, nourrie par les séjours en Afrique de l'Est et la détestation de la "coop" en Afrique de l'Ouest (action du ministère de la coopération, intégré en 1999 aux affaires étrangères, longtemps considéré comme un des piliers de la "Françafrique"), estime aujourd'hui avoir réussi à faire prévaloir ses vues. A l'instar du ministre des affaires étrangères, qui a fait de la diplomatie économique une priorité pour ses ambassadeurs, les swahilistes sont en phase avec le secteur privé qui réclame, depuis longtemps, un aggiornamento de la stratégie française en Afrique.

Ainsi, pour Anthony Bouthelier, président délégué du Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN), qui regroupe près de 300 entreprises présentes sur le continent, dont plusieurs fleurons du CAC 40, "l'administration a toujours été déconnectée", du fait de sa lenteur et de son prisme francophone. "Quand on me demande où il faut investir en Afrique et que je veux être mauvais esprit, dit-il, je réponds qu'il faut foncer là où la France ferme ses missions économiques." Les deux exemples récents sont le Ghana, considéré depuis une décennie comme un "tigre" africain, et le Mozambique, qui passe pour un eldorado depuis les découvertes, massives, de gaz naturel. Sur la page "Ghana" du ministère de l'économie et des finances, il n'y a que deux rapports, l'un de juillet 2012 sur l'agriculture et l'autre sur le commerce extérieur, daté d'octobre 2011. Et surtout cette mention : "Ce pays est rattaché à la zone de compétence du site suivant : Nigeria."

"Dans le même temps, UbiFrance s'installe au Cameroun ou en Côte d'Ivoire, s'emporte Anthony Bouthelier. C'est aberrant ! On a déjà tous les relais pour travailler chez les francophones. La moitié ou plus du conseil d'administration du CIAN a accès personnellement aux chefs d'Etat." La France a également fermé récemment son centre culturel à Lagos, au Nigeria, la plus grande ville d'Afrique et sans aucun doute sa capitale culturelle, avec la seconde industrie du cinéma du monde après Bollywood et une scène musicale et littéraire effervescente. Elle maintient en revanche deux Instituts français au Burkina Faso.

Complexe linguistique

Pour Alain Taïeb, patron d'AGS Mobilitas à Londres, présent dans 45 pays africains et qui déménage chaque année plus de 100 000 personnes dans le monde, l'Etat français n'est pas le seul responsable, même s'il lui reproche d'être davantage un "retardateur" qu'un "éclaireur". "Par complexe linguistique, par confort, par habitude, nos entrepreneurs en Afrique francophone n'ont pas regardé ce qui se passait au bout de leur nez, de l'autre côté de la frontière, dit-il. Les géants comme Total ou Bolloré ont des approches mondiales, mais le gros du bataillon, nos PME et nos ETI, ceux qui feront la différence, sont restés à l'arrière, timorés."

Jean-Michel Severino, ancien patron de l'Agence française de développement (AFD), trouve des excuses aux entrepreneurs. "Comment voulez-vous qu'ils conquièrent des territoires qu'ils ne connaissent pas alors que la France a massivement désinvesti tout le continent, même la partie qu'elle connaissait parfaitement ?" demande-t-il. Pour lui, le décalage de la présence française dans les pays francophones et anglophones est le "sous-sujet" d'une "très grave erreur d'appréciation, d'un naufrage, d'un effondrement" : l'abandon de l'Afrique dans son ensemble par la France dès les années 1990. "Les exportations africaines ont crû de 16 % par an ces dix dernières années alors que la France perdait en Afrique entre 10 et 20 points de parts de marché », s'emporte-t-il. « En même temps, si nous parvenons à stabiliser nos parts de marché actuelles, la croissance africaine va créer 400 000 emplois en France ! »

Aujourd'hui à la tête d'un fonds d'investissement pour les PME africaines, Jean-Michel Severino a été chargé par le ministre de l'économie, Pierre Moscovici, avec trois autres auteurs, d'un rapport qui s'annonce retentissant sur la France et le potentiel économique africain pour le sommet Afrique de l'Elysée, les 6 et 7 décembre. Un sommet où les anglophones, à en croire l'entourage présidentiel, seront massivement représentés.

Car la tentation anglophone de la France en Afrique ne date pas d'hier ni de la visite en septembre de la ministre du commerce extérieur, Nicole Bricq, au Nigeria, dûment saluée par les milieux d'affaires. A l'Elysée, Nicolas Sarkozy, tout comme Jacques Chirac déjà, l'avait ressentie. Quant aux financements de l'AFD, ils sont désormais davantage dirigés vers les pays anglophones, l'Afrique du Sud et le Kenya étant ses deux plus gros postes.

La malédiction du gendarme

Si l'aggiornamento tarde à produire ses effets, c'est aussi que la France, qu'elle le veuille ou non, par une sorte de malédiction récurrente, se retrouve à devoir jouer les gendarmes dans ses anciens territoires, au Mali à la fin 2012 et peut-être bientôt en République centrafricaine. "Nous étions contre l'intervention au Mali, confie un diplomate swahiliste, mais il faut bien avouer que, si la France n'y était pas allée, personne d'autre ne s'en serait occupé."

Maintenant, il s'agit de transformer l'essai, de capitaliser pour ouvrir des marchés sur le prestige gagné par la France grâce à l'opération "Serval", notamment au Nigeria, où les autorités sont elles aussi en guerre contre des mouvements djihadistes comme Boko Haram. Les qualités requises pour les affaires dans les pays africains émergents ne sont pas très éloignées de celles nécessaires pour combattre Al-Qaida dans le massif des Ifoghas, dans le nord du Mali. "C'est rugueux et c'est violent, poursuit le diplomate. Les émergents sont des gens qui disent non, qui cultivent le rapport de force et qui exigent de vous une rapidité inouïe. Ils confondent parfois le capitalisme et la prédation. Mais c'est ici que cela se passe !"

Par Serge Michel pour « Le Monde »

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