Agence Ecofin TikTok Agence Ecofin Youtube Agence WhatsApp
Agence Ecofin
Yaoundé - Cotonou - Lomé - Dakar - Abidjan - Libreville - Genève

Paul Rusesabagina, la légende hollywoodienne à bout de souffle

  • Date de création: 04 septembre 2020 17:45

(Agence Ecofin) - Pendant des années, son nom a été lié dans la mémoire collective à l’héroïsme pur, naïf et optimiste, digne des plus grands films hollywoodiens. Justement, le célèbre film Hôtel Rwanda avait fait de Paul Rusesabagina le « Schindler rwandais », un homme ordinaire ayant sauvé des centaines de Tutsis. Seulement, avec le temps les langues se sont déliées et ont écorné la légende. Avec son arrestation, c’est un peu le coup de grâce que sont en train de porter les autorités rwandaises à ce héros gênant.

Le 31 aout dernier, les autorités rwandaises ont annoncé avoir arrêté Paul Rusesabagina, le célèbre Rwandais dont les récits héroïques avaient inspiré le film Hôtel Rwanda.

1Paul Rusesabagina2

En 1983, il est nommé directeur adjoint de l'hôtel des Mille Collines.

Accusé par le Bureau d’investigation du Rwanda (RIB) d’avoir financé et créé des groupes terroristes opérant dans la région des Grands Lacs, il n’avait plus donné de nouvelles à sa famille depuis son arrivée à Dubaï, le 28 août dernier. Cela a même poussé sa famille à remettre en cause son arrestation.

Au final, après des années d’exil, Paul Kagamé tient cet opposant qu’il a toujours traité de faux héros.

Selon sa fille, il a été enlevé. « On ne sait pas comment il est arrivé là [au Rwanda, Ndlr], il ne serait jamais allé au Rwanda de son propre chef », a affirmé Anaise Kanimba, l’une de ses filles, au micro de la BBC. Le RIB a déclaré que Paul Rusesabagina avait été arrêté grâce à une coopération internationale, sans clarifier les circonstances de l'arrestation pour ne pas « compromettre l'enquête ». Au final, après des années d’exil, Paul Kagamé tient cet opposant qu’il a toujours traité de faux héros.

Le Schindler rwandais

Avant le génocide rwandais, la vie de Paul Rusesabagina était tout ce qu’il y a de plus banal. Né le 15 juin 1954 dans la commune de Murama, au Rwanda, il grandit dans une famille de fermiers. Il débute ses études dans une école missionnaire avant d’être envoyé au Cameroun dans une faculté de théologie. A la fin de ses études, il revient au Rwanda et réussit à trouver un emploi à la compagnie aérienne nationale belge, la Sabena. A cette époque, la compagnie aérienne possède de nombreux hôtels. C’est dans l’un d’eux, situé dans le Parc national de l'Akagera, que Paul Rusesabagina commence sa vie active. En quelques années, il gravit les échelons au sein du personnel de la Sabena chargé des hôtels rwandais de la compagnie. C’est ainsi qu’en 1983, il est nommé directeur adjoint de l'hôtel des Mille Collines situé à Kigali. En 1993, il est nommé directeur de l'hôtel des Diplomates. C’est ce poste qu’il occupe lorsque le génocide rwandais débute le 6 avril 1994, dans les heures qui suivent la mort du président Juvénal Habyarimana. En quelques minutes, les notables tutsis et certains hutus modérés comprennent qu’ils sont menacés, courent se réfugier à l’hôtel des Mille Collines. L’une des principales raisons de ce choix est que de nombreux diplomates étrangers fréquentent l’établissement qui ne sera donc pas une cible privilégiée de milices hutues.

En quelques minutes, les notables tutsis et certains hutus modérés comprennent qu’ils sont menacés, courent se réfugier à l’hôtel des Mille Collines.

Dans la foule qui converge vers l’hôtel, se trouve Paul Rusesabagina. Il n’est pas tutsi, mais sa femme, si. Une fois réfugié dans l’hôtel, celui qui en a été le directeur adjoint et qui connait très bien les lieux prend la direction des opérations. Outre Les Diplomates qu’il dirige, Rusesabagina propose alors à la Sabena de s’occuper également de l’hôtel des Mille Collines. Le 12 avril, il entre officiellement en fonction lorsque le directeur néerlandais de l’hôtel est évacué. La suite, telle que la grande majorité du monde la connait, est digne d’un roman d’aventures.

2Paul Rusesabagina livre

Usant de ses relations acquises au fil des années dans les hôtels de la Sabena, fréquentés par les plus hauts fonctionnaires du pays, Paul Rusesabagina se met à empêcher les génocidaires de toucher aux Tutsis réfugiés au sein de l’hôtel. « Quand les miliciens et l'armée sont arrivés avec l'ordre de tuer mes hôtes, je les ai invités dans mon bureau, les ai reçus comme des amis, leur ai offert de la bière et du cognac et les ai convaincus d'oublier leur mission pour ce jour-là. Quand ils sont revenus, je leur ai encore donné à boire », peut-on lire dans « Un homme ordinaire », l’autobiographie publiée en 2007 par le Rwandais.

Au fil des arrivées de réfugiés, Paul Rusesabagina finit par donner l’asile à 1268 réfugiés qui se partagent 113 chambres. D’après l’histoire reprise par Hollywood, ils sont obligés de dormir à même le sol dans les couloirs à cause du manque d’espace. Pendant ce temps, à coups d’appels à ses amis des forces armées hutues, de dons d’argent et d’autres subterfuges du directeur de l’hôtel des Mille Collines, les Tutsis ne sont pas livrés aux génocidaires. Lorsque la pénurie d’eau commence à menacer, ils sont obligés de boire l’eau de la piscine que Paul Rusesabagina rationne. Il réglemente également l’utilisation de l’électricité, et ce jusqu’à ce que les forces du Front patriotique rwandais (FPR), de Paul Kagamé, un mouvement rebelle, attaquent le régime génocidaire en juillet 1994. Les réfugiés seront finalement évacués par des convois mis en place par l'ONU.

Lorsque l’histoire de Paul Rusesabagina devient publique, son nom parcourt le monde. Il est célébré pour son héroïsme dont l’histoire rappelle celle d’Oskar Schindler, un industriel allemand qui a sauvé entre 1100 et 1200 juifs, durant la Shoah, en les faisant travailler dans ses fabriques.

Lorsque l’histoire de Paul Rusesabagina devient publique, son nom parcourt le monde. Il est célébré pour son héroïsme dont l’histoire rappelle celle d’Oskar Schindler, un industriel allemand qui a sauvé entre 1100 et 1200 juifs, durant la Shoah.

Hollywood récupère l’histoire qui sera racontée en 2004 dans le film « Hôtel Rwanda » de Terry George. Très dithyrambique, le film précède une pluie de récompenses gagnées par Paul Rusesabagina.

3Paul Rusesabagina

Décoré par le président George Bush.

Entre le Immortal Chaplains Award for Humanity, la médaille de l’Université de Michigan, la médaille présidentielle de la liberté, que lui remettra George Bush, encore président des USA à cette époque, le Rwandais n’est pas loin de rattraper les légendes africaines telles que Nelson Mandela en matière de notoriété. Il obtient la nationalité belge et part en exil avec sa famille, loin de ceux qui menacent sa vie, comme il l’explique, mais peut-être aussi du cuisant rappel de sa conscience qui ne cesse de lui remémorer quelques taches sur l’habit de héros que lui a cousu Hollywood.

Une légende controversée

Dès les premiers jours qui suivront le génocide, Paul Rusesabagina mettra lui-même en péril l’image qu’il s’est construite. Il suscite l'indignation en mettant en garde contre un génocide tutsi contre les hutus. Il déclare également que les crimes de guerre commis par les tutsis pendant le conflit de 1994 ont été ignorés par des tribunaux traditionnels partiaux. Au fil des critiques, les langues se délient et révèlent une autre version de l’histoire racontée par le film « Hôtel Rwanda ».

4hotel rwanda2

Les langues se délient et révèlent une autre version de l’histoire.

Très vite, l’image du héros est fortement réfutée. « Au début, je facturais les nuitées, puis quand les gens se sont retrouvés à court de fonds et quand il est devenu évident que « les Mille collines » n’était plus un hôtel de luxe de 113 chambres, mais un camp de réfugiés, j’ai arrêté. Ma suite comportait deux pièces et il y avait 40 personnes qui y vivaient », avait déclaré Paul Rusesabagina.

« Au début, je facturais les nuitées, puis quand les gens se sont retrouvés à court de fonds et quand il est devenu évident que « les Mille collines » n’était plus un hôtel de luxe de 113 chambres, mais un camp de réfugiés, j’ai arrêté.»

Selon de nombreux réfugiés de l’hôtel, les paiements n’ont jamais été arrêtés et ceux qui ne pouvaient pas payer se retrouvaient à dormir à même le sol dans les couloirs. Victor Munyarugerero, un ancien réfugié de l’hôtel raconte une version très choquante de son séjour. « Il m’a extorqué l’équivalent de 21 000 euros pour que 220 réfugiés tutsis puissent trouver refuge dans l’établissement ». Pour Paul Rusesabagina, « C’est possible ». Il explique qu’en échange il s’est occupé de tous ces gens pendant deux mois et demi dans des conditions difficiles. « Cela fait 20 centimes par personne et par jour, ce qui ne couvre pas les coûts ». Finalement, on accuse le héros d’avoir fait signer des dizaines de reconnaissances de dettes et d’avoir extorqué des maisons à ses réfugiés. Il se défend en expliquant que ses accusateurs sont à la solde de Paul Kagamé dont il est devenu un des opposants les plus féroces. Un témoignage viendra décrédibiliser totalement le film « Hôtel Rwanda » dont Paul Rusesabagina a personnellement supervisé la réalisation.

5Paul Rusesabagina4

« Cela fait 20 centimes par personne et par jour »

Pasa Mwenenganugye est en fait le Rwandais grimé sous les traits d’un certain Grégoire, personnage à qui l’ancien manageur confie les clés de l’hôtel. Ce dernier aurait profité de la situation pour s’enfermer dans la suite présidentielle avec des prostituées et du champagne. « Je m’étais bien réfugié dans une suite, mais hélas pas avec du champagne et des prostituées. Il y avait avec moi mes deux frères et une autre famille, dont une femme enceinte. Le méchant est à Kigali et le gentil est en exil. Intéressant, non ? C’est très naïf de penser que des bouteilles de champagne offertes aux militaires peuvent suffire à arrêter le génocide », déclare Pasa Mwenenganugye.

« C’est très naïf de penser que des bouteilles de champagne offertes aux militaires peuvent suffire à arrêter le génocide », déclare Pasa Mwenenganugye.

A partir de son intervention, les médias s’emparent de la version de l’histoire telle que racontée par « Grégoire ». En exil, Paul Rusesabagina continue de donner des conférences et de recevoir des prix. Il s’oppose, de loin, à Paul Kagamé et à sa mainmise sur le Rwanda. En exil, Paul Rusesabagina fonde le Mouvement rwandais pour le changement démocratique (MRCD). Ce mouvement, ainsi que le financement présumé de nombreuses autres forces armées, lui vaudront son arrestation du 31 août dernier. « Paul Rusesabagina est soupçonné d'être le fondateur, le leader et le principal financier de groupes armés terroristes adeptes de la violence, dont le MRCD et le PDR-Ihumure (Parti pour la démocratie), qui ont sévi dans toute la région ainsi qu'à l'étranger [la région des Grands Lacs notamment, Ndlr] », explique le RIB. En attendant, sa fille, elle, ne veut pas l’entendre de cette oreille. Elle demande la libération du héros du Rwanda, son héros…

Servan Ahougnon


Enveloppe
Recevez votre lettre Ecofin personnalisée selon vos centres d’intérêt

sélectionner les jours et heures de réception de vos infolettres.