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Malawi : … et à la fin c’est Lazarus Chakwera qui gagne

  • Date de création: 03 juillet 2020 18:37

(Agence Ecofin) - Déclaré perdant au terme de l'élection présidentielle du Malawi, il y a quelques semaines, Lazarus Chakwera a été annoncé vainqueur, le 27 juin dernier, après une rocambolesque procédure judiciaire qui a conduit à la reprise de l'élection. Véritable miraculé politique, l’ancien pasteur avait échoué à ses deux dernières tentatives de briguer la présidence.

Le Malawi a-t-il assisté à une version politique du « phénomène de Lazare » ? En mai 2019, Lazarus Chakwera avait échoué, une deuxième fois consécutive, à devenir président du pays, lorsqu’au terme du scrutin, Peter Mutharika avait été déclaré vainqueur. Le candidat malheureux avait, à ce moment, fermement contesté les résultats, comme souvent dans ce cas, mais peu de personnes s’attendaient à la suite historique prise par la tournure des évènements.

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Une façon de s’exprimer qui rappellent étrangement Martin Luther King.

 

En effet, après que la Cour constitutionnelle ait déclaré que le scrutin avait été miné par des fraudes de grande envergure, l’opposition a réussi à obtenir que l'élection soit reprise. Au terme de ce scrutin, Lazarus Chakwera, ancien pasteur évangélique, entré en politique « pour suivre un appel divin », a été déclaré vainqueur. Dans ce scrutin, c’est à une résurrection, qu’ont assisté les Malawites.

 

L’effet Lazarus Chakwera

Il a un style et même une façon de s’exprimer qui rappellent étrangement Martin Luther King. « Il y a un rêve qui nous lie tous. Celui de profiter non seulement des joies de la liberté, mais également de celles de la prospérité partagée. Il est temps d’aller au-delà du rêve », assenait Lazarus Chakwera dans un discours rappelant, à s’y confondre, le plus célèbre militant américain pour les droits civiques du peuple noir. En fait, il l’expliquera, cette façon de parler, le Malawite la tient d’un de ses professeurs américains, qu’il a imité.

« Il y a un rêve qui nous lie tous. Celui de profiter non seulement des joies de la liberté, mais également de celles de la prospérité partagée. Il est temps d’aller au-delà du rêve.»

Lazarus Chakwera est né dans un village de l'ouest de la capitale du Malawi Lilongwe, le 5 avril 1955, au sein d'une famille de paysans. Deux de ses frères aînés sont morts en bas âge à cause de la pauvreté du Malawi colonial. La communauté au sein de laquelle vivaient ses parents a même sous-entendu qu'il y avait une malédiction sur la famille. Mais, tout cela, c’était avant Lazarus Chakwera.

2Lazarus Chakwera

Deux de ses frères aînés sont morts en bas âge à cause de la pauvreté du Malawi colonial.

 

A sa naissance, son père lui donne le prénom d’un personnage biblique ressuscité par Jésus, quatre jours après sa mort. Pour le père de Lazarus Chakwera, c’était un moyen de dire que cet enfant ne connaitrait pas le funeste destin de ses deux frères ainés.

A sa naissance, son père lui donne le prénom d’un personnage biblique ressuscité par Jésus, quatre jours après sa mort. Pour le père de Lazarus Chakwera, c’était un moyen de dire que cet enfant ne connaitrait pas le funeste destin de ses deux frères ainés.

Et effectivement, Lazarus Chakwera a survécu. Assez rapidement, il devient un motif de fierté pour ses parents, notamment pour son application à l’école. Il sera, à ce propos, l'un des trois élèves de l'école primaire de Malembo à avoir été sélectionnés pour aller à l'école secondaire de Mtendere. A cette époque, il envisage de devenir médecin avant de décider de se mettre au service de Dieu. Il commence son parcours universitaire au Malawi où il étudie la philosophie et obtient une licence. Il décroche ensuite un diplôme de théologie à l'Université du Nord en Afrique du Sud, puis un doctorat de la Trinity International University, aux Etats-Unis. C'est là qu'il prend son fort accent américain et sa façon de parler rappelant Martin Luther King.

 

Pasteur d’une congrégation, pasteur d’une nation

Après l’obtention de son doctorat, Lazarus Chakwera devient instructeur à l'école de théologie des Assemblées de Dieu en 1983. A partir de 1989, il devient pasteur et préside la congrégation des Assemblées de Dieu du Malawi, avant d’être désigné, en 1996, directeur de l’école de théologie. En 2005, 5 ans après avoir obtenu son doctorat, il devient professeur au séminaire panafricain de théologie. Jusque-là, rien ne semble faire le pont entre sa vie à la tête de l’Eglise des Assemblées de Dieu au Malawi et la politique.

Pourtant, en avril 2013, de nombreux médias vont annoncer que le célèbre pasteur souhaite entrer en politique et se présenter à l'élection présidentielle de 2014 en tant que candidat du Parti du Congrès du Malawi (MCP). Cette formation politique est en fait l’ancien parti unique de Hastings Kamuzu Banda, père de l’indépendance devenu dictateur. Le parti n’avait plus remporté d’élection depuis l’avènement du multipartisme, en 1994.

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Son programme, aussi vague que celui de ses concurrents, est axé sur l’idée du changement.

 

Quelques jours après les différentes annonces dans la presse, Lazarus CHakwera va confirmer les rumeurs. « Je réponds à un appel divin à entrer en politique. Effectivement, cela m’a paru assez éloigné de ma vie actuelle et j’ai dû en débattre avec Dieu parce que je n’étais pas à l’aise avec cette tournure des évènements. Il m’a alors expliqué qu’il n’arrêtait pas mon ministère en tant que pasteur, mais l’étendait pour que je puisse conduire une nation tout entière », a expliqué Lazarus Chakwera.

« Je réponds à un appel divin à entrer en politique. Effectivement, cela m’a paru assez éloigné de ma vie actuelle et j’ai dû en débattre avec Dieu parce que je n’étais pas à l’aise avec cette tournure des évènements.»

Dans une interview, il confie que durant sa conversation avec Dieu sur son entrée en politique, il a été guidé vers le chapitre 3 du livre biblique de l'Exode, dans lequel Dieu apparaît à Moïse et lui dit de conduire les Israélites hors d'Egypte. Pour l’un de ses partisans, cela a prouvé à Lazarus Chakwera comment il était à la fois possible de répondre aux besoins spirituels et sociaux d’un peuple. Il se présente alors à la convention du MCP et en devient le président, tout en conservant sa place à la tête de l’église des Assemblées de Dieu au Malawi. Avec le soutien de l’ancienne présidente Joyce Banda, il se présente à l'élection présidentielle de 2014 et arrive deuxième derrière Peter Mutharika. Déjà à cette époque, les résultats sont fortement contestés et le pays est proche de basculer dans la violence. Lazarus Chakwera va alors demander à ses partisans d’accepter les résultats, malgré les doutes, pour sauvegarder la paix dans le pays. Son intervention apaise les tensions et fait de lui le nouveau visage de l’opposition.

Lazarus Chakwera va alors demander à ses partisans d’accepter les résultats, malgré les doutes, pour sauvegarder la paix dans le pays. Son intervention apaise les tensions et fait de lui le nouveau visage de l’opposition.

Pendant les 5 années qui vont suivre, Lazarus Chakwera se fait connaître par ses critiques du gouvernement en place, dont il condamne l’inclination à la corruption. En 2019, Lazarus Chakwera n’est plus l’anomalie religieuse entrée en politique de la précédente élection. Il a de fortes chances de remporter le scrutin.

 

Le pasteur président et le piège de la théocratie

Durant les 25 ans qui ont suivi l’établissement du multipartisme au Malawi, jamais le MCP n’avait retrouvé un rayonnement pareil. Pour les moins de 40 ans n’ayant pas connu sa période dictatoriale, le parti incarne le renouveau et ce statut est renforcé par la posture d’oie blanche de Lazarus Chakwera.

Durant ses meetings que le religieux termine par une prière de plus en plus de personnes se joignent à la cause du candidat du MCP. Son programme, aussi vague que celui de ses concurrents, est axé sur l’idée du changement. Tout semble parti pour essuyer l’affront de la défaite de 2014. Puis, Peter Mutharika sera à nouveau déclaré vainqueur de l’élection en mai 2019. Plus aguerri que lors de son premier scrutin présidentiel, Lazarus Chakwera va immédiatement contester les résultats. Il sera suivi dans ce mouvement par de nombreux autres candidats, dont Saulos Chilima, ancien vice-président de Peter Mutharika arrivé 3e à l'élection de 2019.

S’ensuivront alors des manifestations de l’opposition qui tourneront en de violents affrontements entre protestataires de l’opposition et forces de l’ordre. Lorsque la situation est sur le point de devenir hors de contrôle, la Cour constitutionnelle va s’emparer de la plainte de l’opposition. A la surprise générale, les juges de la cour vont décider, en février 2020, de l’annulation de la victoire de Peter Mutharika, sur la base « d’irrégularités généralisées et systématiques » ayant entaché l’élection.

Lorsque la situation est sur le point de devenir hors de contrôle, la Cour constitutionnelle va s’emparer de la plainte de l’opposition. A la surprise générale, les juges de la cour vont décider, en février 2020, de l’annulation de la victoire de Peter Mutharika,

Celle-ci sera alors reprise, mais cette fois, l’opposition décide de prendre ses précautions pour assurer une alternance. Saulos Chilima et Lazarus Chakwera vont s’allier pour soutenir la candidature du dernier. Il faut préciser qu’en plus d’annuler l’élection précédente, les juges de la Cour constitutionnelle ont modifié les règles du jeu : le vainqueur devra désormais obtenir la majorité absolue, soit plus de 50% des suffrages exprimés. Au final, Lazarus Chakwera remportera environ 60 % des suffrages exprimés, au terme d’un scrutin déjà contesté par le parti de Peter Mutharika qui espère obtenir un improbable 3e round.

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Attention à ne pas basculer dans une théocratie.

Finalement, après avoir été relégué au second plan pendant 26 ans, le MCP a été ressuscité par Lazarus Chakwera. Conscient de l’ampleur de la tâche qui l’attend dans un pays déchiré par le tribalisme, le nouveau président devra faire attention à ne pas basculer dans une théocratie qui pourrait décevoir encore plus que le régime qu’il critiquait.

Servan Ahougnon

servan ahougnon