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« On dit que l’Afrique est nourrie par les importations, comme si elle ne parvenait pas à se nourrir elle-même… » (Nicolas Bricas)

  • Date de création: 18 décembre 2020 15:31

(Agence Ecofin) - En quelques années, la question des importations alimentaires du continent africain est devenue le centre de toutes les attentions. Les discours habituels soulignent la lourde facture des achats alimentaires du continent sur les marchés mondiaux et la nécessité d’accroître la production agricole. Afin de comprendre la réalité de cette situation, l’Agence Ecofin a sollicité le regard du socio-économiste Nicolas Bricas (Cirad). D’après l’expert, à trop se focaliser sur les importations, on en finit par oublier que l’essentiel des produits alimentaires consommés en Afrique est produit localement.

Agence Ecofin : La dépendance plus ou moins marquée du continent africain aux importations alimentaires suscite des débats. Le continent recourt-il si massivement aux achats sur le marché mondial et est-ce préoccupant?

Nicolas Bricas : Je pense qu’il s’agit d’une manière de voir les choses. On pourrait regarder la situation alimentaire de l’Afrique de deux façons différentes, soit comme une bouteille à moitié vide soit à moitié pleine.

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Nicolas Bricas : « Avant le XVIe siècle, il n’y avait pas de maïs ni de manioc » en Afrique.

On peut regarder tout ce que l’Afrique importe et on constate qu’elle est dépendante des importations céréalières pour nourrir ses villes, qu’elle importe de la poudre de lait, de l’huile, etc., c’est incontestable. Mais on peut aussi voir tout ce que l’Afrique produit pour elle-même. Et pour cela, il faut analyser la structure du marché alimentaire intérieur, c’est-à-dire identifier les origines de tout ce qui est consommé sur le continent.

Si on considère la valeur économique de la consommation alimentaire intérieure, la très grande majorité est produite localement. Les populations africaines s’alimentent avec du riz asiatique, du blé européen ou américain, surtout dans les villes, c’est vrai, mais aussi avec des produits locaux : du mil, du sorgho, du maïs, du fonio, du manioc, de l’igname, du taro et du macabo, de la patate douce et dans certaines régions de la pomme de terre, de la banane plantain, du niébé, d’huile de palme, d’arachide et de coton, des fruits et légumes, des condiments et des produits animaux : viandes, poisson, produits laitiers et œufs. Et ces produits ne sont pas seulement consommés en milieu rural. Ils sont bien présents et consommés dans les villes.

« Quand on part des enquêtes de consommation des ménages, on se rend compte que leurs dépenses alimentaires sont très majoritairement consacrées à l’achat de produits locaux. Et cela modifie la vision qui laisserait croire, comme on l’entend parfois, que l’Afrique est nourrie par les importations, comme si elle ne parvenait pas à se nourrir elle-même. »

Derrière ces produits, il y a un réseau de milliers de producteurs, de commerçants, de transformatrices, de distributeurs et de vendeurs de marché. Cela veut dire qu’aujourd’hui, c’est très clair, le principal moteur du développement agricole en Afrique, c’est le marché intérieur.

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Une vendeuse de macabo.

Quand on part des enquêtes de consommation des ménages, on se rend compte que leurs dépenses alimentaires sont très majoritairement consacrées à l’achat de produits locaux. Et cela modifie la vision qui laisserait croire, comme on l’entend parfois, que l’Afrique est nourrie par les importations, comme si elle ne parvenait pas à se nourrir elle-même, comme si sa paysannerie n’était pas assez performante pour nourrir la population. Il faut reconnaître que l’agriculture paysanne africaine, avec finalement peu de soutien, s’est complètement transformée depuis une cinquantaine d’années et a conquis la majorité du marché alimentaire intérieur. Cela ne doit pas pour autant conduire à nier le besoin de réduire les importations pour gagner en souveraineté alimentaire.

AE : Habituellement, beaucoup de rapports mettent en avant le fait que la production agricole africaine est faible. Pouvez-vous nous expliquer votre point de vue ?

Nicolas Bricas : Quand la FAO a commencé à calculer les productions agricoles de tous les pays du monde, au début des années 60, l’Afrique, comme l’Asie, produisait des quantités insuffisantes d’aliments pour nourrir sa population. En moyenne, la production alimentaire était inférieure à 2000 kcal/personne et par jour, alors que l’on estime qu’il faut dépasser le seuil de 2500 kcal/personne et par jour pour qu’il y ait assez de nourriture pour tout le monde. Mais depuis, la production a augmenté partout sur le continent, surtout à partir des années 80, en Afrique de l’Ouest, et des années 90, en Afrique centrale. Elle a même augmenté un peu plus vite que la population et c’est pour cela qu’on a eu une amélioration de la quantité produite par habitant.

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Préparation du kilichi au Niger.

Aujourd’hui, l’Afrique produit à peu près 2500 kcal/personne et par jour. Elle arrive donc à une situation où elle produit, en moyenne, à peu près suffisamment. Mais attention, cela est une moyenne et cela ne veut pas dire que c’est homogène. Il reste des zones - où les conditions agronomiques et climatiques sont difficiles - qui peinent à produire suffisamment pour tout le monde et qui sont souvent déficitaires. Et la population migre alors vers d’autres zones agricoles, vers les villes ou vers l’étranger et où la population est en partie nourrie par des transferts sociaux issus des migrants.

« Aujourd’hui, l’Afrique produit à peu près 2500 kcal/personne et par jour. Elle arrive donc à une situation où elle produit, en moyenne, à peu près suffisamment. Mais attention, cela est une moyenne et cela ne veut pas dire que c’est homogène.»

Si l’on compare les rendements entre l’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine, on constate que ceux obtenus en Afrique sont inférieurs. De même, les pertes dans les champs, dans les greniers, durant le transport, sont souvent plus élevées. C’est ce qui fait dire aux agronomes qu’il y a une grande marge de manœuvre pour augmenter la production. Et cela est tout à fait légitime de chercher à augmenter la production, compte tenu de l’accroissement rapide de la population, qui devrait se poursuivre dans les décennies qui viennent. Mais si les rendements agricoles sont plus élevés en Asie ou en Amérique latine, c’est aussi au prix d’une dégradation de l’environnement.

« Mais si les rendements agricoles sont plus élevés en Asie ou en Amérique latine, c’est aussi au prix d’une dégradation de l’environnement.»

L’usage intensif de la mécanisation, des engrais chimiques, des produits phytosanitaires pour protéger ou soigner les cultures, des produits pharmaceutiques pour soigner les animaux, a permis d’augmenter les rendements et donc la production. C’est indéniable. Mais déjà des effets pervers apparaissent : les sols s’érodent, les nappes d’eau souterraines et les rivières sont polluées, les résidus de pesticides menacent la santé des agriculteurs et des consommateurs, les résistances aux antibiotiques apparaissent. Les rendements ont augmenté, mais les revenus des agriculteurs n’ont pas suivi, ou seulement ceux d’une minorité qui accapare les meilleures terres. Et les inconvénients de ces systèmes sont tels qu’ils menacent véritablement la capacité de continuer à produire suffisamment.

Il y a aujourd’hui un consensus pour reconnaître qu’il faut inventer des systèmes de production plus performants, à la fois du point de vue de leur productivité et du point de vue de ce qu’on appelle leur durabilité, c’est-à-dire leur capacité à maintenir un environnement viable pour les générations futures et leur capacité à rémunérer plus équitablement les agriculteurs. C’est ce principe qu’on appelle l’agroécologie et que revendiquent un nombre croissant d’organisations paysannes, partout dans le monde et bien sûr en Afrique. Mais le défi est considérable et demande un véritable effort et un véritable soutien politique.

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Le garba de Côte d’Ivoire.

Autant il y a 40 ans, la priorité absolue était de produire plus de calories, plus de produits de base pour nourrir tout le monde, autant les choses ont beaucoup évolué aujourd’hui. Actuellement, c’est moins une question de production calorique que de productions diversifiées de qualité, car les formes de malnutrition ont changé. Les carences en énergie et protéines ont diminué, et il y a d’ailleurs de plus en plus de personnes qui mangent trop riche par rapport à leur activité physique qui s’est réduite, en particulier en ville. Le diabète de type 2 lié à l’obésité est devenu un problème de santé publique en Afrique.

« Les carences en énergie et protéines ont diminué, et il y a d’ailleurs de plus en plus de personnes qui mangent trop riche par rapport à leur activité physique qui s’est réduite, en particulier en ville. Le diabète de type 2 lié à l’obésité est devenu un problème de santé publique en Afrique.»

Par contre, on constate le maintien de carences en micronutriments comme la vitamine A, le fer, etc. Et on commence à voir apparaître des intoxications aux résidus chimiques. Cela signifie qu’on ne peut plus penser l’alimentation comme un problème essentiellement calorique, mais prendre en compte l’importance de tous les nutriments et donc favoriser la diversification alimentaire. Non seulement c’est le seul moyen durable de lutte contre les carences, mais c’est aussi un moyen de faire face aux risques de fluctuations de la production et des prix. D’une vision qui est longtemps restée très céréalière, on passe à une vision où tous les aliments sont reconnus comme importants.

AE : Pendant longtemps et encore aujourd’hui, il y a eu une opposition entre les cultures vivrières et les cultures de rente. Quel est votre avis sur le sujet ?

Nicolas Bricas : Je pense qu’il est important de rappeler qu’il s’agit de termes coloniaux. On opposait les cultures de rente destinées à l’exportation, qui offraient des revenus aux agriculteurs pour payer l’impôt, notamment avec la vente le cacao, d’arachide, de coton, de café, d’ananas, etc. aux cultures vivrières, comme le mil, le sorgho, le maïs, le manioc, l’igname, le niébé, etc. qui sont destinées essentiellement à l’autoconsommation dans les zones rurales.

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Une plantation de mil.

Mais cette conception est dépassée. Aujourd’hui, ce qui ramène de l’argent à la grande majorité des agriculteurs africains, ce n’est pas uniquement le café, le cacao ou le coton expédiés sur le marché international. Ce sont tous les produits alimentaires commerciaux vendus aussi bien sur les marchés urbains que ruraux. Et donc, l’agriculture a fondamentalement changé de visage. Il est pour moi absurde d’opposer les cultures de rente, sous-entendu d’exportation, et celles « vivrières », sous-entendu cultures d’autoconsommation.

« Actuellement, ce qui fait la principale richesse de l’agriculture africaine en matière de revenus, ce sont les productions alimentaires commerciales qui sont très diversifiées et pas très bien connues et recensées dans les statistiques nationales ou internationales. »

Actuellement, ce qui fait la principale richesse de l’agriculture africaine en matière de revenus, ce sont les productions alimentaires commerciales qui sont très diversifiées et pas très bien connues et recensées dans les statistiques nationales ou internationales.

AE : S’agissant des importations alimentaires, les craintes se sont multipliées ces dernières années sur l’occidentalisation de la consommation africaine. Ces inquiétudes sont-elles fondées ?

Nicolas Bricas : Pour ma part, je nuance fortement cette vision de l’alimentation africaine. Ce n’est pas parce que l’Afrique importe des aliments du marché international comme le riz, le blé, l’huile raffinée et la poudre de lait que l’alimentation africaine s’occidentalise ou s’extravertit. Le continent a inventé à partir des produits importés, sa propre cuisine. Lorsqu’on prend un plat comme le thiéboudiène, le riz est certes majoritairement importé d’Asie, mais le poisson est sénégalais. Les légumes ont été introduits par les Portugais au XVIe siècle puis par les Français.

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Le fonio.

Cependant, la manière dont cela est cuisiné et les recettes inventées sont originales. Chaque pays invente sa propre modernité alimentaire et sa propre cuisine, à partir des produits d’origines locale et lointaine. C’est le cas du babenda (mets de feuilles, riz ou semoule de maïs et arachide) du Burkina Faso, le garba (mets à base d’attiéké et de poisson) de Côte d’Ivoire, le kilichi (préparation de viande séchée) au Niger, le foutou ou l’amala (pâtes d’igname) de Lagos.

« Il ne faut pas oublier qu’en Europe, avant le XVIe siècle, il n’y avait pas de pommes de terre ni de tomates qui ont été introduites depuis l’Amérique, plus tard. C’est pareil en Afrique. »

Il ne faut pas oublier qu’en Europe, avant le XVIe siècle, il n’y avait pas de pommes de terre ni de tomates qui ont été introduites depuis l’Amérique, plus tard. C’est pareil en Afrique. Avant le XVIe siècle, il n’y avait pas de maïs ni de manioc. Mais aujourd’hui, on a l’impression que cela a toujours fait partie de l’alimentation parce qu’on s’est approprié ces produits. L’Afrique invente son agriculture, ses filières, ses produits, sa cuisine et les millions d’opérateurs, depuis la production jusqu’à la restauration, font preuve d’inventivité et de dynamisme. Comme tous les pays du monde, l’Afrique invente sa culture, plongeant dans ses traditions, incorporant des nouveautés, abandonnant certains produits ou mets, parfois pour les redécouvrir quelques années plus tard, s’inspirant d’autres cultures, inventant des nouveautés. Les cultures ne sont pas un stock qu’on aurait peur de perdre. Elles sont vivantes et évoluent, perdent et gagnent et c’est bien la créativité populaire qui en est le moteur. Car, au-delà de se nourrir, l’alimentation est un moyen de construire des identités, de relier les humains, de les relier à leur environnement, de se faire plaisir. Mais c’est aussi une immense source d’emplois et de revenus à laquelle on porte souvent trop peu d’attention.

Propos recueillis par Espoir Olodo

Espoir Olodo


 
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